Classification Banque mondiale des revenus par habitant: quel pays africain est le mieux classé, qui est en ascension, et qui est dégradé

Persistance des défis structurels sur le continent, selon la Banque Mondiale.

Le 09/07/2025 à 16h29

Derrière les chiffres du Revenu National Brut (RNB) par habitant 2024 se cachent deux Afriques: celle des niches stables et celle des ressources vulnérables. Selon la Banque mondiale, sans diversification urgente, la trappe à revenu intermédiaire guette même les mieux dotés.

La dernière publication annuelle de la Banque mondiale sur les classifications de revenus des pays offre un instantané révélateur des dynamiques économiques africaines. Fondées sur le Revenu National Brut (RNB) par habitant (méthode Atlas), ces catégories– revenu faible, moyen-inférieur, moyen-supérieur et élevé– influencent l’accès aux financements concessionnels et reflètent des trajectoires de développement.

Pour l’Afrique, trois enseignements majeurs émergent: la pérennité des Seychelles comme unique économie à revenu élevé, les mouvements contrastés du Cap-Vert et de la Namibie, et la persistance des défis structurels sur le continent.

Les Seychelles, leadership consolidé

Avec un Revenu National Brut (RNB) par habitant de 17.460 USD en 2024, les Seychelles conservent leur statut de seule économie africaine classée dans la catégorie des pays à revenu élevé (High Income), un rang maintenu sans interruption depuis 2015. C’est le pays africain le mieux classé. Ce statut permet au pays de figurer aux côtés d’économies intermédiaires comme la Russie (15.320 dollars) ou le Panama (17.960 dollars), tout en restant distancées par des puissances mondiales telles que les États-Unis (83.660 dollars) ou le Royaume Uni (48.610 dollars).

Une longévité qui consacre le succès d’une stratégie de diversification fondée sur un tourisme haut de gamme et des services financiers offshore, compensant ainsi les vulnérabilités structurelles liées à leur insularité.

Toutefois, cette position enviable masque mal l’isolement du pays au sein du paysage économique africain, soulignant le fossé persistant entre l’Afrique et d’autres régions émergentes qui comptent davantage de représentants dans cette élite. Le modèle des Seychelles démontre que la valeur ajoutée tirée de niches spécialisées peut surpasser les handicaps géographiques, mais son caractère exceptionnel rappelle cruellement le retard structurel du continent.

Cabo Verde et Namibie, deux trajectoires opposées

La trajectoire contrastée de Cabo Verde et de la Namibie en 2024 illustre avec acuité les opportunités et vulnérabilités des économies africaines. Cabo Verde a opéré une ascension remarquée vers la catégorie des revenus moyen-supérieurs (Upper-Middle Income), son RNB par habitant bondissant de 4.280 dollars en 2023 à 5.000 dollars en 2024. Cette progression, attribuable à un rebond spectaculaire du tourisme (+16,5% dans les secteurs connexes) et à une correction démographique significative (-12,8%), permet désormais au pays d’intégrer un groupe comprenant l’Afrique du Sud (6.100 dollars) et le Botswana (7.750 dollars).

À l’inverse, la Namibie a subi une dégradation symbolique, son RNB par habitant chutant de 4.870 dollars à 4.240 dollars, la reléguant dans la catégorie des revenus moyen-inférieurs (Lower-Middle Income). Un recul qui s’explique par un effondrement du secteur minier (-1,2% après +19,3% en 2023) et une révision démographique défavorable (+13,8%).

Des mouvements opposés qui révèlent une loi implacable : Cabo Verde a su capitaliser sur des actifs renouvelables (tourisme) tout en bénéficiant d’un choc statistique positif, tandis que la Namibie paie le prix de sa dépendance aux matières premières non transformées et à des données démographiques révisées.

Une divergence qui place désormais la Namibie aux côtés d’économies comme le Maroc (3.760 dollars) et la Tunisie (3.900 dollars), soulignant l’impérieuse nécessité de diversification pour les pays dépendants des ressources extractives.

Les autres économies africaines: une stagnation préoccupante

L’Afrique subsaharienne demeure majoritairement engluée dans les bas revenus, avec 45% de ses pays classés dans la catégorie Low Income en 2024– un progrès relatif depuis 1987 (75%), mais qui contraste avec les bonds observés en Asie du Sud ou en Amérique latine.

Une stagnation qui reflète des défis systémiques: des économies comme le Gabon (7.550 dollars) ou la Libye (6.310 dollars), bien que dotées de ressources abondantes, peinent à franchir le seuil des High Income (supérieur à 13.935 dollars), tandis que des poids démographiques majeurs tels que l’Égypte (3.510 dollars) et la Côte d’Ivoire (2.510 dollars) stagnent durablement dans la tranche Lower-Middle Income.

Une inertie qui révèle une dépendance persistante aux matières premières non transformées et une faible intégration aux chaînes de valeur mondiales. Le décollage durable exige une transformation structurelle urgente: diversification économique hors secteurs primaires, investissement dans le capital humain pour doper la productivité, et accélération de l’intégration régionale pour créer des marchés résilients. Sans ces leviers, le risque d’une «trappe à revenu intermédiaire» guette même les économies les plus prometteuses.

Géopolitique et impératifs stratégiques

C’est le lieu de souligner que ces mouvements de catégorie surviennent dans un contexte technique particulier. Les seuils de la Banque mondiale ont légèrement baissé en 2025 (passant à plus de 13.935 dollars pour les High Income contre plus de 14.005 dollars en 2024), sous l’effet de l’appréciation du dollar américain.

Pour les décideurs africains, cette publication agit comme un signal d’alarme stratégique. Cabo Verde gagnerait à consolider son ascension vers les Upper-Middle Income en investissant dans les énergies renouvelables et la formation professionnelle, sans quoi sa dépendance au tourisme– secteur vulnérable aux chocs externes– pourrait la faire basculer dans une régression à la namibienne.

La Namibie, quant à elle, gagnerait à transformer sa déclassification en opportunité: accélérer la diversification via des partenariats pour la transformation locale de ses minerais (diamants, uranium), réduisant ainsi sa vulnérabilité aux fluctuations des cours mondiaux.

Les pays africains à revenu intermédiaire, comme l’Algérie (5.320 dollars) ou l’Afrique du Sud (6.100 dollars), gagneraient pour leur part à renforcer l’innovation et leur compétitivité industrielle pour éviter l’enlisement. Cela dit, ces classifications ne sont pas des finalités, mais des baromètres de résilience économique: l’exemple des Seychelles, stables depuis 2015 dans le groupe High Income, prouve que la gouvernance transparente et la stabilité politique sont des multiplicateurs de croissance incontournables.

L’urgence pour le continent est désormais claire: convertir les richesses naturelles en prospérité partagée avant que la remontée technique des seuils de la Banque mondiale ne rende la tâche plus ardue.

RNB africain en 2024 : l’Afrique entre niches stables, rebonds et vulnérabilités

Catégorie / dynamiquePaysRNB/hab 2024 (USD)Tendance / ÉvolutionPrincipaux facteurs explicatifs
Leader africain (Revenu élevé)Seychelles17 460Stable depuis 2015Tourisme haut de gamme, services financiers offshore. Diversification réussie malgré l’insularité.
Ascension notableCabo Verde5 000↑ Vers Revenu moyen-supérieurRebond du tourisme (+16.5%), correction démographique favorable (-12.8%). Capitalisation sur des actifs renouvelables.
Dégradation Namibie4 240↓ Vers Revenu moyen-inférieurEffondrement du secteur minier (-1,2%), révision démographique défavorable (+13,8%). Dépendance aux matières premières non transformées.
StagnationsAfrique du Sud6 100Stagnation (Moyen-Supérieur)Défis structurels persistants.
-Botswana7 750Stagnation (Moyen-Supérieur)-
-Gabon7 550Stagnation (Moyen-Supérieur)Difficulté à franchir le seuil élevé malgré les ressources.
-Libye6 310Stagnation (Moyen-Supérieur)-
-Algérie5 320Stagnation (Moyen-Supérieur)-
-Tunisie3 900Stagnation (Moyen-Inférieur)-
-Maroc3 760Stagnation (Moyen-Inférieur)-
-Égypte3 510Stagnation (Moyen-Inférieur)-
-Côte d’Ivoire2 510Stagnation (Moyen-Inférieur)-
Contexte & Enjeu MajeurAfrique Subsaharienne-45% en Revenu faibleProgrès relatif depuis 1987 (75%), mais stagnation globale. Risque de « trappe à revenu intermédiaire ». Urgence de diversification, investissement dans le capital humain et intégration régionale. Seuil Haut Revenu 2025 (technique) : > 13 935 USD (baisse légère due à l’appréciation du dollar).

Source : Banque Mondiale.

Par Modeste Kouamé
Le 09/07/2025 à 16h29