La signature de l’accord de partenariat économique Kenya-UE, le 19 juin, a été saluée par les Européens. Il faut dire que malgré le forcing, depuis 2016, il n’y a pas eu un accord d’une telle envergure entre l’UE et un pays africain. C’est dire que les APE ont du mal à avancer et que cette signature ne doit pas cacher la difficulté des pays de l’Union européenne à convaincre les pays africains des avantages qu’offrent ces accords. D’ailleurs, rares sont les pays africains, contrairement au Cameroun et au Kenya, qui se sont pleinement engagés dans ce processus qui devrait à terme aboutir à un libre-échange. A titre d’illustration, aucun des pays d’Afrique de l’Est ayant signé cet accord avec l’UE ne l’a encore ratifié, hormis le Kenya.
Une poignée de pays africains ont ratifié ces accords de partenariat avec l’Union européenne. C’est le cas avec le Kenya depuis le 19 juin 2023.
Pour le Kenya, «cet accord tient compte des différents stades de développement. Les exportations du Kenya vers l’UE seront exemptes de droits de douane dès le premier jour, tandis que les droits de douane sur les exportations de l’UE seront libéralisés au fil du temps et ne concerneront pas tous les produits», a expliqué Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif et commissaire européen chargé du Commerce.
Les avantages annoncés sont nombreux, 21,1% du total des exportations kenyanes dans le monde vont aux pays de l’UE. Le Kenya exporte principalement des produits agricoles: thé, café, fleurs coupées, pois et haricots… L’agriculture représente autour de 25% du Produit intérieur brut (PIB).
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En contrepartie de ce libre accès au marché européen, le Kenya ouvrira progressivement le sien avec des réductions de taxe graduelles sur 25 ans, notamment pour les produits de l’industrie chimique ou des machines-outils. A travers cet accord, les produits européens verront leurs droits de douane réduits progressivement sur une période de 25 ans, à l’exception d’une série de produits sensibles.
A noter qu’avant cet accord avec le Kenya, l’APE entre le Cameroun et l’UE est entré en application en 2014. L’UE étant le premier partenaire commercial du Cameroun en absorbant 50% des exportation de ce pays d’Afrique centrale et en important 30% des exportations. Cet accord prévoit un accès libre au marché de l’UE pour tous les produits d’exportation du pays: banane, aluminium, produits transformés du cacao, contreplaqués, produits agricoles frais ou transformés…
Cet accord prévoit l’élimination progressive sur une période de 13 ans des droits de douane de 80% des produits originaires de l’UE. Ce démantèlement douanier se fera en trois étapes: réduction des droits de douanes sur l’importation de produits concourant à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration du bien-être des populations (médicaments et équipements médicaux, semences, engrais…), réduction des produits pouvant encourager la production locale (clinker, intrants pour la production alimentaire, camions tracteurs…) et enfin, en 2029, l’élimination des droits de douane sur les produits originaire de l’UE à rendement fiscal élevés (voitures, motos, équipements audiovisuels…. En clair, à partir d’août 2029, tous les produits de l’UE pourront être exportés au Cameroun sans payer de droits de douane.
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Toutefois, ces accords offrent aux pays africains la possibilité de protéger leur industrie locale naissante et leur secteur agricole à travers des exclusions de certains produits du démantèlement. Parmi les produits exclus figurent généralement les viandes, les produits laitiers, la farine, les vins et spiritueux, les articles de friperie et les textiles, les pneus usagers…
Globalement, et à première vue, ces APE peuvent avoir des effets bénéfiques sur les Etats et les africains. D’abord, ils vont en booster les exportations vers le marché européen, le premier marché mondial avec plus de 450 millions de consommateurs riches. En effet, tous les produits des pays africains signataires de ces accords entrent dans l’UE en franchise de droits de douane et sans limitation quantitative. Il faut tout de même souligner qu’une partie importante des pays africains étant classés dans la catégorie des «Pays les moins avancés» (PMA) bénéficient déjà d’un libre accès au marché européen sans contrepartie. Ceux-ci ne trouvent pas de bénéfices à signer les APE qui les obligent à ouvrir progressivement leurs marchés et perdre des recettes douanières.
Ensuite, l’élimination progressive des droits de douane rend les produits importés d’Europe beaucoup moins chers pour la population du fait que leur prix ne sont plus grevés par des droits de douane qui sont parfois très élevés.
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En outre, pour les entreprises du continent, les importations d’intrants et d’équipement avec des coût bas contribuent à améliorer leur compétitivité et à offrir sur le marché des produits à même de concurrencer ceux importés. De même, cette compétitivité peut contribuer les entreprises locales à conquérir des marchés étrangers.
Toutefois, ces accords n’ont pas que des effets positifs sur les économies africaines. En effet, ces accords ont tendance à maintenir les pays africains dans leurs rôles d’exportateurs de matières premières et importateurs de produits à valeur ajoutée. A titre d’exemple, le Cameroun exporte vers l’UE du pétrole, du cacao, du bois, des bananes et l’aluminium. Il importe des machines-outils, composants industriels, voitures, tracteurs, produits pharmaceutiques, acier… Idem pour le Kenya qui exporte presque que des produits agricoles vers le vieux continent et importe globalement des produits finis.
Ensuite, l’accès préférentiel et sans limitations quantitative au marché européen est soumis à certaines règles. Il faut que les produits répondent à la «règle d’origine» au préalable. Un produit est considéré comme originaire d’un pays s’il est, soit à 100% un produit du pays d’exportation où s’il a été suffisamment ouvré ou transformé selon les règles d’origine applicables.
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En outre, il faut que les produits exportés répondent aux normes européennes, notamment sanitaires et phytosanitaires. Ce qui constitue un obstacle pour certains exportateurs qui jugent que ces normes ne sont que des barrières non-tarifaires.
Par ailleurs, l’élimination progressive des droits de douane entraine de facto une baisse des recettes douanières des pays africains. En effet, globalement, l’UE demande aux pays du continent qui signent ces APE d’ouvrir leur marché à 80% aux produits européens sur 15 ans en échange d’une ouverture du marché européen à 100% pour les produits provenant du continent.
Or, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne (hors pays pétroliers), les droits de douane représentent une part importante des recettes budgétaires. Dans certains pays, elles représentent de 30 à 70% des recettes du budget national. C’est dire que ces recettes constituent un facteur-clef de développement économique et social des pays africains.
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Enfin, plusieurs ONG soutiennent que ces accords seraient néfastes pour des pays dont l’économie dépend largement de l’agriculture. La plupart des matières premières agricoles destinées aux industries locales sont libéralisées (poudre de lait, céréales…). Et cette libéralisation entraine une concurrence accrue avec les matières premières équivalentes produites par les agriculteurs africains. Or, l’agriculture fournit 60% des emplois et 80% des besoins alimentaires.
En outre, les produits agricoles importés d’Europe bénéficient de fortes subventions accordées aux paysans du vieux continent, avec pour conséquence la possibilité de vendre leurs produits agricoles en-dessous du prix de revient. C’est dire que les agriculteurs africains font face à une concurrence déloyale des paysans européens. Les impacts de ces accords sur certains pays poussent les ONG et les agriculteurs à être méfiants.
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Bref, ses accords sont loin de faire l’unanimité au sein du continent. Toutefois, l’UE continue de faire le forcing afin de tisser des liens économiques plus étroits avec le continent et contrer l’appétit chinois et ses «Nouvelles routes de la soie» que l’UE souhaite contrer avec sa stratégie baptisée «Global gateway».
Seulement, la Chine est le premier partenaire économique et commercial du continent et compte bien le rester. Et pour cela, sans demander de contrepartie, la Chine a supprimé, en 2022, les droits de douane sur les produits importés auprès de 18 pays africains. Pour ceux-ci, l’exonération porte sur 98% des produits actuellement taxés, soit un total de 8.800 produits, en majorité, agricoles et animaliers. La Chine compte élargir cette liste à d’autres pays africains en développement dans l’optique d’accroître le volume de ses importations en provenance du continent. Pékin vise à porter ses importations en provenance de l’Afrique de 100 milliards de dollars actuellement à 300 milliards de dollars en 2035.