A ceux qui glosent sur le coût faramineux de 25 milliards de dollars et la longueur d’environ 5700 km du projet du gazoduc Nigeria-Maroc, les initiateurs de ce projet structurant -Maroc et Nigeria- viennent de leur signifier que la réalisation de cet important et structurant projet est bien plus que sur les rails. Le ministre d’Etat chargé des Ressources pétrolières du Nigeria, Ekperikpe Ekpo, a même souligné fin novembre 2023 que la construction du gazoduc Nigeria-Maroc, devant acheminer le gaz extrait des pays de l’Afrique de l’ouest vers l’Europe, débutera en 2024.
Il faut dire que depuis la signature d’un protocole d’accord relatif au projet, en 2016, en marge de la visite du roi Mohammed VI au Nigeria, les équipes de la Nigerian national petroleum corporation (NNPC) et de l’Office national des hydrocarbures et des mines du Maroc (Onhym) n’ont cessé d’œuvrer inlassablement pour la réalisation du projet. Cela a permis aux équipes des deux organismes qui financent le projet à parts égales de réaliser l’étude de faisabilité (bouclée en 2018) et de l’étude FEED (Front-end engineering design) dont la Pré-feed a été achevée en 2019 en attestant la rentabilité du projet, alors que les études d’ingénierie détaillée ont été lancées en mai 2021. Ces dernières comprennent tous les aspects techniques, managériaux, financiers, légaux et commerciaux devant aboutir à la décision d’investissement. Les études économiques et techniques en cours seront, quant à elles, bouclées début 2024.
Concernant le gazoduc lui-même, il a été décidé que celui-ci sera le prolongement de celui de la CEDEAO existant et qui relie déjà le Nigeria au Togo en passant par le Bénin. Toutefois, celui-ci étant d’un diamètre de seulement 20 pouces, il est prévu d’augmenter sa capacité pour le porter à 46 pouces à partir du Togo afin que le débit soit fortement important et permette l’évacuation des ressources gazières des autres pays de la région (Ghana, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Sénégal…).
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A la volonté politique des dirigeants du royaume du Maroc et du Nigeria, et aux réserves en gaz du géant nigérian non exploitées sont venues se greffer les importantes découvertes de gaz dans les pays d’Afrique de l’ouest et qui font plus que justifier la nécessité de la réalisation de cette infrastructure intégrationniste.
Potentialités importantes de la région: réserves, découvertes et exploitation
Concernant les réserves de la région, elles sont importantes et constituées de celles déjà prouvées et celles qui ne le sont pas encore. Elles sont d’abord constituées de celle du Nigeria, pays qui dispose des 7es réserves mondiales en gaz estimées à 209.000 milliards de pieds cubes. Les réserves du Nigeria sont faiblement exploitées. Le pays ayant toujours accordé plus d’importance à la production pétrolière. Toutefois, avec le bouleversement géopolitique mondial du gaz né de la guerre Russie-Ukraine, l’Europe, qui était dépendante à hauteur de 55% du gaz russe avant la guerre, cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’Afrique constituant l’une des sources alternatives, cela pourra bénéficier aux pays de la région, particulièrement au Nigeria.
En effet, en dépit de ses réserves importantes, le Nigeria n’est que le troisième producteur de gaz du continent, derrière l’Algérie et l’Egypte. En 2022, la production gazière du pays s’est établie à 46 milliards de mètres cubes, alors que ses réserves sont estimées plus de 5.284 milliards de mètres cubes. La production du pays est limitée, car les exportations sont uniquement sous forme de GNL (Gaz naturel liquéfie.
Toutefois, avec le futur gazoduc, le Nigeria pourra exploiter de manière efficiente et plus rentable son gaz. Avec ce moyen d’approvisionnement du marché européen que constituera le gazoduc, le pays pourra exporter davantage de gaz et générer davantage de recettes.
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D’ailleurs, le 16 juin 2023, Mele Kyari, PDG de la NNPC Ltd, a souligné, en marge de la signature de protocoles d’accords avec des pays de la région qui seront traversés par le gazoduc, qu’«en tant qu’entreprise commerciale, NNPC Ltd voit ce projet comme une opportunité de monétiser les abondantes ressources en hydrocarbures du Nigeria, en élargissant l’accès à l’énergie pour soutenir la croissance économique, l’industrialisation et la création d’emplois sur le continent africain et au-delà».
Outre le Nigeria dont une petite partie des importantes réserves est exploitée, les récentes découvertes de gaz au niveau de la région et le début d’exploitation de certains gisements gaziers augurent de bonnes perspectives pour le gazoduc Nigeria-Maroc.
Importante découvertes de gisements gaziers
Parmi les pays prometteurs figurent la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Mauritanie. Avec la découverte et le début d’exploitation du gisement Baleine, la Côte d’Ivoire intègre le club des producteurs significatifs du gaz en Afrique. Avec des ressources estimées à 3300 milliards de pieds cubes de gaz naturel, ce gisement découvert en septembre 2021, permet à la Côte d’Ivoire de disposer des ressources nécessaires pour l’export via le gazoduc Nigeria-Maroc. Selon les nouvelles estimations du géant italien ENI qui exploite ce gisement, la production gazière devrait atteindre 140 millions de pieds cubes par jour (Mpc/j) à l’horizon 2026 et 200 Mpc/j lors de la troisième phase de développement de ce gisement en eau profonde.
Au Sénégal et en Mauritanie, les importantes réserves de gaz découvertes ces dernières années vont entrer en phase de production début 2024. A ce niveau, trois importants gisements gaziers vont entrer en production en 2024. Il s’agit d’abord du gisement Singomar, un gisement pétrolier renfermant plus de 70 milliards de mètres cubes de gaz récupérable. Ensuite, il y a le gisement Yakaar-Téranga dont les premières évaluations des réserves sont estimées à environ 1400 milliards de mètres cubes. Les premiers mètres cubes de gaz de ce projet sont attendus d’ici 2027 avec l’objectif d’extraire 550 millions de pieds cubes de gaz par jour.
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En plus, le Sénégal et la Mauritanie exploitent en commun un important gisement gazier situé au large à cheval sur la frontière entre les deux pays. Le gisement Grand Tortue Ahmeyim, avec des réserves estimées à 1400 milliards de mètres cubes dont 560 milliards de mètres cubes de gaz récupérables, devrait entrer en production en 2024. Pour se rendre compte de l’importance de ce gisement mauritano-sénégalais, il faut souligner que la consommation gazière de toute l’Afrique en 2020 était de seulement 153 milliards de mètres cubes, selon BP Statistical Review of World Energy publié en juin 2021. C’est dire que le gaz récupérable du gisement Grand Tortue Ahmeyim pourrait, en théorie, couvrir la totalité de la consommation du continent en gaz pendant plus de 3,6 années.
Tous ces projets vont entrer en production en 2024 avant d’atteindre leur production maximale quelques années plus tard.
Mieux, selon Global Energy Monitor’s, hormis les poids lourds africains du secteur gazier (Nigeria et Algérie), 84% des réserves non exploitées se trouvent dans des pays nouveaux sur le marché gazier comme le Mozambique, la Tanzanie, le Sénégal et la Mauritanie. A ce titre, Kosmos Energy a estimé à 17.000 milliards de pieds cubes de gaz le potentiel total des différents blocs au large du Sénégal et de la Mauritanie.
En clair, rien qu’avec les gisements découverts, le potentiel confirmé est suffisant pour lancer cet important projet structurant du gazoduc Nigeria-Maroc.
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Ainsi, le projet du gazoduc Nigeria-Maroc est stratégique pour l’exploitation des importantes ressources gazières ouest-africaines en permettant des exportations de gaz très compétitif sur le marché européen, principal débouchée des exportations de gaz du continent.
Approvisionnement l’Europe, développer et intégrer la région
Une fois réalisé, ce projet aura des retombées économiques et sociales indéniables sur tous les pays de la région. En effet, le facteur fondamental de ce projet est sa dimension régionale. Initié par le Maroc et le Nigeria, il est aujourd’hui porté par la CEDEAO qui en a fait un projet d’intégration régional. Ainsi, tous les pays de la côte Atlantique qui seront traversés par le gazoduc ont signé des protocoles d’accord avec les initiateurs du projet. C’est dire que le projet est porté par 13 pays: Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, Liberia, Guinée-Bissau, Guinée, Sénégal, Gambie, Mauritanie et Maroc.
Ainsi, si l’objectif fondamental du gazoduc est de connecter les régions gazières d’Afrique de l’ouest au Maroc et à l’Europe, celui-ci connectera d’abord 11 pays côtiers de la CEDEAO, trois pays enclavée de cette organisation (Mali, Burkina Faso et Niger), en plus de la Mauritanie et du Maroc, avant d’atteindre les pays de l’Union européenne qui sont très demandeurs dans le cadre de la diversification de leurs approvisionnement en gaz.
Ainsi, en sécurisant un approvisionnement régulier et bon marché en gaz aux pays africains partenaires, grâce au gazoduc, le projet va contribuer au développement économique et social de la région en contribuant à l’électrification et à la satisfaction des besoins en gaz des ménages. A ce titre, il est prévu de réaliser des gazoducs afin d’alimenter les pays non côtiers de la CEDEAO : Mali, Burkina Faso et Niger.
Ensuite, ce gazoduc permettra d’approvisionner l’Europe dans des conditions très compétitives, comparativement aux exportations sous forme de GNL. Ce qui se traduira par d’avantage de recettes en devises pour les pays de la région.
En outre, grâce au gazoduc, ces derniers vont cesser le torchage de gaz –pratique industrielle qui consiste à brûler du gaz par des torchères lors des différentes étapes de la production pétrolière- et réduire les émissions à effet de serre causées par celui-ci tout en générant d’importante ressources financières pour les pays de la sous-région. Le torchage fait perdre au Nigeria annuellement plus de 2 milliards de dollars.
Bref, «ce gazoduc Maroc-Nigeria favorisera l’intégration africaine, contribuera à la stabilité, au développement économique et à la création d’emplois. Ce n’est donc pas seulement un projet d’infrastructures, mais un axe structurant économiquement pour toute l’Afrique de l’ouest», comme l’a souligné Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, lors de la signature, en 2016, d’un protocole d’accord relatif au projet.
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Grâce à tous ces avantages, on comprend alors pourquoi le coût du gazoduc ne pose pas de problème aux parties prenantes.
25 milliards de dollars, mais rentable
Concernant le coût de ce projet, considéré comme étant le plus grand projet d’infrastructure en Afrique, tout indique qu’il nécessitera un financement de l’ordre de 25 milliards de dollars. Un coût loin de freiner les ambitions de ses promoteurs. D’emblée, ayant compris les enjeux et les potentialités offertes par le gazoduc, le Nigeria, via la NNPC, s’est engagé à investir 12,5 milliards de dollars sur le projet afin de se garantir une participation de 50% de celui-ci. A noter que le pays va financer avec le Maroc, via l’Onhym, ce projet à parts égales.
C’est dire que le coût du projet jugé par certains comme un handicap est loin de l’être aux yeux des principaux contributeurs à son financement. Et pour cause, les exportations de gaz de la région, actuellement en provenance uniquement du Nigeria, sont assurées par des méthaniers. Seulement, ce mode de transport du gaz naturel liquéfié (GNL) coûte excessivement cher, comparativement à celui réalisé via un gazoduc. D’où l’intérêt que portent les pays de la région à ce projet dont le coût sera amorti rapidement. Raison pour laquelle, après l’engagement du Nigeria d’y investir 12,5 milliards de dollars, soit une participation de 50% du projet, de nombreuses institutions financières sont intéressées par ce gazoduc long de 5.600 kilomètres à travers onze pays d’Afrique de l’Ouest et du Nord.