Les travaux de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) constituent l’une des références les plus citées sur le sujet. Dans son rapport publié en 2020, l’institution onusienne estime à environ 88,6 milliards de dollars par an le montant des flux financiers illicites quittant l’Afrique. La CNUCED souligne que ce volume est du même ordre de grandeur que l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers entrants cumulés sur le continent, mettant en évidence un paradoxe financier majeur: l’Afrique reçoit des flux de capitaux officiels tout en voyant s’évaporer, dans le même temps, des ressources domestiques considérables.
Cette lecture est partagée par la Banque africaine de développement. Dans plusieurs analyses récentes, l’institution panafricaine élargit le périmètre en intégrant les mécanismes d’évitement fiscal agressif et les pratiques de corruption, estimant que les sorties globales de capitaux liées à ces phénomènes dépassent 580 milliards de dollars par an. Selon la BAD, ces flux contribuent directement à l’aggravation du déficit de financement des infrastructures, évalué à près de 170 milliards de dollars par an, et à l’alourdissement de la dette publique africaine, qui avoisine désormais les 2 000 milliards de dollars.
Les données historiques viennent renforcer ce diagnostic. Sur la période 2000-2015, les sorties financières illicites cumulées de l’Afrique sont estimées à environ 836 milliards de dollars. Plusieurs travaux cités par la BAD et par des organisations spécialisées indiquent qu’en tenant compte de ces sorties nettes, le continent apparaît, sur cette période, comme un créancier net vis-à-vis du reste du monde, une réalité rarement intégrée dans les débats sur le financement du développement africain.

La répartition géographique de ces flux met en lumière des concentrations régionales marquées. L’Afrique de l’Ouest figure parmi les zones les plus affectées, en particulier les pays disposant de secteurs extractifs importants. Le Nigeria, première économie de la sous-région, se distingue par l’ampleur des montants en jeu. Selon une estimation officielle publiée en 2014, les flux financiers illicites en provenance du Nigeria se sont élevés à environ 2,2 milliards de dollars cette année-là, soit près de 4% des recettes budgétaires du pays. Ces chiffres sont régulièrement cités par les autorités nigérianes et par les organisations internationales comme révélateurs de vulnérabilités persistantes dans la gestion des revenus pétroliers et miniers.
Dans la même région, le Ghana, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont également mentionnés dans plusieurs rapports internationaux pour des pertes significatives liées à l’exploitation minière et pétrolière. Les analyses disponibles, notamment celles relayées par la CNUCED et par Global Financial Integrity, mettent en avant des mécanismes de sous-facturation des exportations et de manipulation des prix de transfert dans les secteurs à forte intensité de ressources naturelles.
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L’Afrique centrale présente des caractéristiques similaires, avec une exposition accrue aux flux illicites dans les pays riches en minerais et en ressources forestières. La République démocratique du Congo occupe une place centrale dans ces évaluations. Selon les données issues de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI), les audits réalisés dans le pays ont permis d’identifier plus de 100 millions de dollars de recettes qui n’avaient pas été versées au Trésor public. Ces montants concernent principalement les secteurs minier et forestier et illustrent, selon l’EITI, l’ampleur des écarts entre les revenus théoriquement dus à l’État et les flux effectivement perçus.
En Afrique australe, l’Afrique du Sud apparaît comme le principal contributeur aux sorties financières illicites de la sous-région. Les estimations disponibles indiquent qu’entre 2010 et 2014, le pays a enregistré en moyenne environ 7,4 milliards de dollars par an de sorties illicites. Ces données, reprises dans plusieurs études de Global Financial Integrity et citées par la Banque africaine de développement, soulignent le rôle central des fausses facturations commerciales et des transferts abusifs de bénéfices au sein de groupes multinationaux opérant notamment dans les secteurs minier et des services.
Selon la CNUCED, la fraude fiscale et l'évasion fiscale agressive privent les pays africains de recettes fiscales, menaçant les droits de l'homme et affectant particulièrement les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants et les personnes handicapées.. DR
D’autres pays de la région australe, tels que la Namibie et le Botswana, ainsi que plusieurs États d’Afrique de l’Est, sont également mentionnés dans la littérature spécialisée pour des pratiques d’évitement fiscal et de commerce illicite, bien que les montants recensés y soient d’une ampleur plus limitée. En Afrique du Nord, l’Égypte figure parmi les grands pays contribuant au total continental des flux financiers illicites, selon les compilations régionales citées par la CNUCED et la BAD.
Au-delà des agrégats régionaux, certaines études de cas nationales illustrent concrètement les mécanismes à l’œuvre. Au Nigeria, les évaluations officielles font état de pertes annuelles de plusieurs milliards de dollars liées aux flux illicites. L’estimation de 2,2 milliards de dollars pour l’année 2014, soit environ 4 % des recettes publiques, est régulièrement citée par les autorités nationales et par les partenaires internationaux. Par ailleurs, les audits menés dans le cadre de l’EITI ont permis au pays de récupérer environ 2,4 milliards de dollars de recettes supplémentaires, principalement fiscales, révélant l’ampleur des manquements antérieurs.
En Afrique du Sud, les flux illicites identifiés sur la période 2010-2014, évalués à 7,4 milliards de dollars par an en moyenne, sont principalement attribués à des pratiques de fausse facturation des échanges commerciaux et à des transferts de bénéfices intra-groupes. Ces données, issues des travaux de Global Financial Integrity et reprises par la BAD, mettent en évidence l’impact de ces mécanismes sur la capacité de financement des investissements publics, en particulier dans les infrastructures et les services sociaux.
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En République démocratique du Congo, les contrôles réalisés par l’EITI ont mis au jour des recettes non perçues dépassant 100 millions de dollars, dans un contexte où la capacité de collecte fiscale demeure structurellement faible. Ces pertes documentées s’inscrivent dans un environnement marqué par une forte dépendance aux exportations de minerais stratégiques tels que le cobalt, le coltan, l’or et le diamant.
Les sources des flux financiers illicites en Afrique sont désormais bien identifiées par les institutions internationales. Selon la CNUCED, la Banque africaine de développement et Global Financial Integrity, l’évasion fiscale et les abus commerciaux constituent la composante principale du phénomène, représentant jusqu’à environ 65% des flux illicites. Ces pratiques incluent la manipulation des prix de transfert, la sous-facturation ou la surfacturation des échanges internationaux et le transfert artificiel de bénéfices vers des juridictions à fiscalité réduite.
La corruption et les détournements de fonds publics constituent un autre canal majeur. Les capitaux issus de pots-de-vin, de surfacturations internes ou de détournements par des responsables publics et des entreprises d’État quittent fréquemment les circuits financiers officiels pour être dissimulés ou blanchis à l’étranger, comme le documentent plusieurs rapports de l’Union africaine et de la BAD.
La criminalité organisée et les marchés illicites sont également explicitement identifiés comme sources de flux financiers illicites. Les revenus issus des trafics de drogues, d’armes, d’or illégal, de contrefaçons ou de traite d’êtres humains transitent souvent par des structures offshore, selon les analyses de Global Financial Integrity et de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Ces fonds sont ensuite investis hors du continent, contribuant à l’érosion des bases fiscales nationales.
Des pertes documentées aux effets mesurables
Les impacts économiques des flux financiers illicites sont largement documentés. La perte de recettes fiscales figure au premier rang des conséquences observées. Les données citées par la BAD indiquent que les pays africains les plus exposés aux flux illicites dépensent en moyenne 25% de moins en santé et 58% de moins en éducation que ceux où ces fuites sont plus limitées. Ces écarts budgétaires, rapportés dans plusieurs études comparatives, affectent directement les capacités d’investissement dans le capital humain.
Le frein aux investissements publics constitue un autre effet mesuré. La Banque africaine de développement rappelle que le déficit annuel de financement des infrastructures en Afrique est estimé à près de 170 milliards de dollars. Les sorties de capitaux illicites aggravent cet écart, obligeant les États à recourir davantage à l’endettement pour financer des projets essentiels.
Enfin, le lien entre flux financiers illicites et surendettement est souligné par plusieurs institutions. Selon la BAD, la dette publique du continent avoisine 2 000 milliards de dollars et les coûts de financement atteignent des niveaux historiquement élevés. Plus de la moitié des pays africains consacrent désormais une part plus importante de leurs budgets au service de la dette qu’aux dépenses de santé, une situation documentée dans les rapports récents de la Banque africaine de développement et de l’Union africaine.
L’ensemble de ces constats repose sur des sources institutionnelles convergentes, notamment la CNUCED, la Banque africaine de développement, l’Union africaine, Global Financial Integrity et l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. Leurs travaux confirment, sans ambiguïté, l’ampleur des flux financiers illicites en Afrique, la diversité de leurs origines et leurs effets économiques profondément structurants sur les finances publiques et les trajectoires de développement du continent.












