Gabon: TGCC saisit un nouveau marché après une expansion financière réussie

Le Président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema recevant en audience Mohammed Bouzoubaa, PDG de TGCC.

Le 09/08/2025 à 17h19

Le groupe marocain TGCC, renforcé par une augmentation de capital et l’acquisition de STAM-VIAS, s’engage dans des projets prioritaires de logements et de centres hospitalo-universitaires au Gabon.

Dans un message posté hier, vendredi 8 août 2025, sur un réseau social, le président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema a annoncé avoir reçu Mohammed Bouzoubaa, le PDG du géant marocain du BTP TGCC. «Les échanges ont porté sur la réalisation d’infrastructures prioritaires au Gabon: la construction de logements et de complexes hospitaliers et universitaires modernes. M. Bouzoubaa a exprimé sa volonté de mettre l’expertise et les ressources de TGCC au service du développement du Gabon, tout en saluant les relations fraternelles et historiques entre le Gabon et le Royaume du Maroc. Il a également rappelé l’engagement constant de Sa Majesté le roi Mohammed VI en faveur de la coopération Sud-Sud et du renforcement des partenariats économiques entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne», a fait valoir le président gabonais, fraichement élu.

Loin d’être un simple échange protocolaire, cette rencontre cristallise des enjeux géopolitiques, financiers et de développement structurel.

Priorités gabonaises: urgences infrastructurelles et légitimité politique

Cette audience révèle une adéquation stratégique entre les besoins structurels du Gabon et les ambitions politiques du régime d’Oligui Nguema. Les projets ciblés – logements, centres hospitaliers universitaires (CHU) et complexes sanitaires académiques – sont des réponses directes à des déficits critiques.

Dans le secteur de la santé et de l’éducation, le Gabon pâtit d’un manque criant d’infrastructures médicales haut de gamme et de centres de formation spécialisés, un vide que les CHU modernes entendent combler pour rehausser tant l’offre de soins que la recherche locale.

Le volet logement social, quant à lui, constitue un enjeu socio-politique brûlant dans un contexte d’urbanisation galopante et d’inégalités persistantes, où l’accès au logement décent reste un marqueur de stabilité sociale.

Pour le président Oligui Nguema, ces projets incarnent plus qu’une modernisation technique. Ils sont l’assise de la «vision de transformation» de la Vème République gabonaise, visant à ancrer sa légitimité par des réalisations tangibles et rapides.

Comme le souligne la presse gabonaise, cette démarche «confirme sa volonté d’accélérer la modernisation du pays à travers des partenariats stratégiques». Le choix de TGCC comme partenaire privilégié s’inscrit dans cette logique: l’entreprise est explicitement saluée pour son «expertise et sa capacité d’exécution», gages d’une efficacité opérationnelle permettant au régime de concrétiser rapidement des projets structurants, transformant ainsi des promesses politiques en réalisations visibles.

Diplomatie économique et expansion subsaharienne

Les déclarations de Mohammed Bouzoubaa lors de l’audience épousent parfaitement le cadre doctrinal de la diplomatie économique marocaine, articulée autour de la coopération Sud-Sud. L’ancrage royal est systématiquement mis en avant, Bouzoubaa rappelant «l’engagement constant de Sa Majesté le roi Mohammed VI» en faveur du renforcement des partenariats avec l’Afrique subsaharienne. Cette référence récurrente n’est pas anodine. Elle confère à l’action de TGCC une légitimité politique supra-entreprise, alignant l’initiative privée sur une vision nationale stratégique.

Sur le plan économique, cette démarche consolide la pénétration subsaharienne du groupe, déjà implanté en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée et en Mauritanie, étendant ainsi son maillage continental vers l’Afrique centrale, zone moins couverte jusqu’alors.

Le capital symbolique est également exploité avec précision: l’insistance sur les «relations fraternelles et historiques» avec le Gabon sert à légitimer l’intervention marocaine face à d’autres puissances concurrentes (France, Chine, Turquie), positionnant le Maroc en partenaire «fiable» et culturellement proche.

L’acquisition récente de 60% de STAM-VIAS par TGCC joue un rôle clé dans cette stratégie. En doublant le carnet de commandes de TGCC (19,3 milliards de dirhams) et en élargissant ses compétences aux infrastructures routières – segment vital pour les projets gabonais –, elle offre au groupe les moyens techniques et financiers d’incarner concrètement la doctrine royale de coopération, transformant la vision politique en réalité économique.

La puissance de frappe de TGCC

L’audience du 8 août 2025 intervient dans un contexte financier stratégique pour TGCC, marqué par une augmentation de capital réussie de 2,2 milliards de dirhams en juillet 2025. Cette opération, sursouscrite 42 fois, démontre la confiance massive des investisseurs dans la trajectoire africaine du groupe et sa capacité à transformer l’acquisition majoritaire de STAM-VIAS (60%) en levier de croissance.

L’intégration de cette société spécialisée dans les infrastructures routières permet à TGCC de doubler son carnet de commandes pour atteindre 19,3 milliards de dirhams, tout en élargissant son portefeuille de compétences vers des segments clés pour le marché subsaharien comme les routes et autoroutes – une expertise directement applicable aux projets gabonais. Les performances financières récentes confirment cette dynamique: avec un chiffre d’affaires pro forma de 11,5 milliards de dirhams en 2024 (contre 5,2 milliards en 2022), soit une croissance annuelle moyenne de 24%, et un EBITDA pro forma de 1,9 milliard de dirhams, le groupe dispose désormais d’une assise financière solide pour ses ambitions continentales.

L’optimisme prudent exprimé par Mohammed Bouzoubaa pour la période post-2030 s’appuie précisément sur cette diversification, combinant les investissements dans des secteurs stratégiques au Maroc (énergies renouvelables, infrastructures ferroviaires) et l’expansion en Afrique subsaharienne, dont le Gabon constitue une nouvelle frontière.

Les enjeux implicites

Ce partenariat, bien que prometteur, comporte des défis sous-jacents nécessitant une gestion rigoureuse. Pour le Maroc, le Gabon représente un tremplin vers l’Afrique centrale, région où TGCC est moins implanté qu’en Afrique de l’Ouest, mais cette expansion s’effectue dans un environnement concurrentiel accru face à des acteurs historiques (France) ou émergents (Turquie, Chine, Etats-Unis).

Par ailleurs, l’engagement de TGCC dans les mégaprojets liés à la Coupe du Monde 2030 au Maroc pourrait générer des tensions de ressources ou de calendrier si les échéances gabonaises viennent à coïncider avec les impératifs nationaux.

Ainsi, cette audience consacre une convergence tripartite d’intérêts. Le Gabon accède à un partenaire financièrement robuste pour matérialiser sa «vision de transformation» via des infrastructures structurantes. Le Maroc renforce son leadership économique en Afrique francophone à travers un «champion national» aligné sur la doctrine royale de coopération Sud-Sud. Et TGCC saisit un nouveau marché après une expansion stratégique et financière réussie.

Cependant, la pérennité de cette alliance reposera sur des fondations critiques: la transparence des contrats (montants, financements), le respect des délais d’exécution et l’inclusion effective des compétences gabonaises pour éviter une dépendance technique. Dans le paysage géoéconomique africain marqué par la rivalité des influences, ce modèle de «diplomatie d’entreprise» – s’il place le développement local au cœur de ses réalisations – pourrait inspirer de nouvelles formes de coopération Sud-Sud.

Par Modeste Kouamé
Le 09/08/2025 à 17h19