Crédibilité des données macroéconomiques selon le FMI: les pays africains fiables, intermédiaires et ceux qui le sont moins

52 pays africains sont classés en trois catégories (SGDD-a, SGDD classique, NSDD) par le FMI, hormis l’Érythrée et le Soudan du Sud.

Le 23/05/2025 à 11h12

La Centrafrique a rejoint 33 pays africains en adoptant le SGDD-a, qui constitue un niveau intermédiaire du FMI visant à standardiser les données macroéconomiques. Outre cette norme, il en existe deux autres : SGDD classique, qui constitue le niveau de base, et la NSDD, représentant le niveau d’exigence le plus élevé en matière de fiabilité des données publiées. Toutefois, ces normes techniques ne suffisent pas, à elles seules, à garantir l’intégrité des données.

La crédibilité des données macroéconomiques africaines, enjeu clé pour les investisseurs, se heurte à un dilemme: normes internationales versus réalités politiques locales. Le 19 mai 2025, la République centrafricaine (RCA) a rejoint les 33 pays africains dont le Rwanda, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, l’Angola, l’Ethiopie,le Kenya, et 75 nations mondiales en adoptant le Système général de diffusion des données amélioré (SGDD-a), un cadre du FMI lancé en 2015 pour standardiser la diffusion de données macroéconomiques essentielles (comptes nationaux, dette publique, secteur extérieur).

Il exige la publication centralisée sur une plateforme unique (PNRD), avec métadonnées standardisées (SDMX), visant à améliorer la transparence, faciliter les analyses comparatives et attirer les investisseurs via une meilleure lisibilité des risques économiques.

Selon Bert Kroese, statisticien en chef du FMI, il s’agit de «favoriser la transparence en tant que bien public mondial», un impératif dans un contexte où l’accès à des données fiables est crucial pour les investisseurs, les créanciers et les institutions internationales.

Pour les pays africains, souvent confrontés à des défis de crédibilité économique, le SGDD-a offre une opportunité de signalisation institutionnelle. En harmonisant leurs pratiques avec des standards internationaux, ces nations cherchent à améliorer leur attractivité. Par exemple, le communiqué du FMI publié le 10 avril 2023, suite à l’adoption par le Burundi du SGDD-a, souligne que le système permet de «favoriser une croissance durable» et de «prévenir les crises économiques» via une détection précoce des déséquilibres.

Cette initiative, soutenue par des acteurs comme la Banque africaine de développement (BAD) et le Japon, marque une avancée dans la transparence macroéconomique. Mais au-delà des déclarations officielles, que révèle cette adhésion et les précédentes sur les dynamiques économiques et institutionnelles africaines?

La hiérarchie des normes de diffusion des statistiques en Afrique: SGDD classique, SGDD-a et NSDD

C’est le lieu de relever que 52 pays africains sont classés en trois catégories (SGDD-a, SGDD classique, NSDD) par le FMI, hormis l’Érythrée et le Soudan du Sud, qui n’ont pas encore adhérés à ces standards. Autant dire que cette classification révèle une fracture institutionnelle et économique. Les 34 pays du SGDD-a, dont la Centrafrique, priorisent une transparence structurée: publication centralisée (plateformes open data), métadonnées standardisées et alignement sur les bonnes pratiques du FMI. Une approche qui facilite l’accès aux financements internationaux et renforce la crédibilité auprès des investisseurs.

Toutefois, leur engagement reste moins contraignant que la NSDD (Norme spéciale de diffusion des données), norme d’élite adoptée par seulement sept pays (Maroc, Afrique du Sud, Sénégal, Égypte, Tunisie, Maurice et Namibie), exigeant rapidité, fréquence et vérification externe des données. Cette norme représente le niveau le plus élevé d’exigence statistique du FMI sur le continent.

Contrairement au SGDD-a, elle impose non seulement une diffusion rapide et régulière des données, mais aussi un contrôle externe strict de leur qualité, aligné sur les attentes des marchés financiers internationaux. Ces pays s’engagent à publier des indicateurs macroéconomiques selon des calendriers précis (par exemple, les données budgétaires mensuelles) et à fournir des métadonnées détaillées vérifiées par le FMI.

Cette rigueur, synonyme de crédibilité accrue, leur permet d’accéder à des financements souverains à des coûts réduits et d’attirer des investisseurs institutionnels exigeants, comme les fonds de pension ou les gestionnaires d’actifs globaux. Toutefois, cette conformité exige des infrastructures statistiques robustes et une gouvernance transparente, souvent hors de portée des économies fragiles ou en crise.

Les neuf pays africains restés au SGDD classique (Algérie, Congo RDC, Djibouti, Libye, Mali, Niger, Liberia, Soudan, Congo-Brazzaville) incarnent une phase intermédiaire et illustrent les limites des systèmes statistiques dans des contextes de fragilité politique ou économique.

Leur participation au SGDD, cadre volontaire et non contraignant, se traduit par des progrès graduels, sans échéances impératives ni sanctions en cas de retard. Prenant l’exemple de l’Algérie, la Banque mondiale souligne, en mai 2024, dans un communiqué l’importance stratégique d’investir dans des données robustes et diversifiées pour éclairer les politiques publiques. Autre exemple, Djibouti n’a toujours pas modernisé ses plateformes de diffusion et tarde à adopter le SGDD-a, faute de capacités techniques ou de volonté politique. Pour sa part, le Congo RDC peine à harmoniser les données entre Kinshasa et les provinces.

Cette flexibilité, bien qu’adaptée à des capacités techniques limitées, maintient ces économies dans une zone grise statistique: leurs données, souvent disparates ou obsolètes, freinent l’évaluation des risques par les investisseurs et compliquent l’accès aux prêts concessionnels. Le SGDD classique agit ainsi comme un outil de transition, mais son manque d’ambition normative perpétue un cercle vicieux: sans données fiables, peu de confiance économique; sans confiance, peu de moyens pour améliorer les données.

Ainsi, le SGDD-a sert de tremplin vers la NSDD, pour passer d’un cadre amélioré à une norme rigoureuse. Pour les 34 pays africains du SGDD-a, l’enjeu est double: transformer la transparence en levier économique (meilleures notations souveraines, accès aux marchés financiers); et surmonter les lacunes structurelles (coordination interministérielle, financements durables). La RCA, fragilisée par des crises, devra ainsi pérenniser sa Page nationale récapitulative de données (PNRD) sans dépendre exclusivement de l’aide japonaise ou de la BAD.

Comme l’indique le communiqué publié par le FMI, la RCA a lancé sa PNRD, un portail unique alimenté par l’Institut centrafricain des statistiques et des études économiques et sociales (ICASEES), en étroite collaboration avec la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et le ministère des Finances et du Budget du pays.

Une centralisation essentielle dans un pays marqué par des crises politiques récurrentes: elle renforce la crédibilité des données, prérequis pour sécuriser des financements internationaux. Comme le note Bert Kroese, «le pays bénéficiera d’une meilleure transparence», un atout dans les négociations avec le FMI ou les bailleurs.

Enfin, cette hiérarchie statistique reflète une Afrique à plusieurs vitesses. Si le SGDD-a consolide la gouvernance économique, son succès dépendra de sa capacité à générer des retombées tangibles: prévention des crises, comme au Burundi, ou attractivité accrue, à l’image du Rwanda.

Sénégal: quand la NSDD échoue à empêcher les manipulations comptables

Le récent scandale des comptes publics au Sénégal, pays pourtant soumis au standard NSDD– norme statistique d’élite du FMI–, interroge les limites des cadres techniques face à l’opacité politique. En théorie, la NSDD impose une transparence maximale: diffusion rapide notamment des données budgétaires, vérification externe par le FMI, et métadonnées standardisées. Pourtant, des irrégularités majeures ont été révélées en 2025, conduisant le FMI à geler son programme d’appui financier avec Dakar. Un cas qui soulève une question cruciale: comment un pays «modèle» en matière de normes statistiques peut-il falsifier ses données ?

La réponse réside dans l’écart entre les standards techniques et l’intégrité politique. La NSDD, bien qu’exigeante sur la forme (calendriers, formats), ne garantit pas la véracité des données. Au Sénégal et dans d’autres pays comme la Grèce (après les élections de 2009), les pressions pour respecter les ratios d’endettement ont conduit à des artifices comptables : reports de dépenses, surfacturations masquées. Ces manipulations, facilitées par la faiblesse des contre-pouvoirs locaux (Cour des comptes, Parlement), illustrent un déficit de gouvernance institutionnelle que même la NSDD ne peut corriger.

La Côte d’Ivoire et d’autres sont-ils à l’abri ?

Abordant les défis potentiels de l’alternance politique en Côte d’Ivoire, Hier 22 mai 2025, le porte-parole du PPA-CI, parti politique d’opposition fondé par Laurent Gbagbo en octobre 2021 a exprimé une inquiétude lors d’un point de presse, qui mérite d’être soulevée : « Est-ce que la Côte d’Ivoire est à l’abri de ce qui s’est passé au Sénégal, notamment la falsification des comptes publiques pour rester conforme aux ratios économiques, vu la similitude des deux économies en termes de structure et de pratiques gouvernementales ?», s’interroge Justin Koné Katinan, ex-ministre du Budget en décembre 2010, deuxième vice-président et porte-parole du PPA-CI. Disons que la question concerne plus d’un pays, au-delà de la Côte d’Ivoire et bien au-delà de nos tropiques, comme l’on a pu le voir en Grèce.

La sortie de l’opposant ivoirien n’est pas anodine. A la différence du Sénégal, la Côte d’Ivoire est soumise au SGDD-a, tremplin vers les standards NSDD, mais les deux pays partagent des vulnérabilités structurelles : dépendance à l’agro-industrie, dette publique relativement élevée (autour de 55-59% du PIB pour la Côte d’Ivoire ; environ 105,7 % du PIB à la fin de 2024, pour le Sénégal, avec une projection pouvant aller jusqu’à 114 % du PIB, bien au-delà des chiffres déclarés précédemment). Si Abidjan affiche des données macroéconomiques «conformes», la similarité des pratiques politiques (clientélisme, centralisation des décisions budgétaires) avec Dakar nourrit des doutes.

Il faut dire que le scandale des comptes publics au Sénégal ébranle la crédibilité du FMI, dont le rôle de «gendarme» repose sur une présomption de rigueur. En gelant son programme d’appui financier au Sénégal en raison de la découverte de dettes non déclarées et d’irrégularités dans les données budgétaires communiquées par l’ancien gouvernement, l’institution tente de préserver sa réputation, mais son incapacité à détecter en amont les fraudes interroge.

Les missions de vérification du FMI, souvent limitées à des échanges avec les ministères techniques, ignorent les réalités du terrain. Ainsi, l’on pourrait dire que le FMI travaille avec les chiffres fournis par les États. Si un gouvernement veut tricher, il le peut.

En définitive, le cas sénégalais permet de donner quatre leçons aux pays africains.

Premièrement, le SGDD-a ou la NSDD ne suffisent pas. Ils doivent s’accompagner d’un renforcement des institutions locales (Cour des comptes, médias d’investigations, Parlement). S’il est vrai que ces standards renforcent l’intégration des pays africains dans l’économie globale, ils interrogent également leur capacité à transformer ces normes en leviers endogènes de développement. Rappelons également qu’il s’agit de «cadre de référence»– non d’une fin en soi. L’objectif étant d’internaliser ces standards, au-delà des impératifs de conformité internationale.

La deuxième leçon est relative au rôle ambigu du FMI. Sa dépendance aux données fournies par les États limite son efficacité. Pour pallier ce biais, pourquoi ne pas pas impliquer davantage la société civile dans les audits?

Troisième leçon: les normes comme le SGDD-a ou la NSDD améliorent l’accessibilité des données, pas nécessairement leur intégrité.

Quatrième leçon: si les cadres statistiques du FMI sont un progrès, ils ne remplacent pas une réforme profonde de la gouvernance.

Ainsi, l’on peut avoir les meilleures normes du monde, mais si les dirigeants manquent d’éthique, les chiffres manqueront de sincérité. La vraie transparence est d’abord une question de volonté politique– une denrée rare dans bien des capitales africaines.

Crédibilité des données africaines : entre normes FMI et réalités politiques – Le cas édifiant du Sénégal

Eléments clésDétails
Contexte- La RCA rejoint 33 pays africains dans l’adoption du SGDD-a (norme FMI pour standardiser les données macroéconomiques).
- Enjeu : Crédibilité des données vs réalités politiques locales.
Hiérarchie des Normes- NSDD (7 pays africains) : Norme élite, vérification externe stricte.
- SGDD-a (34 pays) : Transparence structurée, publication centralisée.
- SGDD classique (9 pays) : Flexibilité, progrès graduels.
Enjeux/Limites- Les normes techniques (SGDD-a, NSDD) ne garantissent pas l’intégrité des données.
- Manipulations comptables possibles (ex. Sénégal sous NSDD).
- Dépendance à la volonté politique et aux institutions locales.
Cas d’étude- RCA : Centralisation des données via PNRD, soutien de la BAD et du Japon.
- Sénégal : Scandale de falsification malgré la NSDD, gel du programme FMI.
- Côte d’Ivoire : Risques similaires au Sénégal malgré le SGDD-a.
Leçons Clés1. Renforcer les institutions locales (Cour des comptes, médias).
2. Impliquer la société civile dans les audits.
3. Les normes améliorent l’accessibilité, pas l’intégrité.
4. Réforme de la gouvernance indispensable.
Par Modeste Kouamé
Le 23/05/2025 à 11h12