Tandis que Buenos Aires mise sur l’IA et les cryptos pour s’acquitter des impôts locaux, ou la Malaisie qui bâtit un cloud souverain, l’Afrique accélère sa transformation numérique avec des initiatives aux impacts concrets pour ses économies. Les récentes décisions dans l’UEMOA, au Ghana, au Bénin et au Kenya révèlent des dynamiques cruciales de régulation, d’inclusion financière et de modernisation administrative. Pour les entreprises, citoyens et investisseurs, les implications sont tangibles et variées selon les pays. Zoom sur ces récentes évolutions et leurs enjeux pour les acteurs économiques.
Un jeune participant au montage d'un robot au sein d'incubateur. Au Ghana, les entrepreneurs pourront bénéficier de la Loi Start-up.. le360 Afrique/Diemba
UEMOA/BCEAO: la révolution des paiements instantanés
L’annonce phare est le lancement par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI). Ce n’est pas qu’une infrastructure technique; c’est un changement systémique pour l’ensemble de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Une innovation qui impacte directement les huit économies membres de l’union (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) via la BCEAO.
Désormais, les transferts de fonds sont instantanés et interopérables, disponibles 24h/24 et 7j/7 entre l’ensemble des acteurs financiers — banques, établissements de monnaie électronique, institutions de microfinance et prestataires de paiement. Cette avancée supprime les cloisonnements entre institutions et réduit considérablement les délais de traitement.
Ainsi, le lancement de la plateforme PI-SPI par la BCEAO transforme radicalement l’écosystème financier de l’UEMOA. Pour les particuliers, cette infrastructure régionale garantit un accès gratuit ou à faible coût aux paiements instantanés sécurisés, éliminant les délais interminables des transferts interbancaires et renforçant significativement l’inclusion financière. Les commerçants, artisans et TPE y trouvent un triple avantage: encaissement accéléré, réduction des risques liés au cash, et possibilité d’intégrer de nouveaux modes de paiement digitalisés, facilitant ainsi la transition de l’économie informelle vers le circuit formel.
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Pour les institutions financières, l’interopérabilité obligatoire crée un réseau unifié, mais intensifie la concurrence sur les services à valeur ajoutée, tout en réduisant la dépendance aux espèces. À l’échelle régionale, la fluidification des échanges transfrontaliers consolide l’intégration économique, comme le souligne le gouverneur de la BCEAO, Jean-Claude Brou, «il s’agit de faire du paiement instantané un véritable bien public, accessible à tous, avec un coût compétitif et porteur de valeur». L’explosion des transactions (11 milliards en 2024 contre 260 millions en 2014) et des comptes électroniques (248 millions) valide cette dynamique, positionnant le PI-SPI comme levier majeur de développement.
Kenya: régulation des frais de transfert mobile pour relancer l’inclusion
Du côté du Kenya, la Banque Centrale (CBK) veut agir sur un point de friction majeur: le coût des transferts d’argent mobile. La BCK prévoit de plafonner les frais de transfert mobile.
Une décision qui répond à une stagnation du secteur, identifiée comme résultant de «frais élevés, d’une interopérabilité limitée et d’un manque d’éducation financière». Une mesure qui, concrètement, rend les services essentiels plus accessibles, particulièrement pour les populations rurales dépendantes des transferts d’argent.
Pour les utilisateurs (particuliers et micro-entrepreneurs), la baisse des coûts libère des ressources pour d’autres services financiers (épargne, crédit) et renforce leur ancrage dans l’économie formelle. En revanche, les opérateurs (comme M-Pesa) subiront une pression sur leur modèle économique, historiquement centré sur les frais P2P, les contraignant à innover vers des services diversifiés (crédit, assurance) et à intensifier l’éducation financière. À l’échelle macroéconomique, cette régulation pourrait relancer l’usage de l’argent mobile, réduire l’économie de cash et approfondir l’inclusion financière, mais son succès dépendra de la capacité des acteurs à transformer la contrainte en opportunité de diversification.
Maroc: le statu quo réglementaire persistant des applications de transport
La situation marocaine illustre un décalage persistant entre innovation et régulation. Dans une récente sortie, le ministère du Transport et de la Logistique souligne que suite à des informations relayées par des sites d’information, il tient à souligner que «les dispositions légales et réglementaires en vigueur régissant le transport routier des personnes au Maroc n’incluent pas des dispositions encadrant clairement les services de transport via applications (VTC)». Le ministère réagit ainsi à des informations sur un refus d’accorder des licences spécifiques.
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Ce qui change concrètement? Rien pour le moment, et c’est le problème. Disons que l’absence de cadre clair bloque le développement formel de ce secteur.
En soulignant que les textes en vigueur «n’incluent pas des dispositions encadrant clairement» ce secteur émergent, les autorités admettent un décalage criant entre l’innovation numérique et la régulation, tout en renvoyant la compétence urbaine au ministère de l’Intérieur — révélant ainsi une complexité institutionnelle paralysante.
Pour les plateformes (Uber, inDrive, etc.) et leurs chauffeurs partenaires, cette opacité juridique se traduit par une précarité opérationnelle: impossibilité d’obtenir des licences adaptées, difficultés d’assurance, insécurité fiscale et risque permanent de contentieux, ce qui pourrait décourager les investissements et brider le potentiel de création d’emplois formels.
Sur le terrain, les utilisateurs, bien que bénéficiant d’un service pratique, sont privés de garanties légales sur la sécurité, la tarification ou la protection des données, tandis que les autorités voient leur crédibilité érodée par leur incapacité à trancher des conflits sectoriels (notamment avec les taxis traditionnels).
Un statu quo qui perpétue une zone grise économique où tous les acteurs sont perdants: l’État manque une opportunité de moderniser la mobilité urbaine et de générer des recettes fiscales; les chauffeurs VTC opèrent sans protection sociale ni reconnaissance légale; les citoyens subissent une offre de service non optimisée.
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Dans un tel contexte, une clarification réglementaire urgente s’impose pour définir des règles équitables (exigences techniques, fiscalité, normes de sécurité) et désamorcer les tensions concurrentielles. Sans elle, le Maroc risque de voir fuir les investissements dans les nouvelles mobilités, au détriment de son attractivité numérique et d’une transition écologique pourtant tributaire de solutions de transport optimisées. Comme le démontrent le Ghana sur d’autres secteurs, l’encadrement proactif des innovations n’est pas un frein, mais un levier de sécurisation et de croissance inclusive.
Ghana: la loi Start-up, levain de croissance et de compétitivité
L’initiative législative du Ghana dépasse largement la simple formalisation administrative; elle constitue une stratégie économique volontariste pour hisser l’innovation au rang de pilier structurel de la nation. En dotant l’écosystème start-up d’un cadre juridique et réglementaire spécifique — le premier du genre à cette échelle nationale —, le gouvernement transforme un secteur dynamique (classé 81ème mondial et 3ème en Afrique de l’Ouest, selon le rapport «Global Startup Ecosystem Index 2025» de StartupBlink) en véritable moteur de développement.
Un cadre qui sécurise juridiquement les innovations, dérisque les investissements, et attire des capitaux tant locaux qu’internationaux, rendant tangible un potentiel de valeur ajoutée estimé à 3,4 milliards de dollars d’ici 2029 selon GSMA. En fluidifiant la création d’entreprises et en facilitant l’accès à des financements dédiés, la loi catalyse l’émergence de solutions locales répondant aux défis socio-économiques du Ghana, tout en stimulant la productivité globale. Elle crée un cercle vertueux: les start-ups formalisées et soutenues génèrent des emplois qualifiés, renforcent la compétitivité du tissu entrepreneurial face aux marchés régionaux et mondiaux, et diversifient une économie encore trop dépendante des matières premières.
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En institutionnalisant les liens entre universités, centres de recherche et entrepreneurs, le texte transforme enfin la R&D en leviers concrets de croissance. «Il s’agit de faire de notre écosystème d’innovation un accélérateur de création de richesse et d’emplois durables», résume l’ambition portée par le ministère. Ainsi, cette loi ne régule pas un secteur — elle construit les fondations d’une économie ghanéenne résiliente, tournée vers l’avenir et ancrée dans l’économie numérique globale.
Autant d’actualités qui dessinent une Afrique résolument engagée dans sa transformation numérique, mais avec des approches et des rythmes distincts. Pour les acteurs économiques – des multinationales aux micro-entrepreneurs, des investisseurs aux simples citoyens – ces évolutions signifient à la fois des opportunités nouvelles (marchés plus intégrés, services plus accessibles, cadres plus sécurisants pour l’innovation) et des impératifs d’adaptation (adoption des nouvelles plateformes de paiement, compréhension des nouveaux cadres légaux, digitalisation des processus). Cela dit, la capacité des États et institutions à concevoir des régulations agiles, inclusives et tournées vers l’avenir, tout en déployant des infrastructures et services efficaces, sera déterminante pour transformer ces essais en développement économique et social durable.
Afrique numérique: entre révolution des paiements, régulation et vide juridique
Pays/Région | Initiative/Contexte | Mesure clé | Impacts positifs | Défis/Enjeux |
---|---|---|---|---|
UEMOA/BCEAO (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) | Modernisation des paiements | Lancement du PI-SPI (paiements instantanés interopérables 24/7) | - Inclusion financière accrue (transferts gratuits/faible coût). - Réduction des délais et sécurisation. - Fluidification des échanges transfrontaliers. | - Adaptation des institutions financières à la concurrence accrue. - Dépendance réduite au cash à généraliser. |
Kenya | Régulation des transferts mobiles | Plafonnement des frais de transfert mobile par la Banque Centrale (CBK) | - Services financiers plus accessibles (ruralité). - Libération de ressources pour l’épargne/crédit. - Réduction de l’économie informelle. | - Pression sur les modèles économiques des opérateurs (ex: M-Pesa). - Nécessité d’innover et d’éduquer financièrement. |
Maroc | Vide réglementaire des VTC (Uber, etc.) | Réforme dans les tiroirs | Aucun impact positif immédiat (statu quo) | - Précarité juridique pour chauffeurs et plateformes. - Insécurité fiscale et manque de protection. - Fuite des investissements. |
Ghana | Promotion de l’écosystème start-up | Loi Start-up (cadre juridique et fiscal dédié) | - Attractivité accrue pour les investisseurs. - Création d’emplois qualifiés. - Diversification économique. | - Mise en œuvre effective à surveiller. - Dépendance persistante aux matières premières à contrebalancer. |