Depuis quelques années, les Tunisiens font face à des pénuries de médicaments. Une pénurie qui dure plus que celles des autres denrées alimentaires (lait, farine, sucre…) que le pays a connu durant les mois passés. Cette situation est inquiétante car de nombreux médicaments essentiels, c’est-à-dire ceux qui répondent aux besoins de santé prioritaires, sont en rupture de stock alors que la liste des médicaments introuvables dans les officines continue de s’allonger depuis quelques mois.
Une conjoncture qui trahit l’impuissance des autorités en dépit de leurs promesses et qui fait peser des risques sur la santé des citoyens du pays. En décembre 2022, ce ne sont pas moins de 690 types de médicaments qui étaient en rupture de stock, selon l’Association des pharmaciens de la Tunisie, tandis que le Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot) situait ce nombre à 350, dont beaucoup sont vitaux et en majorité importés de l’étranger.
En réaction à l’incapacité des autorités à trouver des réponses, les Tunisiens recourent au système «D». Les familles comptent sur les importations réalisées grâce à leurs propres moyens et parfois avec l’aide des familles de la diaspora, malgré les difficultés que ces opérations supposent.
En conséquence, les professionnels du secteur des pharmacies continuent de lancer des cris d’alarme afin que les autorités trouvent une solution à la problématique.
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Plusieurs facteurs expliquent cette pénurie de médicaments. D’abord, il y a le fait que la Tunisie ne produit qu’une partie de ses besoins. En effet, près de 45% des besoins tunisiens en médicaments sont couverts par les importations. Pire, le pays ne produit presque pas les nouvelles molécules.
Cet état des chose a été aggravé au cours de ces dernières années par le départ de nombreux laboratoires étrangers du fait de dettes non recouvrées auprès de l’Etat. A fin 2022, la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) cumulait des dettes évaluées à 750 millions de dinars, soit plus de 234 millions de dollars, auprès de ses fournisseurs locaux, dont des filiales de multinationales. Ces pertes ont contribué au départ de trois géants du secteur: Bayer, GSK et Novartis, qui sont spécialisés dans les médicaments des maladies chroniques et de différents types de cancer.
La crise financière que traverse le pays depuis de nombreuses années est également à prendre en considération. Cette crise impacte les réserves de change du pays qui ne cessent de se rétrécir au cours de ces dernières années. Actuellement, ces avoirs extérieurs ne couvrent qu’à peine 95 jours d’importations de biens et services, soit presque 3 mois d’importation, correspondant au «seuil critique» établi par le Fonds monétaire international (FMI). Pour les autorités, il faut gérer ces réserves en donnant la priorité à de nombreuses urgences, notamment les pénuries de produits alimentaires qui suscitent plus de réactions de la part des citoyens.
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En outre la dépréciation continue du dinar tunisien vis-à-vis des devises étrangères (dollar et euro particulièrement) depuis 2016 exacerbe la pénurie. Cette dépréciation un double impact négatif sur la pénurie.
Plus de la moitié des médicaments étant importées, une dépréciation du dinar vis-à-vis des devises des pays d’où sont importés les médicaments se traduit par un renchérissement des prix des produits importés. Et c’est l’Etat qui supporte la différence du taux de change lors des opérations d’importation pour garantir la stabilité des prix des médicaments.
Seulement, l’Etat subit une crise financière aigüe et la PCT voit son déséquilibre financier, résultat en grande partie des impayés auprès de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), s’aggraver. En cumulant des déficits financiers, l’organisme, en quasi-faillite, peine à rembourser ses fournisseurs locaux et à financer ses importations auprès des fournisseurs étrangers. Nombre de ces derniers, connaissant les difficultés de la PCT, exige le paiement de leurs arriérés avant d’effectuer de nouvelles livraisons de médicaments.
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De même, cette dépréciation continue du dinar tend à renchérir les importations des biens d’équipement et des matières premières utilisées pour produire des génériques.
Par ailleurs, cette dépréciation a un impact négatif sur l’équilibre financier de la PCT. En effet, à cause de la dépréciation du dinar, la facture des importations de la PCT augmente en monnaie locale alors que l’organisme doit continuer à vendre les médicaments importés aux prix d’avant la dépréciation dans l’optique de garantir l’accessibilité des médicaments à tous.
Enfin, la faiblesse des autorisations de mise sur le marché de médicaments innovants, posant le problème de leur remboursement, les délais longs d’enregistrement des nouveaux médicaments, de 4 à 6 ans, sont également pointés du doigt pour expliquer la pénurie de médicaments.