Malgré la levée des sanctions de la Cedeao et la décision, le 25 février dernier, de la réouverture des frontières, le Niger, sous prétexte d’un risque sécuritaire, a préféré maintenir sa frontière fermée avec le Bénin qui a pourtant aussitôt rouvert la sienne.
Malgré les moults protestations des autorités béninoises, celles de Niamey sont restées droites dans leurs bottes: il n’est pas question d’ouvrir la frontière entre les deux pays, fermée depuis le coup d’Etat de juillet 2023 du général Abdourahamane Tiani. «Nous avons souverainement décidé de garder notre frontière fermée avec le Bénin pour la bonne et simple raison que nos anciens amis, que sont les Français, sont revenus sur le territoire béninois après leur départ du Niger», a déclaré le Premier ministre nigérien Ali Mahamane Zeine. Une accusation démentie par les autorités béninoises.
Le maintien de la fermeture de la frontière a fini par irriter les autorités béninoises qui ont répliqué en empêchant l’évacuation du brut nigérien via leur port de Sèmè. Le président Patrice Talon a clairement signifié qu’aucune goutte du brut acheminé par un oléoduc reliant les deux pays ne sera transférée à un tanker tant que la frontière entre les deux pays reste fermée.
Lire aussi : Niger: la frontière avec le Bénin fermée «pour des raisons de sécurité»
Et pour enfoncer le clou, les autorités nigériennes ont répliqué à la décision béninoise en interdisant les véhicules béninois de transport de marchandises sur le corridor reliant le port de Lomé au Togo à toutes les localités nigériennes. «L’enlèvement du fret nigérien au port de Lomé ou en tout lieu du territoire de la République togolaise est exclusivement réservé aux véhicules immatriculés au Niger et au Togo conformément à l’accord bilatéral de transport entre la République du Niger et la République togolaise», souligne un document officiel nigérien.
En cas de fortes demandes, seuls les camions «immatriculés au Burkina Faso, au Mali et au Ghana peuvent participer à l’enlèvement dudit fret». La décision exclut donc le Bénin avec lequel le Niger partage le corridor, aggravant la tension entre les deux pays.
Seulement, en empêchant l’évacuation du pétrole via le pipeline reliant les deux pays, le Bénin porte un rude coup à la Chine qui exploite le pétrole nigérien et qui a investi massivement sur le plus long oléoduc en Afrique, récemment achevé.
Ayant massivement investi dans l’exploitation du gisement de pétrole d’Agadem qui fait passer la production de brut du Niger de 20.000 à 110.000 barils par jour et ayant aussi investi dans la réalisation du plus long oléoduc d’Afrique pour relier les champs pétroliers nigériens au port de Sèmè du Bénin, la Chine est le principal perdant dans ce bras de fer entre les deux pays.
Lire aussi : Le Bénin bloque l’embarquement du pétrole brut nigérien et exige l’ouverture des frontières entre les deux pays
D’où la volonté de la Chine de trouver rapidement un accord entre les deux pays en envoyant une délégation dans les deux pays. Celle-ci a été reçue, mercredi 15 mai, dans la capitale béninoise par le président Patrice Talon. La délégation chinoise, composée de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, de celui de l’Energie et des cadres de China National Petroleum Corp (CNPC), tente d’arrondir les angles entre Cotonou et Niamey.
Juste après Cotonou, la délégation chinoise ira à Niamey pour y rencontrer et certainement mettre la pression sur les autorités militaires nigériennes. Il faut dire que Pékin a misé gros sur le brut nigérien dont la capacité à l’export devrait atteindre les 200.000 barils par jour en 2026. Pays enclavé, le Niger n’a pas de choix que d’utiliser l’oléoduc passant par le Bénin pour exporter son pétrole.
Face à cette situation, certains se demanderont pourquoi la Cedeao n’a pas essayer d’atténuer le différend entre les deux pays sachant que c’est elle qui est à l’origine des sanctions et de la fermeture des frontières avec le Niger. Seulement, la communauté sous-régionale est aujourd’hui désarmée.
Le Niger, à l’instar du Mali et du Burkina Faso, ne fait plus partie de cet ensemble sous-régional ouest-africain. Mais les deux pays restent membres de l’Union économique et monétaire ouest-africain (Uemoa) qui autorise la libre circulation des biens et des personnes au sein des six pays qui la composent -Bénin, Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali et Togo-, des pays partageant l’usage du franc CFA en Afrique de l’Ouest. Mais cette union aussi, en ayant soutenu les sanctions contre le Niger au détriment de ses textes est aussi considérée comme hors-jeu pour jouer les bons offices entre les deux pays.
Lire aussi : Niger: une société chinoise va reprendre l’extraction d’uranium après dix ans d’interruption
A cela s’ajoute le fait que le Togo, qui joue les intermédiaires entre les régimes issus des coups d’Etat au niveau de la région et le reste de la Cedeao, est le grand bénéficiaire des différends entre les pays de la Cedeao et ceux de l’AES. Le Togo est ainsi devenu la principale porte d’entrée et de sortie des marchandises entrant et sortant du Niger et du Burkina Faso, au détriment d’autres pays qui jouaient traditionnellement ce rôle, le Bénin et le Nigeria pour le Niger.
Par contre, la Chine a les moyens de sa politique. Elle peut mettre la pression sur les deux pays, particulièrement sur le Niger qui refuse d’ouvrir sa frontière avec le Bénin. En effet, Niamey, durement affectée par les sanctions internationales se trouve dans une situation financière délicate.
D’ailleurs, pour faire face aux dépenses budgétaires, elle a sollicité et obtenu un accord de préfinancement de 400 millions de dollars de China National Petroleum Corp (CNPC), la société étatique qui exploite son brut. Celui-ci est bien évidemment gagée sur les futures livraisons de son pétrole.
Comptant sur le déboursement de cette importante avance, Niamey sera très attentive à la médiation chinoise. Sinon, c’est l’avenir de ses exportations de brut qui sont menacées. Or, le pays compte énormément sur ce brut pour améliorer ses recettes publiques et financer son développement.
En outre, subissant les sanctions de certains pays occidentaux et bailleurs de fonds, Niamey compte particulièrement sur la Russie et la Chine. D’ailleurs, une société chinoise vient de relancer l’exploitation d’un gisement d’uranium nigérien interrompue depuis une dizaine d’années. C’est dire que la voix chinoise sera écoutée du côté de Niamey.