Coupes dans l’aide internationale à l’éducation. Fuite de cerveaux, décrochage: les pays africains et les régions qui en paieront le prix fort

Coupes budgétaires. DR

Le 16/09/2025 à 16h24

Une récente analyse du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) révèle l’impact des coupes dans l’aide internationale à l’éducation, notamment en Afrique qui serait en première ligne d’une crise annoncée.

En cette période de rentrée scolaire, le contraste est saisissant entre les préparatifs académiques nationaux et la sombre réalité financière qui se dessine pour l’éducation dans les pays les plus vulnérables. Une récente analyse de l’UNICEF, intitulée «Réductions des aides à l’éducation: une promesse non tenue envers les enfants», dresse un constat alarmant: une baisse projetée de 24% de l’aide internationale à l’éducation d’ici 2026.

C’est le lieu de braquer nos projecteurs sur les pays et régions d’Afrique les plus touchés et les implications profondes de ces décisions.

L’analyse de l’UNICEF est sans équivoque. Le continent africain subira de plein fouet les conséquences des réductions de l’Aide Publique au Développement (APD) dédiée à l’éducation. Les données régionalisées permettent d’identifier avec une précision chirurgicale les zones les plus vulnérables.

Les pays et régions en première ligne

Deux pays sont nommément cités pour les «reculs les plus importants»: la Côte d’Ivoire et le Mali. Chacun de ces pays risque de voir son taux de scolarisation actuel chuter de 4%, ce qui se traduirait respectivement par 340.000 et 180.000 enfants exclus du système scolaire. Cette focalisation sur des nations ouest-africaines, déjà en proie à des défis sécuritaires et politiques, est un signal d’alarme criant. Elle illustre comment les coupes budgétaires frappent prioritairement des systèmes éducatifs en construction, annihilant des années de progrès fragiles.

Au-delà de ces cas spécifiques, l’analyse régionale détaillée par l’UNICEF confirme que l’Afrique subsaharienne est l’épicentre de la crise. Deux régions programme de l’UNICEF sont particulièrement impactées.

En première ligne, l’Afrique de l’Ouest et Centrale (WCA). La région subira la réduction absolue la plus importante du continent, avec 414 millions de dollars de coupes (soit -25%). Le nombre d’enfants supplémentaires risquant de décrocher y est le plus élevé de toutes les régions du monde: 1.932.969. Près de 88 millions d’élèves verront également la qualité de leur éducation se dégrader en raison d’un soutien réduit au renforcement des systèmes.

Vient ensuite l’Afrique Orientale et Australe (ESA). La région programme n’est pas épargnée, avec des coupes s’élevant à 391 millions de dollars (-28%), menaçant 1,2 million d’enfants de déscolarisation et affectant la qualité de l’enseignement pour 31 millions d’élèves.

Il est crucial de noter que ces régions comptent un grand nombre de pays les moins avancés (PMA) et de contextes de crises humanitaires. Or, l’UNICEF indique que 30% des 6 millions d’enfants supplémentaires risquant de décrocher à l’échelle globale se trouvent justement dans des contextes humanitaires. Les coupes dans l’éducation en situations d’urgence (745 millions de dollars, -24%) auront un effet dévastateur sur des pays comme la Somalie ou la République Centrafricaine, où l’UNICEF estime que l’aide perdue pourrait représenter «plus de 10% de leur budget public de l’éducation».

Une menace systémique

Au-delà des chiffres bruts, cette analyse révèle trois enseignements majeurs, particulièrement pertinents pour l’Afrique.

Premièrement, il s’agit d’une crise aux multiples facettes. La réduction de l’aide n’affecte pas seulement l’accès à l’école (le quantitatif), mais aussi sa qualité (le qualitatif). La baisse de 500 millions de dollars (-20%) dans le renforcement des systèmes (formation des enseignants, programmes scolaires, évaluations) est une bombe à retardement. Elle «affaiblira les fondations et l’efficacité à long terme des systèmes éducatifs», entraînant une fuite des cerveaux enseignants irréversible à court terme. Concrètement, il faudrait y voir une érosion du capital humain, pilier fondamental du développement économique.

Deuxièmement, les coupes sont anti-redistributives et sapent les progrès les plus fragiles. Elles ciblent disproportionnément les leviers les plus efficaces et les populations les plus vulnérables. La baisse de 57% des programmes d’alimentation scolaire (190 millions de dollars), souvent le seul repas nutritif de l’enfant, ou la réduction de 28% de l’aide dédiée à l’éducation des filles (123 millions de dollars), risquent d’annuler des décennies d’efforts. Comme le note l’UNICEF, les progrès en matière de parité dans les pays les moins avancés, durement acquis, sont «menacés de s’inverser».

Troisièmement, l’analyse révèle un désengagement stratégique et un transfert de risque. Le retrait des bailleurs bilatéraux place les agences multilatérales dans une impasse financière, comme en témoigne le cas cité des enfants Rohingyas en Asie.

Pour l’Afrique, cela signifie que les promesses de développement et de stabilité à long terme, dont l’éducation est la clé de voûte, sont purement et simplement abandonnées au moment même où les besoins sont les plus criants. On passe d’une logique d’investissement à une logique de désinvestissement, avec pour conséquence directe une perte estimée à 164 milliards de dollars de revenus potentiels pour toute la génération affectée.

Vision court-termiste

Le sous-titre du rapport de l’UNICEF résume tout : «Une promesse non tenue envers les enfants». Ce qui est révélé ici, bien au-delà d’un simple ajustement budgétaire, c’est une rupture unilatérale du contrat social international.

D’un point de vue économique, plusieurs travaux en économie du développement démontrent que l’investissement dans l’éducation primaire et la petite enfance offre les rendements socio-économiques les plus élevés. Couper dans ces secteurs, c’est sciemment hypothéquer la croissance future, la stabilité sociale et la résilience économique des nations partenaires, avec des conséquences qui se répercuteront inévitablement sur la scène globale (migrations, sécurité, marchés).

Sur le plan politique, cela révèle un effondrement de la volonté politique de la part des pays donateurs et un manque criant de vision stratégique. L’agenda d’Addis-Abeba, qui préconise que 50% de l’APD éducative soit allouée aux PMA, est ignoré. La complexité de l’architecture de l’aide, pointée par l’UNICEF, sert trop souvent d’alibi à l’inaction.

Ainsi, l’analyse de l’UNICEF est plus qu’un signal d’alarme. Les pays africains, avec la Côte d’Ivoire et le Mali en symboles, et les régions d’Afrique de l’Ouest et Centrale ainsi que d’Afrique Orientale et Australe en épicentres, en paieront le prix le plus fort.

Aide internationale à l’éducation : l’Afrique face à une crise annoncée

AspectDétails & chiffres clés
Tendance GénéraleBaisse projetée de 24% de l’aide internationale à l’éducation d’ici 2026.
Pays les plus touchésCôte d’Ivoire (-340 000 enfants scolarisés) et Mali (-180 000 enfants scolarisés), chacun avec une baisse projetée de 4% du taux de scolarisation.
Régions les plus touchées1. Afrique de l’Ouest et Centrale (WCA) : -414 M$ (-25%). 1,93 million d’enfants à risque de décrochage.

2. Afrique Orientale et Australe (ESA) : -391 M$ (-28%). 1,2 million d’enfants à risque de décrochage.
Impacts principauxAccès à l’école : 6 millions d’enfants supplémentaires risquent de décrocher dans le monde.
Qualité de l’éducation : 119 millions d’élèves verront la qualité de leur éducation se dégrader.
Systèmes éducatifs : Baisse de 500 M$ (-20%) pour leur renforcement (formation des enseignants, etc.), risquant de provoquer une fuite des cerveaux.
Programmes spécifiques affectésAlimentation scolaire : -190 M$ (-57%).
Éducation des filles : -123 M$ (-28%), menaçant la parité.
Éducation en situations d’urgence : -745 M$ (-24%), affectant des pays comme la Somalie et la RCA.
Conséquences à long terme• Rupture du « contrat social international ».
• Perte estimée à 164 milliards de dollars de revenus potentiels pour la génération affectée.
• Hypothèque sur la croissance future, la stabilité sociale et la résilience économique de l’Afrique.

Source: UNICEF.

Par Modeste Kouamé
Le 16/09/2025 à 16h24