La publication par le Fonds Monétaire International (FMI), le 12 août 2025, de sa liste des pays accusant des retards supérieurs à 18 mois dans leurs consultations au titre de l’article IV offre un instantané révélateur des défis structurels et conjoncturels auxquels sont confrontés plusieurs États membres, particulièrement en Afrique. Une liste qui éclaire sur les défis de gouvernance économique des nations africaines concernées.
Entendez par «retard supérieur à 18 mois dans les consultations au titre de l’article IV», un retard dépassant un an et six mois (trois semestres ou six trimestres) dans la finalisation des consultations annuelles obligatoires que le FMI mène avec chacun de ses 191 États membres (quasiment tous les pays du monde), à l’exception d’Andorre, la Corée du Nord, Cuba, le Liechtenstein, Nauru, Monaco et le Vatican.
Concrètement, les consultations au titre de l’Article IV impliquent une mission du FMI analysant la santé économique, les politiques budgétaires, monétaires et financières du pays. Le rapport est discuté par le Conseil d’administration du FMI pour approbation.
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Le délai de 18 mois inclut une période de grâce de trois mois après la date théorique de conclusion. Au-delà, le pays est listé publiquement, signalant une rupture durable du dialogue institutionnel.
Conséquences: ce retard entraîne généralement le gel de l’accès aux financements du FMI et de la Banque mondiale, alerte les investisseurs, et complique les restructurations de dette.
Ainsi, cette liste constitue moins une sanction qu’un diagnostic précieux des points de tension économiques et politiques sur le continent.
Focus sur l’Afrique: fragilités et lueurs d’espoir
Par rapport à la liste précédente, deux pays ont été ajoutés (le Libéria et le Sénégal) et trois ont été supprimés (l’Égypte, l’Éthiopie et le Malawi).
L’Afrique concentre cinq des treize pays listés. Les conflits et instabilités profondes pérennisent les retards. Le Soudan (34 mois de retard au motif de «situation politique/sécuritaire») et l’Érythrée (45 mois, pour motif «divers») incarnent des états de crise gelant le dialogue économique. L’absence de consultation en Érythrée depuis 2019 révèle un isolement systémique, tandis que la guerre civile soudanaise annihile la capacité institutionnelle d’engagement depuis février 2020.
Les transitions politiques expliquent des retards plus circonstanciels, comme au Liberia (20 mois, pour «changement de gouvernement»). Ce cas illustre la vulnérabilité africaine aux cycles électoraux, mais la mission menée en juin 2025 et le débat prévu en septembre signalent une résilience procédurale.
Les relations avec le FMI constituent un troisième défi, matérialisé par la Tunisie (39 mois, sur «demande des autorités»). Cette catégorie, partagée avec l’Iran, trahit des incompatibilités dans les agendas ou des réticences politiques, potentiellement exacerbées par des crises internes.
L’ajout récent du Sénégal (18 mois, pour motif «divers») interroge sur l’impact des incertitudes politiques locales sur la gouvernance économique. Rappelons que le FMI a suspendu son programme d’aide et reporté sine die tout nouveau programme suite à la découverte par l’audit de la Cour des comptes sénégalaise de 7 milliards de dollars de dettes cachées sous la présidence de Macky Sall.
Des erreurs importantes qui expliquent en grande partie la présence du pays dans cette liste. Dans la foulée, le gouvernement sénégalais a présenté, le 1er août 2025, un plan «Jubbanti Koom» (Redressement économique), pour redresser la situation budgétaire et sociale du pays.
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Cependant, les sorties de l’Égypte, de l’Éthiopie et du Malawi en 2025 incarnent une tendance positive. Leur régularisation rapide (entre mars et juillet 2025) prouve que la stabilisation post-conflit (Éthiopie) ou l’ancrage dans un programme du FMI (Égypte) permettent de rétablir la coopération, offrant des modèles pour les pays encore listés.
Instabilités et blocages persistants
La liste du FMI révèle un paysage marqué par trois dynamiques clés parmi les 14 pays retardataires. Premièrement, les crises politiques et sécuritaires dominent, touchant près de la moitié des États concernés (Venezuela, Syrie, Yémen, Myanmar, Soudan, Afghanistan).
Le cas du Venezuela (223 mois de retard) symbolise l’impact paralysant de l’absence de reconnaissance gouvernementale, explicitement noté par le FMI. «Les traitements avec Caracas, Kaboul et Naypyidaw restent en pause faute de gouvernement internationalement reconnu».
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Les retards syrien (158 mois) et yéménite (95 mois) confirment cette corrélation entre conflits prolongés et rupture du dialogue économique international.
Deuxièmement, les retards liés aux autorités nationales ou classés «divers» reflètent des complexités opaques. L’Iran (61 mois) et la Tunisie (39 mois) invoquent une «demande des autorités», dénotant des tensions dans la relation avec le FMI ou des contraintes administratives internes. La catégorie «divers», appliquée à la Biélorussie (52 mois), l’Érythrée (45 mois) et la Russie (39 mois), agit souvent comme un écran pour des réalités géopolitiques sensibles. Le FMI l’illustre pour Minsk. «Les discussions de 2021 n’ont pas produit de rapport car la guerre a rendu l’analyse économique obsolète», soulignant comment les chocs externes peuvent figer le processus.
Troisièmement, l’émergence de facteurs contingents apparaît avec le Sénégal (18 mois, pour motif «divers») et le Liberia (20 mois, pour «changement de gouvernement»). Ces retards récents, structurellement distincts des crises chroniques, incluent même des signaux de résolution. Pour Monrovia, une mission s’est achevée en juin 2025 et un débat au Conseil est prévu en septembre, démontrant que certains blocages peuvent être surmontés rapidement après des transitions politiques.
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La taxonomie même des retards établie par le FMI est éclairante. L’absence de la catégorie «problèmes liés aux programmes» dans la liste actuelle suggère qu’aucun des retards africains n’est principalement dû à des négociations en cours sur un accord financier (UFR, PSI, PCI)– ces processus semblent plutôt être des vecteurs de sortie de la liste (cf. Égypte).
Ce que révèlent les non-dits et les classifications
La prédominance des catégories «situation politique/sécuritaire», «changement de gouvernement» et «demande des autorités» pour les pays africains listés met en lumière le lien intrinsèque entre la stabilité politique, la capacité administrative et la continuité du dialogue économique international. Comme le souligne le document, «les consultations au titre de l’article IV sont retardées pour diverses raisons» et «un retard peut avoir plus d’une raison», soulignant la complexité des facteurs en jeu.
Concrètement, pour des experts en risques pays et dette souveraine, cette liste est sans l’ombre d’un doute un indicateur clé de fragilité. Un retard prolongé des consultations au titre de l’article IV signifie souvent un accès limité ou nul aux financements concessionnels du FMI et de la Banque mondiale, un signal négatif pour les investisseurs et les autres bailleurs, et un obstacle à la restructuration de la dette.
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La présence d’un pays sur cette liste complique considérablement sa capacité à mobiliser des financements internationaux essentiels. La sortie de pays comme le Malawi, l’Éthiopie ou l’Égypte montre cependant que des progrès sont possibles avec une stabilisation politique et un engagement renoué avec les institutions.
En somme, la liste du FMI des retards Article IV dresse un tableau où l’Afrique apparaît avec des défis persistants liés à la gouvernance et à la sécurité (Soudan, Érythrée), mais aussi avec des dynamiques plus récentes et potentiellement plus transitoires (Liberia, Sénégal). Elle confirme que la stabilité politique et administrative est une condition sine qua non d’un engagement économique international fluide.
Les sorties récentes de l’Égypte, de l’Éthiopie et du Malawi offrent des perspectives encourageantes, rappelant que le dialogue avec le FMI, bien qu’exigeant, reste un canal crucial pour l’accès au financement et la crédibilité économique internationale des pays émergents, particulièrement en Afrique. Ainsi, la diversité des motifs – de la guerre ouverte au simple «divers»– nécessite une appréciation nuancée de chaque situation nationale.
Les pays africains en retard d’évaluation avec le FMI
Pays | Retard (en mois) | Motif officiel (FMI) | Causes spécifiques | Conséquences/Évolutions récentes |
---|---|---|---|---|
Soudan | 34 | Situation politique/sécuritaire | Guerre civile persistante (depuis février 2020), paralysie institutionnelle | Gel des financements internationaux, incapacité à restructurer la dette |
Érythrée | 45 | Divers | Isolement systémique, absence de consultation depuis 2019 | Rupture durable du dialogue économique, blocage des aides concessionnelles |
Liberia | 20 | Changement de gouvernement | Transition politique post-élection | Mission FMI achevée (juin 2025), débat prévu en Conseil (sept. 2025) → reprise du processus |
Tunisie | 39 | Demande des autorités | Tensions politiques internes, désaccords sur les réformes économiques | Suspension des programmes d’aide, difficultés de négociation sur la dette |
Sénégal | 18 | Divers | Dettes cachées (7 mds USD découvertes), instabilité politique post-Macky Sall | Plan « Jubbanti Koom » lancé (août 2025) pour redressement budgétaire ; suspension des programmes FMI |
Égypte | Sorti en 2025 | - | Ancrage dans un programme FMI | Régularisation réussie (mi-2025), reprise des financements |
Éthiopie | Sorti en 2025 | - | Stabilisation post-conflit | Retour coopération FMI après accord de paix |
Malawi | Sorti en 2025 | - | - | Exemple de sortie rapide par stabilisation politique |
Source: FMI.