La 8ème édition de l’Africa Investment Forum (AIF) s’est ouverte ce jour à Rabat sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cet événement majeur, plateforme transactionnelle dédiée à l’accélération des investissements privés dans des projets transformateurs, cristallise les défis et ambitions d’un continent confronté à un déficit de financement colossal, estimé à 1 300 milliards de dollars annuels pour atteindre ses objectifs de développement. Le thème 2025, «Combler l’écart: mobiliser le capital privé pour libérer tout le potentiel de l’Afrique», résume l’impératif absolu.
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Nadia Fettah Alaoui, ministre marocaine de l’Économie et des Finances, a ancré la démarche africaine dans l’héritage intellectuel de Léopold Sédar Senghor, évoquant une culture africaine du «donner et recevoir» fondée sur «la circulation, la réciprocité, l’ouverture et la responsabilité partagée».
Elle souligne que le «donner » ne relève ni d’un geste unilatéral ni d’une posture incantatoire, mais constitue « un acte fondateur » matérialisé par la responsabilité souveraine des États. Une dynamique qui exige d’abord une stabilité macroéconomique et financière, érigée en «condition première de tout investissement». Elle passe ensuite par la modernisation des cadres réglementaires et un renforcement de la transparence, offrant aux investisseurs «la visibilité qu’ils attendent- non pas comme une faveur, mais comme un engagement réciproque».
Enfin, elle implique une mobilisation vigoureuse des ressources internes: investissements structurants dans les infrastructures, accélération de l’industrialisation pour capter davantage de valeur ajoutée, soutien aux entrepreneurs et PME, et promotion d’une culture de l’excellence et de l’exigence pour le secteur privé local. Un travail préalable qui permet un recevoir actif, c’est-à-dire accueillir des partenariats, mobiliser des capitaux, intégrer des innovations, attirer les investisseurs. La ministre insiste sur l’interdépendance de ces deux volets. «Donner et recevoir ne sont pas deux mouvements distincts: ils sont consubstantiels l’un de l’autre. Nous construisons nos conditions internes pour mieux attirer les financements externes, et nous mobilisons ces financements pour accélérer nos réformes internes», scellant ainsi la boucle vertueuse de la coopération économique africaine.
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Le Maroc, en tant qu’hôte récurrent et 2ème investisseur africain sur le continent, présente son modèle stratégique centré sur le secteur privé. Ses réformes structurantes incluent la nouvelle Charte de l’Investissement, des dispositifs de soutien aux TPME, une feuille de route pour le climat des affaires, le recours accru aux PPP et l’opérationnalisation du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, véritable catalyseur des financements privés. L’objectif affiché est clair: porter la part de l’investissement privé à deux tiers du total national d’ici 2035, contre un tiers aujourd’hui.
Représentée par sa ministre de l’Economie, du plan et du développement, Nialé Kaba, la Côte d’Ivoire incarne cette dynamique en Afrique de l’Ouest, s’appuyant sur un taux de croissance soutenu, un cadre macroéconomique stable et un cadre d’investissement attractif. Le pays oriente désormais sa stratégie vers le secteur privé pour concrétiser les ambitions de son nouveau Plan National de Développement (2026-2030). Parmi ses priorités figurent la digitalisation, avec un objectif d’accès universel au haut débit d’ici 2030, et le secteur énergétique, visant à la fois l’électrification nationale et le renforcement de son rôle de fournisseur régional dans l’espace ouest-africain. Le développement local de la chaîne de valeur minière émerge comme un pilier clé de diversification économique, tandis que les infrastructures font l’objet d’un double focus: consolidation du pôle économique d’Abidjan et déploiement de pôles régionaux dans les villes secondaires pour amplifier leur attractivité. Nialé Kaba lance un appel explicite.
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«La Côte d’Ivoire est ouverte aux investisseurs privés pour massivement coconstruire avec nos investisseurs qui sont localement présents», rappelant l’expertise ivoirienne dans les partenariats public-privé affinée depuis les années 1990. Cette approche combine héritage institutionnel et vision prospective pour positionner le pays comme hub d’investissements structurants.
Sidi Ould Tah, Président du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD), institution fondatrice de l’AIF avec ses partenaires (Afreximbank, Africa50, etc.), souligne l’urgence d’agir. «Si l’Afrique ne saisit pas les opportunités d’investissement, le déficit de financement persistant entravera la réalisation de nos objectifs communs», soutient Sidi Ould Tah.
Face au quart de l’humanité que représentera l’Afrique en 2050, il détaille quatre priorités cardinales pour convertir le dividende démographique en puissance économique : Amplifier la mobilisation des capitaux en canalisant l’épargne via des instruments innovants, optimiser l’effet de levier par des garanties, mobiliser le secteur privé; réformer l’architecture financière africaine en développant une architecture à trois niveaux (régional, continental, national) pour «développer des synergies entre nos institutions financières; clarifier leurs rôles respectifs; renforcer leur complémentarité»; libérer le potentiel des jeunes et des femmes en renforçant l’accès au financement ciblé et au mentorat, soutenir l’entrepreneuriat, prioriser les compétences (STIM, numérique), formaliser l’économie informelle; et développer des infrastructures résilientes.
Un impératif pour transformer les matières premières localement, créer de la valeur ajoutée et des emplois, renforcer les capacités énergétiques, logistiques et numériques.
L’AIF incarne cette stratégie. Sa valeur réside dans son modèle partenarial unique regroupant les principales IFD africaines, son alignement sur l’Agenda 2063 et les ODD, et son rôle dans la coopération intra-africaine. Depuis 2018, il a catalysé plus de 225 milliards USD d’intérêts d’investissement, avec plus de 32 milliards USD en clôture financière.
« Le 11 novembre, nous avons inauguré une nouvelle ligne ferroviaire et un nouveau port, un événement historique non seulement pour la Guinée, mais aussi pour l'Afrique. » — Ismael Nabe, ministre de la Planification et de la Coopération internationale de la République de Guinée. Déclaration faite lors de l'AIF.
Le portefeuille stratégique des Market Days 2025
L’édition 2025 marque une avancée significative dans la maturité opérationnelle de l’AIF, avec un portefeuille de 41 projets rigoureusement préparés, dont 39 qualifiés d’«entièrement prêts pour l’investissement». Ce pipeline reflète les priorités continentales, dominé par le secteur énergétique (15 projets axés majoritairement sur les renouvelables) et les transports, ce dernier concentrant à lui seul plus de 17 milliards de dollars de besoins financiers.
Le forum enregistre une percée notable dans l’engagement des investisseurs du Golfe (CCG), matérialisé par la participation active d’entités comme Saudi Exim Bank et Qatar Development Bank, ainsi que des opérateurs majeurs tels qu’AMEA Power et ACWA Power – fruit d’une campagne proactive de mobilisation menée en amont à Riyad, Djeddah et Abu Dhabi. La pérennité financière de la plateforme s’en trouve renforcée, comme en témoigne le doublement des sponsors privés (33 en 2025 contre 16 l’année précédente).
Parmi les initiatives structurantes figurent l’ambitieux projet d’aéroport international de Bishoftu à Addis-Abeba (capacité cible de 110 millions de passagers annuels), des opérations de titrisation de créances en Afrique de l’Est portées par la Trade & Development Bank (TDB), une levée de fonds pour le corridor de Lobito en Zambie par Africa Finance Corporation, ainsi qu’un portefeuille industriel et énergétique multisectoriel coordonné par Afreximbank couvrant l’Angola, le Nigeria et le Kenya. La Development Bank of Southern Africa (DBSA) complète ce paysage avec des projets d’infrastructures hydriques et énergétiques, confirmant la dimension panafricaine de l’offre d’investissement.
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Au-delà des transactions, il faut noter que les sessions thématiques de l’AIF ont dépassé la logique transactionnelle pour s’attaquer aux freins structurels entravant l’investissement de masse. La problématique du financement en monnaie locale et de la gestion du risque de change a été placée au premier plan, identifiée comme cruciale pour la soutenabilité de la dette– l’Afrique subsaharienne affichant une dette médiane libellée en devises de 55%, bien au-delà du seuil de vulnérabilité.
Un partenariat BAD-TCX et l’annonce d’une future «Local Currency Academy» (2026) visent à combler le déficit de connaissances et à mobiliser les investisseurs internationaux sur les marchés de capitaux locaux. Parallèlement, le potentiel de la transformation numérique– moteur de croissance inclusive– se heurte à des obstacles de financement persistants (bancabilité, partage des risques) que des sessions dédiées explorent via des solutions combinant technologies émergentes (IA, cloud) et modèles de partenariat innovants.
Les panels de haut niveau soulignent l’impératif d’approfondir les marchés de capitaux domestiques par une meilleure mobilisation de l’épargne locale (fonds de pension, assureurs) et le développement de plateformes d’agrégation (véhicules d’infrastructure mutualisés), tout en exigeant une cohérence réglementaire renforcée (cadres stables, PPP fiables).
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Enfin, les instruments financiers innovants– obligations vertes, sukuk, financement mixte– y sont présentés comme des leviers essentiels pour canaliser les capitaux vers les transitions énergétique et numérique, combinant judicieusement fonds publics et privés.
Ainsi, l’Africa Investment Forum 2025, à travers la puissance de sa plateforme transactionnelle et la profondeur de ses réflexions stratégiques, démontre que l’Afrique possède les solutions à ses défis de financement. La voie tracée est claire : un engagement souverain renforcé des États à construire des environnements économiques stables, compétitifs et ouverts (le donner); une mobilisation accrue et innovante du capital privé national, régional et international, catalysée par les IFD et facilitée par des instruments adaptés (le recevoir); et une coopération intra-africaine approfondie pour créer des marchés intégrés et des projets régionaux structurants. Comme le résume Nadia Fettah Alaoui, «c’est ce cercle vertueux qui permettra à l’Afrique d’exprimer pleinement son potentiel».
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Le succès des engagements pris à Rabat les mois et années à venir sera la véritable mesure de la capacité du continent à transformer ses immenses potentialités en prospérité partagée.
Afrique: 41 projets «prêts à investissement» présentés à Rabat
| Axes | Points clés | Acteurs/Exemples |
|---|---|---|
| Contexte | - Déficit de financement : 1 300 milliards $/an pour les ODD africains. - AIF a mobilisé 225 milliards $ depuis 2018. | Forum Africain de l’Investissement (AIF), BAD, Afreximbank, Africa50. |
| Stratégies nationales | Maroc: Nouvelle Charte de l’Investissement, Fonds Mohammed VI, objectif de 2/3 d’investissement privé d’ici 2035. Côte d’Ivoire: Digitalisation (accès universel au haut débit d’ici 2030), énergie, chaîne de valeur minière, hubs régionaux. | Nadia Fettah Alaoui (Maroc), Nialé Kaba (Côte d’Ivoire). |
| Priorités de la BAD | 1. Amplifier la mobilisation des capitaux. 2. Réformer l’architecture financière africaine (synergies régionales). 3. Libérer le potentiel des jeunes/femmes. 4. Infrastructures résilientes. | Sidi Ould Tah (BAD). |
| Projets phares 2025 | - 41 projets présentés (dont 39 « prêts à investissement »). - Secteurs: Énergie (15 projets renouvelables), Transports (17 milliards $ de besoins). - Exemples: Aéroport de Bishoftu (Éthiopie), corridor de Lobito (Zambie), portefeuille Afreximbank (Angola, Nigeria, Kenya). | Saudi Exim Bank, Qatar Development Bank, AMEA Power, ACWA Power, TDB, DBSA. |
| Innovations financières | - Gestion des risques de change (dette médiane à 55% en devises). - Partenariat BAD-TCX et «Local Currency Academy» (2026). - Instruments : obligations vertes, sukuk, financement mixte. | Sessions thématiques de l’AIF. |
| Vision globale | Renforcer la coopération intra-africaine via : - Stabilité macroéconomique et réformes réglementaires («donner»). - Mobilisation de capitaux privés («recevoir»). | Citation clé: « Donner et recevoir sont consubstantiels » – Nadia Fettah Alaoui. |












