Les Russes semblent catégoriques. Il n’y aura pas de renouvellement de l’accord sur les céréales. Leur émissaire auprès des Nations unies à Genève a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de prolonger le «statu quo» de l’accord sur les exportations de céréales en mer Noire qui expire le 18 juillet courant.
Cet accord, chapeauté par l’ONU et la Turquie en juillet 2022, vise à réduire les craintes d’une crise alimentaire mondiale en permettant à l’Ukraine d’exporter ses céréales via la mer Noire. L’arrêt des exportations ukrainiennes avait entrainé une flambée des cours du blé et des oléagineux, contribuant à la flambée des prix au niveau mondial en 2022. Dix mois après sa signature, l’accord avait permis à l’Ukraine d’exporter plus de 30 millions de tonnes de céréales vers le reste du monde.
Pour justifier leur refus, les Russes avancent deux raisons: l’une sécuritaire, en annonçant que l’Ukraine continue d’attaquer ses navires, et, l’autre politique, en soulignant que les demandes de Moscou pour la réintégration de la banque agricole Rosselkhozbank au système de paiement Swift duquel les banques russes ont été exclues par les pays occidentaux dans le cadre des sanctions contre Moscou suite à l’invasion de l’Ukraine, ne sont pas actées.
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Dans tous les cas, cet accord avait permis non seulement l’approvisionnement des pays en développement, notamment africains, en blé, mais aussi et surtout fait baisser le prix de la céréale sur le marché mondial. Une situation qui a impacté positivement les prix de nombreux produits alimentaires, notamment les pâtes, le pain…, mais aussi sur les cours d’autres céréales.
Ainsi, en mai 2022, le cours du blé avait atteint son pic à près de 640 dollars la tonne sur le marché européen, contre 350 dollars en moyenne en janvier, un mois avant le début de la guerre Russie-Ukraine. Mais grâce à cet accord, les cours ont, depuis, baissé pour s’établir actuellement à 225 la tonnes pour livraison en septembre sur Euronext.
Pourtant, un certain nombre de facteurs devraient peser négativement sur le cours. Outre les effets de la destruction du barrage ukrainien sur les récoltes de ce grand exportateur de blé, le marché est aussi impacté par la sécheresse qui sévit aux Etats-Unis.
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Malgré tout, il n’y a pas vraiment d’inquiétude sur les cours du blé. Une situation qui s’explique surtout par le fait que la Russie dispose d’importants excédents de blé grâce à son énorme récolte estimée entre 92 et 104 millions de tonnes. Selon les données du cabinet russe SovEcon, les stocks de blé encore présents dans les fermes sont deux fois plus importants que la moyenne quinquennale.
Outre la Russie, les disponibilités exportables sont également importantes en Australie. Et au niveau des pays d’Amérique Latine, les récoltes se poursuivent et laissent envisager une production record au Brésil.
D’après l’Organisation onusienne chargée de l’agriculture et de l’alimentation (FAO), la production mondiale, en 2023, devrait se situer autour de 785 millions de tonnes, soit le deuxième plus haut niveau jamais enregistré.
Autant de facteurs qui devrait contribuer à tirer les prix vers le bas.
Une production mondiale de 785 millions de tonnes, 2e record jamais enregistré
En conséquence, les exportations russes de blé au titre de l’année agricole 2022-2023 pourraient être supérieures de 23% à celles de l’année agricole 2021-2022. Une situation qui compense largement les baisses de production américaine et qui permet de maintenir les cours à un niveau relativement bas. Et en cas de blocage du blé ukrainien, la Russie pourrait plus facilement écouler son blé auprès des pays en développement, notamment africains.
Une situation que l’Ukraine ne compte pas accepter sachant que l’Afrique constitue un important marché pour les deux pays. En effet, pas moins de 25 pays africains importent plus du tiers de leur blé de Russie et d’Ukraine. Dans certains cas, cette dépendance atteint même les 100%. Il faut aussi noter que quatre pays africains -Egypte, Algérie, Nigeria et Maroc- figurent dans le Top 10 des plus grands importateurs de blé au monde.
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Forte de son potentiel agricole, l’Ukraine a annoncé son intention de construire un terminal céréalier dans le nouveau port en eau profonde du Nigeria pour approvisionner de manière ininterrompue l’Afrique de l’Ouest en produits agricoles ukrainiens. Kiev exporte notamment du blé, du maïs et des oléagineux. La région ouest-africaine a importé, en 2022, un total de 22 millions de tonnes de céréales 40% de blé.
C’est dire que les pays africains sont aussi parmi les grands bénéficiaires de l’accord sur les céréales en ce sens que son application permet de sécuriser leur approvisionnement à des prix relativement bas.
Reste que la meilleure sécurité pour un continent, qui dispose de 60% des terres arables non exploitées du monde, est l’investissement dans la production locale de céréales. C’est ce que certains pays ont entrepris avec succès pour réduire leur dépendance vis-à-vis du marché international. C’est le cas de l’Ethiopie qui accédé à l’autosuffisants et qui projette de devenir un exportateur dans un proche avenir.