Lors de la dernière visite à Alger de Giorgia Meloni, présidente du Conseil italien, l’Algérie et l’Italie ont annoncé leur volonté de relancer le projet d’un deuxième gazoduc entre les deux pays. Baptisé Galsi (Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie), il s’agit d’un vieux projet datant des années 2000 qui vise à relier la côte algérienne à partir d’Annaba (est du pays) à l’Italie, en passant par l’ile de Sardaigne. Ainsi, ce gazoduc reliera directement les deux pays et ainsi éviter la Tunisie, contrairement au gazoduc Transmed qui relie les deux pays en traversant 370 km en territoire tunisien.
Par la suite, c’est le président algérien Abdelmadjid Tebboune qui a assuré qu’un accord a été signé pour l’étude et la réalisation d’un nouveau gazoduc devant relier directement l’Algérie à l’Italie, soulignant que celui-ci «transportera à la fois le gaz, l’hydrogène, l’ammoniac et même de l’électricité», ajoutant que «la durée de réalisation de ce projet est laissée à l’estimation des techniciens. Néanmoins, je crois qu’elle sera de courte».
Seulement, si Algériens et Italiens sont enthousiastes pour la mise en place de ce nouveau gazoduc, ce projet suscite la crainte des Tunisiens. Ces derniers craignent tout simplement, qu’à terme, le Transmed ne subisse le même sort que celui du gazoduc Maghreb Europe (GME), reliant l’Algérie à l’Espagne, via le Maroc. Sur décision des autorités algériennes, le gazoduc Maghreb Europe a été fermé le 1er novembre 2021.
Lire aussi : Energie: l’Espagne inquiète après la décision algérienne de livrer davantage de gaz à l'Italie
Il faut dire que le passage du gaz algérien via ce gazoduc, mis en œuvre en 1983 et doté d’une capacité de transport de 32,7 milliards de mètres cubes de gaz par an, a des retombées positives sur l’économie tunisienne.
Avec le passage du gazoduc sur son territoire, le pays bénéficie d’une redevance fixe de 5,25% du gaz transporté, payée en gaz ou en dollars. Ce gaz représente 65% des besoins de la Tunisie et aurait rapporté environ 500 millions de dinars en 2022.
Par ailleurs, l’Algérie et l’Italie, via les groupes Sonatrach et ENI, avaient décidé augmenter le flux de gaz entre les deux pays de 9 milliards de mètres cubes sur trois ans, en utilisant les capacités inexploitées du gazoduc Transmed. Ce qui devrait fortement augmenter la redevance en gaz dont bénéficie la Tunisie à hauteur presque de 100% des besoins du pays en gaz. C’est dire l’importance du gazoduc pour l’économie et les finances publiques tunisiennes.
En conséquence, les craintes des Tunisiens paraissent bien légitimes. D’abord, le sort du gazoduc GME est là pour les rappeler qu’en matière de relations internationales rien n’est figé. Lorsque les Algériens ont construit un gazoduc Medgaz reliant directement leur pays à l’Espagne, ils n’ont pas hésité à ne pas renouveler le contrat qui les liait au Maroc et ont tout simplement arrêté les livraisons de gaz à l’Espagne via le royaume, arguant des tensions diplomatiques entre les deux pays.
Lire aussi : Hydrocarbures: trois pays africains dans le top 10 mondial de ceux qui torchent leur gaz
Ensuite, avec une capacité de 32,7 milliards de mètres cubes par an, et seulement 25 milliards de mètres cubes de gaz livrés par an actuellement, le gazoduc Transmed est loin d’être saturé. Ce d’autant plus que l’Algérie ne dispose pas vraiment de ressources gazières lui permettant d’accroître fortement sa production du fait que ses principaux gisements de sont en déclin et surtout que la consommation interne croit beaucoup plus rapidement que la production. Partant, avancer que le nouveau gazoduc vise à transporter les quantités dont le Transmed ne peut transporter est loin de rassurer sur les intentions réelles des groupes ENI et Sonatrach.
En outre, les capacités du nouveaux gazoduc n’étant pas encore connues, il n’en demeure pas moins qu’il est fort probable qu’elles soient identiques voire supérieurs à celles du Transmed pour le rentabiliser rapidement. Et auquel cas, l’Algérie qui ne dispose pas d’importantes ressources gazières supplémentaires à exporter devra faire le choix entre son gazoduc, pour lequel elle ne paiera aucune redevance, et celui transitant par la Tunisie. Et le choix sera vite fait, comme ce fut le cas avec le GME. A défaut d’arrêter l’utilisation du gazoduc tunisien, elle pourra réduire le flux transitant par celui-ci, comme elle l’avait fait avec le gazoduc GME après la mise en service du gazoduc Medgaz avant de procéder à l’arrêt du transit par celui-ci.
Lire aussi : Gazoduc Nigeria-Maroc: Signature à Rabat d'un MoU entre la CEDEAO, le Nigeria et le Maroc
Face aux craintes légitimes des Tunisiens, Algériens et Italiens essayent d’être rassurants en soutenant que le gaz continuera à couler via le Transmed. Et comme argument fondamental, on avance des «relations algéro-tunisiennes au beau fixe». Un argument qui est loin de rassurer tout le monde. D’ailleurs, en mai 2022, en pleine crise de gaz, les autorités algériennes avaient souligné ne plus pouvoir fournir la Tunisie en gaz additionnel, proposant à son voisin de réviser les prix de quota, s’il tient à se faire fournir un supplément de gaz algérien, en dehors des contrats. C’est dire qu’en matière d’affaires, il n’y a pas de place aux sentiments. D’où l’intérêt des Tunisiens à préparer un plan B pour faire face aux conséquences qui résulteraient de la mise en place éventuelle du gazoduc Galsi.