Cour internationale d’arbitrage: les 10 pays africains avec le plus de parties en litige commercial

Recours à la Cour internationale d'arbitrage en cas de litige commercial

Le 27/06/2025 à 10h45

Selon le rapport 2024 de la Cour internationale d’arbitrage, 194 parties issues de 31 pays africains, qu’ils soient demandeurs ou défendeurs, ont été concernés par des litiges commerciaux internationaux. Les secteurs de l’énergie et des BTP dominent les affaires traitées, tandis que les procédures accélérées restent sous-exploitées. Mais cette dynamique, portée par les mégaprojets, se heurte à des défis structurels majeurs.

La Cour internationale d’arbitrage vient de publier son dernier Bulletin statistique intitulé «ICC Dispute Resolution Statistics 2024», relatif au règlement des litiges commerciaux internationaux par voie d’arbitrage.

Ce Bulletin statistique révèle une participation africaine croissante, avec 194 parties issues de 31 pays (8,1% du total mondial) contre 187 parties issues de 32 pays africains en 2023 (7,8% du total mondial). Entendez par parties les acteurs engagés dans les litiges (demandeurs ou défendeurs).

Cette progression, malgré un léger resserrement géographique, confirme l’intégration accrue du continent dans l’arbitrage commercial international.

À l’échelle mondiale, les 2.392 parties proviennent de 136 juridictions, confirmant le caractère multipolaire de l’arbitrage ICC. L’Europe du Nord et de l’Ouest domine (30,2%), suivie de l’Amérique latine et Caraïbes (21,4%, hausse significative vs 14,5% en 2023). Les États-Unis (167 parties) et le Brésil (156) restent les acteurs majeurs. L’Asie-Pacifique (22%) et le Moyen-Orient (9%) illustrent la diversification des flux économiques, tandis que l’Afrique (8,1%) consolide sa présence malgré des défis structurels.

Top 10 africain : Ghana et Sénégal en tête

Le classement 2024 des pays africains les plus actifs en arbitrage ICC révèle une hiérarchie inédite. Le Ghana domine avec 22 parties, suivi du Sénégal (21), du Maroc (16), de l’Algérie (15), de l’Afrique du Sud (14), du Liberia (11) et du Nigeria (10). Aux trois dernières places du Top 10 africain figurent l’Egypte (9), Maurice (9), et le Cameroun ex aequo avec la Tanzanie (7).

Cette distribution, couvrant 31 pays africains pour un total de 194 parties, illustre une diversification stratégique au-delà des poids lourds traditionnels. Disons que l’émergence du Ghana et du Sénégal en tête reflète l’accélération des investissements intra-africains et la maturation des cadres juridiques nationaux, comme l’OHADA qui sécurise les contrats transfrontaliers.

Le Liberia, bien que petit marché, confirme son statut de plaque tournante des litiges maritimes.

Secteurs clés : Énergie et BTP dominants

Les secteurs construction/ingénierie (23,2%) et énergie (20,5%) totalisent 44% des nouveaux litiges ICC– une tendance lourde pour l’Afrique, où les mégaprojets d’infrastructures et énergétiques génèrent des conflits complexes. Des chiffres qui soulignent l’impérieuse nécessité pour les entreprises africaines de négocier des clauses arbitrales adaptées aux risques locaux, notamment dans les partenariats publics-privés (PPP).

La prépondérance des acteurs étatiques (19% des nouveaux cas ICC), particulièrement au Ghana et au Sénégal, exige des mécanismes spécifiques: les clauses de stabilisation fiscale, les protocoles de règlement des différends investisseur-État (ISDS), et la définition précise du statut «d’entité publique» sont désormais incontournables pour atténuer les risques de contentieux asymétriques.

Cette vigilance est cruciale dans un contexte où 15% des litiges impliquant l’Afrique du Nord et l’Asie-Pacifique concernent des États – un taux supérieur à la moyenne mondiale.

Enjeux financiers et représentation de l’Afrique

37% des litiges ICC mondiaux portent sur moins de 3 millions de dollars– seuil déclenchant la procédure accélérée (EPP). Or, l’Afrique peine à exploiter cet outil, seuls 5 des 152 cas EPP 2024 résultaient d’un «opt-in» volontaire.

La EPP est sous-utilisée alors qu’elle réduit délais (6 mois) et coûts. Les PME africaines gagneraient à l’intégrer systématiquement pour les litiges «moyens».

A cela s’ajoute le fait que seulement 4% des 1.427 nominations d’arbitres concerne l’Afrique (dont 2,5% en Afrique du Nord). Un décalage criant avec le poids des parties (8%).

Une sous-représentation qui pénalise la légitimité perçue des procédures. Dans un tel contexte, les institutions régionales (OHADA, SADC) gagneraient à former des pools d’arbitres locaux capables de gérer des dossiers complexes.

Risque-pays: les défis structurels

La concentration des litiges dans les sept pays leaders masque des fragilités systémiques, comme le soulignent les données ICC 2024. La dépendance aux matières premières (notamment dans les secteurs énergie et mines) amplifie les contentieux lors des chocs économiques, comme en témoignent les 20.5% de litiges énergétiques globaux de la CCI.

La complexité procédurale est exacerbée par la multiplicité des parties– l’année 2024 ayant enregistré un cas impliquant jusqu’à 40 parties, notamment dans les mégaprojets énergétiques et d’infrastructures, où les consortiums internationaux croisent les intérêts des États africains. Le Liberia, avec ses 11 parties, illustre cette complexité dans l’exploitation offshore et les contrats de concession, ce qui compromet l’exécution efficace des sentences arbitrales dans des contextes juridiques fragmentés.

Par ailleurs, l’arbitrage limité des litiges liés aux infrastructures critiques (centrales énergétiques, réseaux de transport) constitue un écueil majeur, particulièrement dans les juridictions où l’interventionnisme étatique reste prégnant. Le paradoxe nigérian et libérien est éclairant: leur forte représentation dans les contentieux (10 et 11 parties respectivement) contraste avec leur vulnérabilité institutionnelle, démontrant que la quantité de litiges ne préjuge pas de la qualité de la sécurité juridique, peut-on nuancer pour souligner la nécessité de mécanismes de suivi post-sentence.

Une dynamique à consolider

Si le trio Ghana-Sénégal-Maroc incarne la dynamique continentale, sa pérennisation exige des réformes ciblées.

Premièrement, la généralisation des procédures accélérées s’impose pour les litiges sous 3 millions de dollars (37% des cas ICC), outil sous-exploité en Afrique malgré son efficacité démontrée (152 cas traités en 2024).

Deuxièmement, le développement de viviers d’arbitres locaux via les universités et centres régionaux devient urgent face à la sous-représentation criante des professionnels africains (4% des nominations seulement contre 8% de parties).

Troisièmement, l’adaptation des clauses contractuelles aux risques politiques doit intégrer systématiquement les protections des traités bilatéraux d’investissement et les garanties contre les expropriations, particulièrement pertinentes lorsque des États ou entités publiques sont impliqués (19% des nouveaux cas).

Classement des pays africains par nombre de parties

Rang en 2024PaysNombre de parties en 2024Nombre de parties en 2023
1erGhana228
2èmeSénégal212
3èmeMaroc1634
4èmeAlgérie1511
5èmeAfrique du Sud147
6èmeLiberia111
7èmeNigeria1014
8èmeEgypte914
9èmeMaurice96
10èmeCameroun75

Source : ICC Dispute Resolution Statistics 2024 et 2023.

Par Modeste Kouamé
Le 27/06/2025 à 10h45