Culture du thé: ce que gagneraient ces 5 pays africains en privilégiant les productions durables

Une agricultrice cueillant des feuilles de thé dans une plantation au Kenya.. AFP or licensors

Le 12/03/2024 à 11h13

Selon l’Institut international du développement durable, cinq pays africains gagneraient à profiter de la demande croissante de thé durable. Cependant, pour saisir pleinement cette opportunité, ces pays doivent adopter des pratiques de culture conformes aux normes volontaires de durabilité et assurer les coûts liés à la certification.

Dans un contexte mondial où la demande de thé durable ne cesse d’augmenter, le Mali, le Mozambique, la République Démocratique du Congo (RDC), le Malawi et l’Éthiopie se trouvent dans une position idéale pour tirer parti de cette tendance prometteuse, relève l’Institut international du développement durable (IISD) dans son rapport publié en janvier dernier.

Ce qui n’est pas le cas du Kenya, premier producteur de thé conventionnel en Afrique affichant en 2023 des exportations en augmentation de 31% en valeurs, ou même l’Ouganda.

Pour se faire une idée de la manne que ces pays laissent filer, l’IISD souligne qu’en Turquie, les thés conventionnels sont parfois jusqu’à 625% moins chers que les alternatives plus durables.

Selon l’IISD, la demande de thé écologique devrait augmenter de manière significative aux États-Unis et en Europe d’ici 2026, avec des taux de croissance prévus respectivement à 8,4 % et 6,6 %. Autant dire que ces cinq pays africains ont une opportunité unique de capitaliser sur la demande croissante.

L’IISD cite une étude de Mordor Intelligence publiée en 2020 qui estimait que la production mondiale de thé augmentera à un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 5,7 % entre 2021 et 2026 pour répondre à la demande, la consommation ayant augmenté de 2,5% par habitant au cours de la dernière décennie, principalement en Asie de l’Est, en Afrique, en Amérique latine et aux Caraïbes, ainsi qu’au Proche-Orient.

La pandémie de COVID-19 a accru la demande mondiale, le thé étant considéré comme une boisson qui renforce le système immunitaire. La demande devrait rester soutenue en raison de l’augmentation des revenus dans les pays en développement et de la diversification du marché vers les thés biologiques et les thés de spécialité, contribuant ainsi aux revenus ruraux et à la sécurité alimentaire dans les pays producteurs.

Un potentiel de production largement inexploité

Si les cinq pays mentionnés jouent un rôle significatif dans la production de thé sur le continent, représentant 12% de la production totale de thé en Afrique en 2020, avec une récolte combinée estimée à près de 100.000 tonnes, seule une partie relativement modeste de cette production (47.300 tonnes) a été certifiée durable en 2021.

Selon l’IISD, ces pays ont encore un potentiel de production largement inexploité, ce qui leur offre l’opportunité de profiter de la demande croissante de thé durable. Leur production actuelle ne représente qu’une fraction de ce qu’ils pourraient produire en investissant de manière appropriée dans les infrastructures, les technologies agricoles et les pratiques durables. Ils disposent de terres disponibles pour l’expansion des plantations de thé, ce qui leur confère une opportunité unique d’augmenter leur production afin de répondre à la demande croissante.

De plus, ces pays ont souvent des systèmes agricoles moins industrialisés et moins intensifs en capital. Cela peut être un avantage pour la production de thé durable, car ils ont la possibilité de mettre en œuvre des pratiques agricoles durables dès le départ, plutôt que de devoir réorganiser des systèmes de production existants. Ils peuvent intégrer des méthodes respectueuses de l’environnement, telles que l’agriculture biologique, la conservation des sols et la protection de la biodiversité, ce qui répond aux exigences croissantes des consommateurs pour des produits durables.

Pour tirer pleinement parti de l’essor du marché du thé durable, les producteurs de ces pays auront besoin d’un soutien pour adopter des pratiques de culture conformes aux normes volontaires de durabilité (NVD ou VSS en anglais), selon l’IISD.

Les NVD sont des normes qui définissent les exigences spécifiques en matière de durabilité pour les producteurs, les négociants et les détaillants, couvrant des aspects tels que les droits humains, la santé et la sécurité des travailleurs, les impacts environnementaux et la planification de l’utilisation des terres.

Les NVD offrent aux petits producteurs la possibilité d’améliorer leurs revenus tout en favorisant le développement économique, environnemental et social. Ces normes permettent aux producteurs de thé de bénéficier de prix plus élevés et plus stables pour leur récolte grâce à des mécanismes tels que le différentiel de durabilité (DD), qui est un paiement supplémentaire versé aux producteurs certifiés en plus du prix du marché. Par exemple, Rainforest Alliance, l’un des principaux organismes de certification du thé durable, exige depuis 2020 que tous les acheteurs de thé portant son label paient une prime de durabilité obligatoire.

Une certification aux coûts prohibitifs

Cependant, l’adoption des NVD peut être entravée par plusieurs défis, notamment les coûts liés à la certification, qui sont souvent prohibitifs pour les producteurs des pays à faible revenu. Les frais d’audit et les redevances de certification constituent des obstacles financiers importants. De plus, les problèmes de gouvernance et la résistance sociopolitique peuvent également freiner la diffusion des NVD dans certains pays en développement, où ces normes sont perçues comme une ingérence ou une exigence abusive des pays développés.

Pour remédier à ces difficultés, selon l’IISD, «la responsabilité incombe à plusieurs acteurs, y compris les organisations internationales. Ils peuvent contribuer en apportant un soutien technique et financier à l’adoption des NVD, ainsi qu’en renforçant les capacités des producteurs à se conformer aux normes de durabilité». Comme le souligne la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la tâche consistant à surmonter ces obstacles est une responsabilité collective.

Il est essentiel que les producteurs de thé au Mali, au Mozambique, en RDC, au Malawi et en Éthiopie saisissent cette opportunité de bénéficier de l’essor mondial du thé durable. En adoptant des pratiques de culture conformes aux NVD, ils peuvent non seulement améliorer leurs revenus, mais aussi contribuer au développement durable de leurs communautés et à la préservation de l’environnement.

Avec un soutien adéquat, ces pays ont le potentiel de devenir des acteurs clés dans le secteur du thé durable, en répondant à la demande croissante des consommateurs soucieux de l’écologie et de la durabilité.

L’étude révèle également que la production mondiale de thé dépasse les 17 milliards de dollars par an, et le commerce du thé est évalué à 9,5 milliards de dollars, ce qui représente une source importante de recettes d’exportation pour les économies émergentes et à faible revenu.

Par Modeste Kouamé
Le 12/03/2024 à 11h13