L’Allemagne se tourne vers l’Afrique pour assurer ses approvisionnements en énergie. Berlin, dont 55% de l’approvisionnement en gaz provenait de la Russie, principalement via le géant de l’énergie Gazprom avant la guerre en Ukraine, cherche des alternatives pour sécuriser sa consommation. La récente visite du chancelier allemand Olaf Scholz au Kenya, le 5 mai 2023, est un nouveau jalon posé dans cette nouvelle stratégie.
Un choix qui ne doit rien au hasard. En effet, le Kenya est le premier producteur en Afrique et le 9ème au monde de géothermie, une énergie qui permet de produire de l’électricité grâce à l’eau très chaude issue du sous-sol. L’une de ses locomotives, la centrale géothermique de Menengai, à 180 km au nord-ouest de Nairobi, est dotée d’une capacité de 105 mégawatts (MW) qui alimente 300.000 entreprises et 500.000 foyers, dont 70.000 en milieu rural.
Le Kenya développe aussi une série de centrales géothermiques non loin du Lac Naivasha, à 120 km au nord-ouest de Nairobi, qui lui permettront d’accroître ses capacités géothermiques. Un site qu’Olaf Scholz a d’ailleurs visité lors son séjour, en compagnie d’industriels allemands.
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Ce pays, premier partenaire commercial de l’Allemagne en Afrique de l’Est, est aussi un des leaders de la production d’énergies propres en Afrique, avec un parc énergétique constitué à 90% d’énergies renouvelables. Parmi ses infrastructures phares, la centrale éolienne de Turkana d’une capacité de 300 MW, l’un des plus grands parcs éoliens en Afrique et qui a permis au Kenya de quintupler sa production éolienne annuelle actuellement estimée à 1.562, gigawatts/heure (GWh).
La production solaire kenyane a également atteint 92,3 GWh par an, grâce notamment à la centrale de Garissa (55 MW) qui alimente plus de 600.000 foyers. Le gouvernement ambitionne aussi de développer la production d’hydrogène vert pour produire 100% d’énergie renouvelables d’ici 2030.
A l’issue de ses échanges avec le président kenyan William Ruto, les deux chefs d’Etat ont annoncé un renforcement de la coopération dans les énergies renouvelables, de l’hydrogène et de la résilience face aux sécheresses. Ruto a également annoncé que le Kenya allait officiellement rejoindre le Club climat lancé par Scholz en 2022, pour encourager la lutte contre les changements climatiques.
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Ce changement de paradigme de l’Allemagne dans sa politique énergétique était déjà perceptible il y a plus d’un an, lorsque le chancelier allemand effectuait sa première visite en Afrique fin mai 2022, cinq mois après son entrée en fonction. Sur son agenda, le Sénégal, le Niger et l’Afrique du Sud.
A Dakar, Olaf Scholz avait dévoilé ses intérêts pour la future exploitation de gaz offshore transfrontalier dans l’Atlantique, qui sera mené conjointement entre le Sénégal et la Mauritanie. Ce projet dénommé Grand Tortue Ahmeyim, est exploité par British Petroleum (BP) et le groupe américain Kosmos Energy, devrait démarrer à partir du dernier trimestre 2023, avec une production annuelle de 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL). Une capacité qui devrait atteindre les 10 millions de tonnes d’ici 2030.
Lors de son séjour en Afrique du Sud, le dirigeant germanique avait annoncé des discussions pour le rachat d’importantes quantités de charbon sud-africain pour compenser l’arrêt de l’approvisionnement en charbon russe décidé par les pays de l’UE, dans le cadre de l’embargo énergétique envers Moscou. Il est important de rappeler que Berlin est un des plus grands investisseurs dans ce pays, avec quelques 600 entreprises qui y sont implantées. L’Allemagne a aussi noué une coopération énergétique avec Johannesburg, notamment à travers son soutien à la société parapublique Sasol, dans la production d’hydrogène vert.
Nouveau «plan Marshall» allemand pour l’Afrique
Outre le volet énergétique, l’Allemagne accélère aussi la cadence pour renforcer ses relations diplomatiques avec l’Afrique. Cette récente tournée d’Olaz Scholz, la deuxième sur le continent en 17 mois, en est la preuve. Elle intervient trois mois après celle de son ministre des Finances, Christian Lindner, qui était au Mali et au Ghana, et celle du ministre du Travail, Hubertus Heil, et de la ministre de la Coopération économique et du développement, Svenja Schulze, au Ghana et en Côte d’Ivoire. En décembre 2022, le ministre de l’Economie, Robert Habeck, s’était rendu en Namibie et en Afrique du Sud.
En juin 2022, le chancelier allemand avait invité le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’UA, au sommet du G7 à Schloss Elmau. «L’Afrique est centrale pour l’Allemagne et pour l’Europe», a déclaré M. Scholz, lors de son séjour en Ethiopie. «C’est le moment où nous devons prendre un nouveau départ concernant les relations Nord-Sud. Cela doit nous permettre de développer des perspectives communes avec de nombreux pays du Sud sur un pied d’égalité», a-t-il insisté. Il a également plaidé pour l’octroi d’un siège à l’Afrique au sein du G20.
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Cette offensive de la diplomatie germanique envers le continent s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie allemande pour l’Afrique intitulé «Façonner l’avenir avec l’Afrique». En janvier 2023, durant la présentation de ce projet principalement axé sur la bonne gouvernance, la lutte contre la famine et la pauvreté, la paix et la sécurité, la ministre Svenja Schulze déclarait que «l’Afrique grandit et change énormément. Son évolution façonnera le 21e siècle et, donc aussi l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe».
A travers ce «plan Marshall», l’Allemagne souhaite aussi rattraper son retard sur des grandes puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et la Russie, qui ont multiplié les partenariats économiques avec plusieurs pays africains ces dernières années. Fin 2022, Wolfgang Niedermark directeur général de la Fédération des industries allemandes (BDI) suggérait, dans une note publiée par l’organisation, le redémarrage des relations germano-africaine. «L’Afrique est aujourd’hui incontournable pour les entreprises allemandes», précisait-il. Il recommande notamment de favoriser la production d’hydrogène vert et de s’appuyer sur les technologies d’avenir comme l’internet par satellite.