A l’échelle du continent africain, le taux médian d’inflation est passé de 9,8 % en 2022 à 4,2 % en janvier 2025, grâce à la baisse de l’inflation alimentaire et à la stabilisation des devises. Ce qui dénote d’une désinflation généralisée. Pour ce qui est de la dispersion, celle-ci est persistante. L’écart interquartile des taux d’inflation est passé de 6 à 10 %, avec des pays encore en hyperinflation, exemple : le Zimbabwe et le Soudan. L’inflation alimentaire reste élevée (6,1 % en 2025) et supérieure à l’inflation globale, malgré le ralentissement.
C’est dans ce contexte que le rapport «Africa’s Pulse» d’avril 2025 de la Banque mondiale dresse un constat sans appel: l’inflation, les gouvernances défaillantes et le manque d’opportunités économiques alimentent un mécontentement social croissant en Afrique. De quoi menacer la stabilité économique et sociale des pays africains. Alors que des millions de jeunes entrent chaque année sur un marché du travail déjà saturé, les États peinent à concilier gestion monétaire prudente, mobilisation fiscale équitable et réduction des inégalités.
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À l’aune des recommandations clés du rapport, notamment pour les pays cités dans le rapport (Afrique du Sud, Ghana, Nigeria, Kenya, Mozambique) et les autres, analysons les enjeux structurels qui entravent la résilience économique sur le continent.
Politique monétaire: un équilibre précaire face à l’inflation
La Banque mondiale souligne que les banques centrales africaines font face à un dilemme complexe: «réduire l’inflation et ancrer les anticipations tout en soutenant l’activité économique». Dans un contexte mondial marqué par des politiques commerciales restrictives et des taux d’intérêt élevés prolongés aux États-Unis – renforçant le dollar et exposant les devises africaines à des risques de dépréciation –, ces institutions doivent jongler avec des pressions contradictoires.
En Afrique du Sud, par exemple, l’ancrage des attentes dans une fourchette cible reste prioritaire. La Banque centrale sud-africaine (SARB) privilégie une communication claire pour maintenir les anticipations dans sa fourchette cible (3 à 6%), évitant ainsi un cercle vicieux de hausses de prix autoréalisatrices.
Siège de Bank ok Ghana à Accra. Etablissement en charge de la gestion de la politique monétaire du pays.. DR
Rappelons que l’«ancrage des attentes dans une fourchette cible» désigne la stratégie des banques centrales pour influencer les anticipations des acteurs économiques (ménages, entreprises, marchés) afin qu’ils croient en la stabilité future des prix. En Afrique du Sud, cela implique de communiquer clairement un objectif d’inflation et d’utiliser des outils monétaires (taux d’intérêt) pour maintenir l’inflation réelle dans cette fourchette, afin d’éviter une spirale inflationniste autoréalisatrice (hausse des salaires ou des prix par peur de l’inflation future) et stabiliser la monnaie.
Les dernières communications officielles, notamment la déclaration de politique monétaire de mars 2025, confirment que l’inflation reste contenue dans la moitié inférieure de cette fourchette cible (3-6%) et que la projection d’inflation pour 2025 est d’environ 3,6%.
À l’inverse, le Ghana et le Nigeria, confrontés à une inflation «persistante» (supérieure à 20% en 2024), n’ont d’autre choix que de maintenir une politique monétaire restrictive, malgré le coût pour l’investissement et la consommation. Un resserrement monétaire prolongé qui s’impose.
Le Kenya et le Mozambique, où l’inflation est mieux maîtrisée, bénéficient quant à eux d’une marge de manœuvre pour un assouplissement prudent, à condition de ne pas reproduire les erreurs de surendettement passées. Cependant, ces stratégies divergentes masquent une réalité commune: l’efficacité limitée des outils monétaires sans réformes structurelles.
La faiblesse des systèmes financiers, l’accès inégal au crédit pour les PME et l’absence de diversification économique réduisent l’impact des taux directeurs sur l’activité réelle. Comme le souligne le rapport, «la stabilité monétaire est nécessaire, mais insuffisante pour répondre à l’urgence de créer des emplois pour des dizaines de millions de jeunes Africains». Ainsi, ancrer les anticipations ne suffit pas: il faut aussi que les populations perçoivent une amélioration tangible de leur accès aux opportunités économiques.
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Les stratégies sont fragilisées par des facteurs exogènes: la hausse des taux directeurs aux États-Unis renforce le dollar, exacerbant les risques de dépréciation des monnaies locales. La Banque mondiale avertit que «les effets inflationnistes des politiques commerciales restrictives mondiales pourraient retarder le cycle d’assouplissement» engagé fin 2024. Une dépendance aux chocs externes qui souligne l’urgence de diversifier les économies et de renforcer les institutions monétaires.
Quid du Maroc?
Les recommandations du rapport «Africa’s Pulse» ne mentionne pas explicitement le Maroc. Cependant, en se basant sur les analyses générales du rapport et les tendances régionales, on peut déduire que le Maroc, en tant qu’économie plus diversifiée et intégrée aux marchés mondiaux, est moins directement affecté par certains des défis structurels spécifiques à l’Afrique subsaharienne.
Toutefois, il reste exposé aux chocs externes, notamment la volatilité des taux de change liée à la politique monétaire américaine, qui peut influencer la stabilité monétaire. Le Royaume doit aussi concilier une politique monétaire prudente pour maîtriser l’inflation avec la nécessité de soutenir la croissance économique et l’emploi, dans un contexte mondial incertain.
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Enfin, le Maroc partage avec d’autres pays africains la nécessité d’améliorer la gouvernance, de renforcer la mobilisation fiscale équitable et de poursuivre la diversification économique pour renforcer sa résilience face aux chocs externes.
Un contrat social à réinventer
Face à la réduction de l’aide publique au développement, les États africains doivent repenser leur «contrat fiscal». Le rapport de la Banque mondiale insiste sur la nécessité d’une «mobilisation équitable des ressources intérieures» pour financer les services essentiels (santé, éducation, énergie). Or, comme le note l’institution bancaire, «les contribuables seront plus enclins à payer des impôts s’ils ont confiance dans l’équité du système et l’utilisation des fonds».
Au Ghana et au Nigeria, où la perception de la corruption fiscale est élevée, des réformes numériques (déclaration électronique, paiement en ligne) pourraient réduire les coûts de conformité et limiter les extorsions. La banque recommande également d’élargir l’assiette fiscale via des instruments progressifs (impôt sur le revenu, taxe foncière) et de supprimer les niches inefficaces. Cependant, ces mesures risquent de se heurter à des administrations fiscales fragiles, comme au Mozambique, où le manque de spécialisation des inspecteurs et les collusions entravent la collecte.
La transparence de la dette est un autre défi: «La divulgation complète des données et des procédures d’emprunt participatives» pourrait réduire les coûts d’emprunt et attirer les investissements. L’enjeu étant de concilier rigueur budgétaire et investissements sociaux, dans un contexte où «les paiements d’intérêts grèvent l’espace fiscal».
L’impératif de redevabilité
«Africa’s Pulse» dénonce un cercle vicieux: la corruption «mine la croissance, l’équité et la sécurité», alimentant la défiance envers l’État. Les campagnes anticorruption, souvent limitées par des intérêts politiques, peinent à instaurer des réformes durables. Dans un tel contexte, la Banque mondiale prône des approches «graduelles et ciblées», combinant transparence fiscale, protection des lanceurs d’alerte et technologies de détection des fraudes.
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Au Kenya, où des initiatives de gouvernance ouverte (portails citoyens, audits publics) ont été lancées, l’impact reste lent en l’absence de «contre-pouvoirs solides». La banque souligne que «la transparence n’est pleinement efficace que si elle s’accompagne d’une justice indépendante et de médias libres». Or, dans des pays comme le Nigeria ou le Ghana, l’autonomie des institutions judiciaires et des autorités de régulation est compromise par des budgets insuffisants et des pressions politiques.
Face aux défis transnationaux (évasion fiscale, flux financiers illicites, énergie), la Banque mondiale plaide pour une réponse collective. L’accord de zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est perçu comme un levier crucial pour «exploiter les économies d’échelle et stimuler l’innovation». La coopération énergétique, via des pools régionaux, pourrait pallier le retrait de l’aide internationale, notamment dans des pays comme le Mozambique, riche en ressources mais confronté à des déficits d’accès.
Ainsi, le rapport révèle une Afrique à la croisée des chemins. Si les recommandations monétaires et fiscales offrent des pistes pragmatiques, leur succès dépendra de la capacité des États à restaurer la confiance citoyenne via une gouvernance inclusive. La Banque mondiale rappelle qu’«il n’y a pas de solutions rapides à la mauvaise gouvernance», mais que la combinaison de transparence, de redevabilité et de coopération régionale pourrait enclencher un cercle vertueux. Pour les pays cités plus haut, l’enjeu est de traduire ces principes en actions concrètes, sous peine de voir l’inflation des prix alimenter l’inflation des tensions sociales.
Inflation en Afrique : le dilemme des banques centrales face à l’urgence sociale
Points clés | Pays concernés | Recommandations principales | Défis identifiés |
---|---|---|---|
Politique monétaire | Afrique du Sud, Ghana, Nigeria, Kenya, Mozambique | - Ancrage des anticipations (Afrique du Sud); - Reserrement monétaire (Ghana, Nigeria); - Assouplissement prudent (Kenya, Mozambique); | Dépendance aux chocs externes (dollar, taux américains); Efficacité limitée sans réformes structurelles |
Contrat fiscal et équité | Ghana, Nigeria, Mozambique | - Réformes numériques (déclaration/paiement électroniques); - Élargissement de l’assiette fiscale; - Transparence de la dette | Corruption administrative; Faiblesse des institutions fiscales; Dette publique élevée |
Lutte contre la corruption | Kenya, Nigeria, Ghana | - Transparence budgétaire (portails citoyens, audits); - Protection des lanceurs d’alerte ; - Renforcement des contre-pouvoirs | Pressions politiques; Budgets insuffisants pour les institutions judiciaires/régulatrices |
Coopération régionale | Mozambique, pays ZLECAf | - Accélération de la ZLECAf; - Pools énergétiques régionaux; - Lutte contre les flux financiers illicites | Barrières non tarifaires; Déficits infrastructurels; Coordination interétatique faible |
Cas spécifique (Maroc) | Maroc | - Prudence monétaire; - Diversification économique; - Renforcement de la gouvernance | Exposition aux chocs externes; Nécessité de réformes structurelles approfondies |
Source : Banque mondiale.