A peine le retrait de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) acté «sans délai», le Burkina Faso, le Mali et le Niger se préparent à la seconde étape, l’abandon du franc CFA, et donc de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) dont ils ils sont membre avec cinq autres pays.
En attestent les sorties récentes de deux dirigeants de pays l’AES, les présidents Abdouarahmane Tiani du Niger et Ibrahim Traoré du Burkin Faso. Dimanche dernier, le président de transition avait déclaré à la télévision nigérienne que «la monnaie est une étape de sortie de cette colonisation», en référence au franc CFA et à la France, ex-puissance coloniale, ajoutant que le Mali, le Niger et le Burkina Faso «ont des experts (monétaires) et au moment opportun, nous déciderons».
Plus explicité encore, il ajoute que «la monnaie est un signe de souveraineté» et que les pays de l’AES sont «engagés dans un processus de recouvrement de (leur) souveraineté totale». Et pour mieux faire comprendre que c’est le franc CFA et l’Hexagone qui sont visés, le président nigérien de transition ajoute qu’«il n’est plus question que nos Etats soient la vache à lait de la France».
Après le président nigérien, c’est autour d’Ibrahim Traoré d’identifier la prochaine cible. «Ce n’est pas seulement la monnaie. Tout ce qui nous maintient en esclavage, nous briserons ses liens», a déclaré le président de transition du Burkina Faso.
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Bien avant ces déclarations, en novembre 2023, les ministres des Finances des trois pays de l’AES avaient déclaré qu’ils étudieraient la possibilité de créer une Union monétaire, ce qui suppose la mise en circulation d’une monnaie unique aux trois pays. A cette date, les argentiers des trois pays avaient voté, à des degrés divers, en faveur de l’abandon du franc CFA.
Pour les trois pays qui ont déjà rompu leur relations sécuritaire avec la France en faisant quitter les forces françaises de leurs territoires, le franc CFA reste le dernier lien avec l’Hexagone pour conquérir leur souveraineté.
En clair, si les dirigeants des pays de l’AES n’ont pas donné une date précise de sortie du franc CFA, tout semble indiquer qu’ils y travaillent étroitement et que, comme c’est le cas avec la Cedeao, ils l’annonceront le moment venu.
La sortie des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel était attendue pour plusieurs raisons. D’abord, du point de vue de la souveraineté, le franc CFA est décrié par les panafricanistes de la sous-région qui sont à l’avant-garde des soutiens aux régimes en place dans ces trois pays.
En second lieu, cette monnaie héritée de l’époque coloniale est considérée comme un moyen de maintenir les pays africains sous l’emprise de la France. D’ailleurs, cette monnaie est toujours imprimée en France et c’est cette dernière qui assure la garantie de la convertibilité illimitée et inconditionnelle au franc CFA. Cela signifie qu’en cas d’épuisement des réserves de change des pays de l’Uemoa, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) pourrait se procurer des euros dont elle aurait besoin auprès de la France et les rembourser une fois ses réserves de change reconstituées.
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En outre, si cette monnaie offre de nombreux avantages, particulièrement sa stabilité grâce à la parité fixe dont elle bénéficie vis-à-vis de l’euro (1 euro pour 655,957 francs CFA), il n’en demeure pas moins qu’elle consacre le maintien des liens de dépendance entre l’ancien colon et ses anciennes colonies ouest-africaines. Raison qui a poussé la Cedeao à envisager de lancer sa propre monnaie.
Les pays de l’Alliances des Etats du Sahel, qui ont décidé de quitter cette communauté, devaient trouver une solution rapide à ce problème monétaire, ne pouvant plus participer au lancement de cette monnaie unique de la Cedeao qu’ils viennent de quitter. C’est dire que la monnaie commune aux trois pays sahéliens, qui suppose une sorte de fédéralisme, n’est plus une option, mais une nécessité.
Seulement, l’impact de la sortie du franc CFA dans le contexte actuel risque d’avoir des répercussions négatives, aussi bien du point de vue économique, social, financier que monétaire. Et pour cause, les pays de la zone CFA de l’Afrique de l’Ouest sont regroupés au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
En quittant le franc CFA, les pays de l’AES devraient logiquement quitter également l’Uemoa. Or, avec le retrait de la Cedeao, l’Uemoa en atténue l’impact sur les trois pays car, à l’instar de la Cedeao, elle permet la libre circulation des personnes et des marchandises au sein de l’espace des huit pays qui la composent: Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo et Guinée-Bissau.
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En clair, hormis le Niger qui a des relations plus poussées avec le Nigeria, le retrait des pays de l’Alliance de la Cedeao n’avait pas d’impacts significatifs tant que ces pays restaient membre de l’Uemoa. Ils bénéficient de la libre circulation des biens, des personnes et de l’établissement de leurs ressortissants au sein de cet espace. L’installation des citoyens des trois pays au sein de l’Uemoa est très important. En Côte d’Ivoire, à titre d’exemple, on recense au moins 5 millions de ressortissants originaires de ces trois pays.
Cet établissement de citoyens des trois pays dans l’espace Uemoa mérite d’être discuté afin que ceux-ci ne subissent pas les retombées de ce retrait. Idem pour les voyages qui nécessiteront, sauf nouveaux accords, des visas.
Au niveau économique, en absence d’accord entre les pays de l’Uemoa et ceux de l’AES, tous enclavés, les approvisionnements en provenance des pays côtiers risquent de coûter beaucoup plus cher et alimenter l’inflation.
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L’impact d’une sortie de l’Uemoa est aussi et surtout monétaire et financier et serait beaucoup plus compliqué avec des conséquences qui n’ont rien à voir avec celle de la Cedeao. Et pour cause, les trois pays doivent, au préalable, disposer d’une banque centrale commune, imprimer leurs billets de banque et les pièces de monnaies localement ou alors dans un pays tiers.
Il leur faudra également gérer une transition monétaire complexe devant mener à l’abandon du franc CFA, mettre en place une politique monétaire commune et régler les suspens avec l’Uemoa en ce qui concerne l’encours des emprunts obligataires au niveau du marché régionale de l’Uemoa libellés en francs CFA. Une autre tâche consistera à récupérer les réserves en devises logées au sein de la Bceao.
On comprend ainsi le report de la dernière sortie du Burkina Faso sur le marché de la dette de la sous-région en raison d’un manque d’intérêt des investisseurs suite à l’annonce du retrait du pays de la Cedeao. Les investisseurs devenant méfiants vis-à-vis des emprunts obligataires émis par des pays qui pourraient quitter l’Uemoa. Une situation qui risque de priver les pays de l’AES de financements régionaux et internationaux. Et cette incertitude risque d’avoir un impact négatif sur la futur monnaie avec des craintes de dépréciation après son lancement, avec à la clé des situations inflationnistes.
C’est dire que si la sortie de la Cedeao peut se faire avec «effet immédiat», en ce qui concerne le franc CFA et l’Uemoa, les pays de l’AES sont obligés de négocier avec les 5 autres pays de cet ensemble -Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo, Bénin et Guinée-Bissau.
En conséquence, la sortie du franc CFA est une opération qui doit être murement réfléchie sachant que le plus dur n’est pas de lancer une monnaie, mais de disposer d’une monnaie qui sera moins volatile que le franc CFA qui est stable du fait de son ancrage à l’euro, au risque de faire perdre confiance à la population et aux opérateurs économiques des trois pays.
Une situation qui n’est pas facile à gérer quand on considère les comportements du naira du Nigeria et du cédi du Ghana, deux pays économiquement beaucoup plus solides, mais dont les monnaies se sont fortement dépréciées vis-à-vis du franc CFA ces dernières années.
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Ce sont tous ces facteurs et les impacts économiques difficiles actuellement à quantifier dont dépendront les modalités de retrait et des négociations entre les deux ensembles, qui poussent à la prudence. Beaucoup d’économistes pointent le risque de dépression économique au cas où la sortie du franc CFA n’est pas bien étudiée. C’est la raison pour laquelle, le Mali, chef de file de l’AES, se montre plutôt prudent.
Raisons pour lesquelles, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, s’était empressé, après l’annonce de la sortie de la Cedeao, de souligner que le retrait de son pays de l’Uemoa n’est pas à l’ordre du jour. Son Premier ministre, Choguel Maïga, a appelé à la «patience», conscient de la complexité d’une telle opération. Seulement, depuis l’annonce du retrait de la Cedeao, il était notoire que la sortie du franc CFA était dans le pipe.
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Pour l’histoire, ce n’est pas la première fois qu’un pays quitte la zone CFA en Afrique de l’Ouest. Moins de deux ans après son indépendance, la Guinée a été le premier pays à claquer la porte de cette zone monétaire, le 1er mars 1960. La Guinée a remplacé le franc CFA par le franc guinéen. Plus d’une décennie plus tard, ce fut au tour de la Mauritanie, le 28 juin 1973, de créer sa propre monnaie, l’ouguiya. Actuellement, ce sera la première fois qu’un groupe de pays qui veut quitter en même temps la zone CFA en Afrique de l’Ouest. Ce qui accroit la complexité de l’opération pour ces trois pays sahéliens.