Algérie: malgré l’envolée du pétrole, le déficit budgétaire sera abyssal en 2022 et 2023 sera encore pire

Pièces et billets en dinars algériens.

Le 16/11/2022 à 14h12

Selon le ministre des Finances algérien, Brahim Djamel Kassali, le déficit budgétaire au titre de 2022 sera abyssal, et ce, malgré l’envolée des cours des hydrocarbures qui pèsent presque la moitié des recettes budgétaires. Celui de l’année prochaine s’annonce encore pire, vu l’enveloppe qui sera consacrée aux achats d’armes.

Le Fonds monétaire international (FMI) l’avait clairement signifié dans sa dernière étude concernant la région Afrique du Nord-Moyen Orient (MENA) en soulignant que malgré l’envolée du cours du baril de pétrole, le déficit budgétaire de l’Algérie sera abyssal cette année. Les 50 milliards de dollars de recettes d’exportation des hydrocarbures que le pays compte atteindre ne permettront pas de renflouer suffisamment les caisses de l’Etat, sachant que les hydrocarbures représentent autour de 50% des recettes budgétaires du pays.

La sortie du ministre, le lundi 14 novembre devant la Commission des Affaires économiques et financières du Conseil de la nation, pour expliquer les raisons du projet de loi de finances complémentaire 2022, a permis aux Algériens d’avoir une idée claire de l’ampleur du déficit budgétaire du pays. Globalement, le déficit budgétaire prévu pour 2022 devrait fortement se creuser pour s’établir à 5.467 milliards de dinars algériens, soit l’équivalent de 39,5 milliards de dollars. Ce déficit représente l’équivalent de 22,5% du produit intérieur brut (PIB) du pays.

En détail, il ressort clairement que les dépenses de fonctionnement sont derrière la hausse des dépenses complémentaires, qui s’élèvent à 1.752 milliards de dinars, portant le total des dépenses budgétaires à 11.610 milliards de dinars. En effet, les dépenses de fonctionnement vont augmenter de 1.385 milliards de dinars, soit 10 milliards de dollars, pour s’établir à 7.697 milliards de dinars. L’essentiel de ces dépenses complémentaires sert essentiellement à couvrir les dépenses allouées aux subventions (blé, lait et huile particulièrement) et les allocations au chômage mises en place pour calmer la jeunesse qui n’a pas de perspectives d’emplois.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, la flambée des prix sur le marché international a fortement augmenté la facture des importations dans un pays très dépendant des importations de produits alimentaires de première nécessité (céréales, lait…). L’Etat subventionnant les principaux produits alimentaires dans le cadre de sa politique visant à acheter la paix sociale, la facture des subventions a naturellement explosé.

Ensuite, l’échec des politiques économiques adoptées par les autorités fait qu’en dépit des intentions et des déclarations, la diversification économique tant vantée par le président Abdelmadjid Tebboune est loin de devenir réalité. La forte dépendance de l’Algérie des céréales, notamment le blé, et du lait en poudre, sont des preuves que les annonces sur la production agricole du pays sont loin de correspondre à la réalité.

On se rappelle que lors d’un entretien avec les médias algériens en mars 2021, le président Tebboune a annoncé que la production agricole de l’Algérie avait dépassé les 25 milliards de dollars, permettant de réduire la facture des importations. De même, l’annonce de la diversification de l’économie algérienne promise par le président tarde à se traduire dans les faits. Les hydrocarbures devraient représenter plus de 95% des recettes d’exportations et environ 50% des recettes budgétaires de cette année.

Par ailleurs, contrairement aux années passées, durant lesquelles les autorités ont joué sur la variable change, en «dévaluant» le dinar face à dollar américain et en augmentant artificiellement les recettes budgétaires tirées des hydrocarbures, celle-ci n’a été d’aucun secours cette année. En effet, à l’instar des autres pays pétroliers, l’Algérie a vu sa monnaie afficher une bonne résistance vis-à-vis du dollar en retrouvant le taux de change du début d’année, faisant partie des rares monnaies africaines à ne pas connaître une dépréciation.

Enfin, la fraude fiscale est importante en Algérie, certains experts l’estimant à plus de 27 milliards de dollars. Ce qui constitue un véritable manque à gagner pour le Trésor et dénote la faiblesse de la gouvernance du pays, où tout le monde ou presque échappe à la fiscalité.

La situation ne devrait pas non plus s’améliorer que l’année prochaine. Déjà, selon les projections du Fonds monétaire international (FMI), il faudrait un cours moyen du baril de pétrole de 150 dollars pour que l’Algérie puisse atteindre l’équilibre budgétaire en 2023. Or, la tendance actuelle de l’évolution du cours du baril est à la baisse.

Encore pire, le déficit devrait se creuser davantage l’année prochaine. En effet, Alger s’est engagée à casser la tirelire en annonçant 23 milliards de dollars pour son budget de défense, en hausse de 130%, soit l’équivalent de 13% du PIB du pays, soit le ratio le plus élevé au monde. Des dépenses qui seront consacrées en grande partie aux achats d’armes auprès de la Russie.

En clair, entre les subventions colossales, qui attestent l’échec des politiques économiques, et les dépenses colossales allouées à l’armement, le régime politico-militaire qui dirige l’Algérie néglige le financement des secteurs productifs créateurs de valeur et d’emplois. Par conséquent, au moindre retournement du cour du baril de pétrole, le pays se retrouvera dans des crises financières aiguës, comme celle ayant suivi la flambée des cours de 2014 lorsque le baril a atteint le pic des 140 dollars, et qui a vu les gouvernements successifs vider le Fonds souverain du pays et réduire les avoirs en devises de 194 milliards de dollars en 2014 à moins de 30 milliards de dollars en 2020. Aveuglé par l’embellie actuelle des cours du baril, le gouvernement actuel ne semble pas avoir tiré les leçons du passé.

Par Karim Zeidane
Le 16/11/2022 à 14h12