Selon un récent rapport de janvier 2025 du United States Department of Agriculture Foreign Agricultural Service (USDA) intitulé «Grain: World Markets and Trade», la Russie, premier exportateur mondial de blé, a annoncé une réduction drastique de son quota d’exportation de céréales pour la seconde moitié de la campagne 2024/25, soit la période allant du 15 février au 30 juin 2025. Ce quota d’exportation sera fixé à seulement 10,6 millions de tonnes, soit le plus bas niveau en cinq ans.
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Une mesure qui vise à préserver les stocks domestiques russes après une récolte 2024 en baisse de 10 millions de tonnes par rapport à 2023. À cela s’ajoute le ralentissement de son rythme d’exportation suite à la fermeture prochaine de la navigation sur les fleuves Don et Volga, axes vitaux pour l’acheminement du blé russe vers les ports exportateurs.
Selon le rapport de l'USDA, le Nigeria augmente ses importations de blé de 300 000 tonnes, les portant à 5,8 millions de tonnes pour la campagne 2024/25.. DR.
Cette sortie du USDA fait suite aux révisions à la baisse successives des prévisions de récolte céréalière en Russie pour la campagne 2024. Des révisions qui concernent la plupart des cultures, notamment le blé, l’orge, le maïs et autres céréales.
Et pour compliquer davantage la situation, l’Ukraine réduit aussi ses exportations de 500.000 tonnes à 16 millions de tonnes, en raison d’un épuisement de ses stocks de blé de haute qualité destiné à la meunerie, souligne l’USDA. Le Brésil augmente ses importations de blé de 400.000 tonnes, Idem pour le Nigeria, qui augmente ses importations de blé de 300.000 tonnes, les portant à 5,8 millions de tonnes pour la campagne 2024/25. Cela s’explique par le rythme soutenu des importations nigérianes afin de répondre à la demande intérieure croissante en blé dans ce pays très peuplé. L’Argentine, de son côté, accroît ses exportations de blé de 500.000 tonnes, pour atteindre 11,5 millions de tonnes exportées. Une hausse qui fait suite au bon rythme des ventes à l’exportation argentin, favorisé par une récolte abondante.
Des ajustements qui reflètent les tensions sur le marché mondial du blé, avec une offre russe qui se resserre fortement tandis que d’autres exportateurs comme l’Argentine cherchent à en profiter. Les importateurs comme le Nigeria doivent alors s’approvisionner davantage auprès d’autres sources comme l’UE, l’Argentine ou l’Australie pour compenser le manque à venir de blé russe.
Autant de décisions qui risquent d’exacerber les difficultés d’approvisionnement pour de nombreux pays importateurs, notamment en Afrique où la dépendance aux importations céréalières est déjà très élevée. En effet, de nombreux pays africains dépendent crucialement de ces importations de blé et autres céréales russes pour répondre à leurs besoins alimentaires de base. C’est particulièrement le cas pour les 15 nations ayant un ratio de dépendance supérieur à 70%.
Un tel niveau de dépendance signifie que ces pays ne produisent localement qu’une petite partie (moins de 30%) des céréales nécessaires pour répondre à leurs besoins alimentaires nationaux. Ils doivent donc importer plus de 70% de leur consommation céréalière. Ce qui représente une lourde facture pour leur balance commerciale, grevant leur trésorerie et épuisant leurs réserves de change. Un fardeau d’autant plus lourd en cas de flambée des cours mondiaux.
Dans ce contexte, une étude de la CNUCED intitulée «Trade against hunger: Exploring trade actions to fight acute food insecurity and the threat of famine» met en lumière deux listes assez intéressantes. La première concerne les pays dépendants des importations de céréales. La seconde liste présente les pays ayant un ratio de dépendance aux importations de céréales négatif, appelés également exportateurs nets de céréales. Dans cet article, nous mettons l’accent sur les pays affichant un ratio de dépendance aux importations de céréales supérieur ou égal à 70%, un sous-groupe de la première liste.
Le top 15 des pays africains hyper-dépendants des importations céréalières
Selon le classement établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), 15 pays africains affichent un ratio de dépendance aux importations de céréales supérieur ou égal à 70%. Deux d’entre eux, Djibouti et la Libye, se situent même à 100%, couvrant ainsi l’intégralité de leurs besoins céréaliers par les importations.
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Viennent ensuite Cabo Verde (96,8%) et Maurice (94,9%), deux petits États insulaires dont la superficie limitée ne permettent que très peu de production locale de céréales. Cabo Verde, en particulier, a un climat aride qui limite la production agricole, tandis que Maurice a un climat tropical plus favorable, mais la production de céréales y est également limitée.
Le Gabon (94,7%), le Congo Brazzaville (88,9%) et la Somalie (88,5%) figurent également parmi les pays les plus dépendants, mais pour des raisons distinctes. Si la Somalie est durablement affectée par les conflits armés récurrents qui perturbent son économie et son secteur agricole, la situation au Gabon et au Congo s’explique davantage par d’autres facteurs.
Bien que relativement épargné par les conflits majeurs ces dernières années, le Congo Brazzaville fait face à des défis structurels entravant sa production céréalière locale. Malgré ces conditions climatiques favorables, la production locale de céréales est limitée. De plus, l’importance du secteur pétrolier dans l’économie congolaise a pu reléguer au second plan le développement d’une agriculture à grande échelle. Cette dépendance de 88,9% aux importations céréalières reflète ainsi les contraintes agro-climatiques et les orientations économiques historiques du pays.
Au Gabon, le climat est tropical, avec une pluviométrie annuelle variant entre 1.450 et 4.000 mm, ce qui est généralement considéré comme propice à l’agriculture. Cependant, malgré ces conditions climatiques favorables, la production locale de céréales est limitée. Bien que le Gabon dispose de terres arables (environ 5,2 millions d’hectares) et d’un climat favorable, la production agricole, y compris celle des céréales, est faible. En conséquence, le pays dépend fortement des importations pour satisfaire ses besoins alimentaires, avec environ 60% des biens alimentaires consommés provenant de l’extérieur.
La Gambie (84,9%), le Lesotho (81,9%) et la Namibie (75,2%) doivent quant à eux composer avec un climat semi-aride contraignant fortement les rendements céréaliers. Figurent aussi dans ce top 15 l’Algérie (80,6%) ainsi que le Botswana (74,6%), impacté par la sécheresse. Idem pour le Maroc (73,8%) et la Tunisie (72%), qui malgré des conditions agro-climatiques plus favorables, restent très exposés aux aléas météorologiques.
Enfin, le Libéria (71,9%) clôt ce classement des pays les plus dépendants des importations céréalières. Cette dépendance massive aux importations place ces 15 nations africaines dans une situation de forte vulnérabilité alimentaire, les exposant aux risques de pénuries, de flambées de prix sur les marchés mondiaux et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement. Un défi majeur en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle pour leurs populations.
Risque d’aggravation des tensions sur les marchés mondiaux en 2025
Au niveau du continent, environ 30% de l’approvisionnement total en céréales provient des importations, une proportion significative soulignant la dépendance de l’Afrique vis-à-vis des marchés internationaux. Les perturbations récentes des chaînes d’approvisionnement mondiales, liées notamment à la guerre en Ukraine, ont ainsi eu un impact direct sur la sécurité alimentaire de nombreux pays africains.
Ajouté à cela, les pays africains les plus dépendants des importations céréalières risquent d’être durement frappés par la décision de la Russie de réduire drastiquement ses exportations de blé en 2025. Rappelons que la Russie est le premier fournisseur mondial de blé et l’un des principaux exportateurs de céréales vers le continent africain, aux côtés de l’Union européenne, de l’Argentine et de l’Australie.
La contraction de l’offre exportable russe va inévitablement se répercuter sur les cours mondiaux des céréales, avec un risque de nouvelle envolée des prix. Une perspective préoccupante pour la sécurité alimentaire de ces gros importateurs. De plus, face à une offre réduite de la Russie, ces pays vont devoir se tourner davantage vers d’autres fournisseurs comme l’UE, l’Argentine ou l’Australie. Mais ces derniers disposent de volumes exportables limités et pourraient eux-mêmes être confrontés à une demande supérieure à leur offre.
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Dans ce contexte de tensions sur les marchés céréaliers mondiaux, le risque de pénuries temporaires ou de flambées spéculatives des prix ne peut être écarté. Un scénario particulièrement redouté dans les pays tributaires des importations pour la majeure partie de leur consommation.
Pour réduire cette vulnérabilité, plusieurs stratégies peuvent être envisagées : le développement de la production locale grâce à l’investissement dans l’agriculture et l’irrigation, la diversification des sources d’importation, ou encore la constitution de stocks de sécurité.
Les 15 pays africains avec un ratio de dépendance aux importations de céréales supérieur à 70%
Pays | Ratio de dépendance aux importations de céréales (en %) | Rang |
---|---|---|
Djibouti | 100 | 1er |
Libye | 100 | 2ème |
Cabo Verde | 96,8 | 3ème |
Maurice | 94,9 | 4ème |
Gabon | 94,7 | 5ème |
Congo Brazzaville | 88,9 | 6ème |
Somalie | 88,5 | 7ème |
Gambie | 84,9 | 8ème |
Lesotho | 81,9 | 9ème |
Algérie | 80,6 | 10ème |
Namibie | 75,2 | 11ème |
Botswana | 74,6 | 12ème |
Maroc | 73,8 | 13ème |
Tunisie | 72 | 14ème |
Libéria | 71,9 | 15ème |
Source : CNUCED.