Plusieurs autres pays, dont le Nigeria et la Tunisie, se préparent activement à mettre fin au subventions sur les carburants en 2023, au moment où d’autres abaissent les niveaux des subventions en procédant à des réajustements à la hausse des prix depuis le début de l’année, et ce, malgré un contexte de repli des cours du baril de pétrole. C’est le cas du Congo, de la Centrafrique, ou encore du Sénégal. Dans ce dernier pays, les autorités ont annoncé une hausse de 100 FCFA (0,15 euro) sur les prix des carburants subventionnés, depuis le samedi 7 janvier, portant le prix du gasoil à 755 FCFA (1,15 euro) et celui du supercarburant à 990 FCFA (1,5 euro). Le gouvernement sénégalais s’est même engagé à supprimer d’ici à 2025 les subventions de l’électricité, du supercarburant et du gasoil.
Plusieurs facteurs expliquent la volonté des gouvernements africains à mettre fin aux subventions sur les carburants. D’abord, les subventions des carburants visant à maintenir leurs prix inchangés coûtent cher aux budgets des Etats. En Tunisie, par exemple, les subventions des carburants représentent 7 milliards de dinars tunisiens par an. Au Congo, l’enveloppe des subventions affectées aux carburants a progressé de 121% en 2022 pour s’établir à 250 milliards de FCFA, soit plus de 404 millions de dollars.
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Au Nigeria, le gouvernement a dépensé 9,5 milliards de dollars en subventions durant les 7 premiers mois de l’année dernière. Mais, face à la flambée des prix, cela est sur le point de changer. Dans le cadre de la loi de finances 2023, il est prévu une subvention de 7,5 milliards de dollars pour le premier semestre, le gouvernement espérant mettre fin aux subventions sur les carburants importés malgré le fait que le pays soit le premier producteur d’or noir du continent. D’ici cette échéance, la raffinerie de l’homme d’affaires Aliko Dangote devrait entrer en activité et permettre de mettre fin aux importations des carburants. Reste que la fin des subventions sur les carburants sera difficile à faire accepter aux Nigérians, habitués à un des prix à la pompe parmi les plus bas au monde grâce à la générosité de l’Etat.
La flambée des cours du baril de pétrole en 2022, intervenue après deux années de Covid-19 qui ont ébranlé les économies africaines, a explosé les factures des importations des hydrocarbures et fortement gonflé les déficits budgétaires de nombreux pays africains, obligeant ceux-ci à emprunter davantage et à recourir aux services du Fonds monétaire international (FMI). Au Cameroun voisin, à cause de la flambée du baril de pétrole, les subventions ont représenté plus de 13% du budget de l’Etat, ce qui a poussé les autorités à se pencher sérieusement sur la réforme de ces subventions.
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Les factures des subventions sont devenues difficiles à supporter pour les Etats, qui n’ont d’autres choix que de reconsidérer ces mesures. Certains l’ont fait depuis plusieurs années. C’est le cas du Maroc, où les subventions à la pompe ont été éliminées dès 2014. Le Kenya aussi, échaudé par une crise économique aiguë, a annoncé la fin des subventions sur les carburants.
Ensuite, le timing pour éliminer les subventions semble être relativement bon. En effet, avec le recul des cours du baril de pétrole sur le marché international et donc des prix à la pompe, la vérité des prix sera moins sentie par les usagers. En conséquence, la pilule pourrait passer plus facilement, surtout si la tendance baissière du cours du baril s’inscrivait dans la durée.
Enfin, et ce n’est pas négligeable, il y a l’effet des pressions du FMI, qui a toujours fait de la vérité des prix une des conditions fondamentales pour les pays qui sollicitent ses prêts. C’est le cas actuellement de presque tous les pays du continent qui, pris à la gorge par des besoins de financement dépassant leurs capacités, sont obligés de recourir à l’institution de Bretton Woods. Et pour bénéficier des «largesses» de l’institution, la vérité des prix semble désormais inévitable. Cette variable permettrait, selon l’institution, de limiter les importants déficits budgétaires que connaissent presque la quasi-totalité des pays du continent, y compris ceux qui bénéficient de la bonne tenue des cours du pétrole. A titre d’illustration, le déficit budgétaire de l’Algérie, un des grands bénéficiaires de la flambée des cours du baril de pétrole en 2022, se situerait à hauteur de 20% de son PIB.
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Il faut souligner que la fin des subventions est l’une des conditions imposées à la Tunisie par le FMI. En réponse, le pays s’est engagé à mettre fin progressivement aux subventions sur les carburants à l’horizon 2026. A partir de cette échéance, les prix des carburants devront évoluer en fonction des cours du brut sur le marché international. L’objectif de cette décision est de réduire le déficit budgétaire afin de préserver les équilibres macroéconomiques. A ce titre, la Tunisie a procédé à 3 augmentations des prix à la pompe en 2022 à travers un mécanisme d’ajustement automatique des prix, à raison d’une hausse minimum de 3% par mois.
Idem pour le Congo, dont le gouvernement a souligné que «dans le cadre des engagements à court terme pris (...) au titre de l’accord pour la Facilité élargie de crédit (FEC) avec le FMI, aucune nouvelle subvention ne devrait plus être accordée aux produits pétroliers». Etant sous programme avec le FMI, le pays pourrait être privé d’un nouveau décaissement s’il ne se conforme pas aux exigences de l’institution financière.
La vérité des prix des carburants est est toutefois loin de faire l’unanimité en Afrique. Et pour cause, elle se traduit inéluctablement par une flambée des prix du fait que les carburants sont des produits utilisés par plusieurs secteurs d’activité (transport, agriculture, pêche…). Au niveau du secteur des transports, la hausse des carburants va induire des hausses en cascade et accentuer la flambée inflationniste, surtout en cas de redressement des cours du baril de pétrole.
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Au Congo, le gouvernement va s’adjoindre les services d’un cabinet pour évaluer l’impact de cette décision sur les finances publiques, les entreprises et les ménages. En fonction des résultats de cette étude, la fin des subventions sera assortie d’une batterie de propositions à même de contribuer à préserver le niveau de vie des populations les plus vulnérables via des aides ciblées, contrairement aux subventions généralisées qui ont tendance à bénéficier plus aux couches aisées. Il faudra aussi analyser l’impact sur les PME, qui sont créatrices de valeur et d’emplois en Afrique subsaharienne où cette catégorie d’entreprises représentent plus de 95% des tissus industriels.
Face à cette situation et aux craintes d’implosions sociales, les gouvernements prennent les devants. Au Sénégal, après la hausse des prix des carburants, le gouvernement s’est engagé à mettre en place des mesures d’accompagnement au profit des transporteurs dans le but d’éviter une répercussion de cette hausse sur les citoyens. En plus, l’essence pour pirogue et le gaz butane subventionnés respectivement à hauteur de 34% et 55% par l’Etat ne sont pas concernés par la hausse des carburants du 7 janvier 2023.
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Toutefois, pour atténuer réellement l’impact de la fin des subventions, il est essentiel aussi que les Etats revoient la fiscalité sur les hydrocarbures afin de favoriser la baisse des prix à la pompe. Et pour cause, dans tous les pays, une grande partie du prix à la pompe est constituée essentiellement de taxes et d’impôts revenant à l’Etat et qui représentent souvent jusqu’à plus de 50% du prix du carburant. Ainsi, en réduisant leurs recettes fiscales tirées des hydrocarbures, les Etats ont la capacité de réduire fortement le prix à la pompe, atténuant ainsi l’impact d’une élimination de la subvention sur les hydrocarbures. Seulement, pour de nombreux pays africains, les taxes et impôts sur les carburants sont l’une des rentes les plus sûres pour les caisses de l’Etat.
En outre, pour atténuer le prix élevé à la pompe, il urge que les pays pétroliers africains s’équipent en raffineries. Cela permettra de réduire les pénuries en cas de crise sur le marché mondial, comme ce fut le cas au début de la guerre Russie-Ukraine, et d’atténuer l’impact du coût du transport maritime des produits raffinés importés d’Europe notamment. Plusieurs pays du continent se sont lancés sur cette voie et cela devrait avoir des répercussions positives à partir de cette année, notamment en atténuant les factures des importations.