La Russie, sous l’effet de l’isolement que lui ont imposé les pays occidentaux depuis le déclenchement de la guerre avec l’Ukraine, essaye de multiplier les initiatives afin d’élargir le cercle de ses partenaires commerciaux. Après avoir consolidé ses relations avec les géants des Brics, à savoir la Chine et l’Inde, mais aussi la Turquie, devenue un partenaire stratégique pour les exportations du pays, la Russie, qui a fait de la Méditerranée sa priorité diplomatique, veut également développer ses échanges commerciaux, encore faibles, avec les pays de l’Afrique du Nord,. Ces derniers sont ses principaux partenaires commerciaux au niveau du continent africain.
C’est ainsi qu’au lendemain du sommet Russie-Afrique, tenu à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet dernier, le président russe Vladimir Poutine a annoncé, le 2 août courant, que des accords commerciaux sont en cours d’élaboration avec les pays d’Afrique du Nord. «Nous préparons des accords sur une zone de libre-échange avec l’Egypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie», a déclaré Poutine lors d’une rencontre avec des membres de son gouvernement, justifiant le choix prioritaire de cette région par son niveau de développement, comparativement au reste du continent africain.
Pour les autres régions du continent, le président russe a annoncé l’augmentation du nombre de partenariats économiques.
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A travers ces accords de libre-échange en préparation, la Russie souhaite rattraper son retard avec les pays d’Afrique du Nord, dont certains sont liés avec l’Union européenne et les Etats-Unis par des accords de libre-échange, comme c’est le cas notamment pour le Maroc. Des accords qui facilitent les échanges commerciaux en éliminant les barrières tarifaires et qui pourraient ainsi doper le commerce entre les parties.
En ce qui concerne le choix des pays d’Afrique du Nord pour mettre en place des accords de libre-échange, il se justifie par le niveau des relations économiques entre la Russie et ces pays. Ces relations sont beaucoup plus développées, comparativement au reste du continent, si on exclut l’Afrique du Sud.
Il est essentiel de souligner que globalement, au-delà des armes dont l’Algérie et l’Egypte sont de gros clients de Moscou, les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique demeurent globalement faibles. En 2021, avec tout le continent, le volume des échanges commerciaux s’est établi à seulement 18 milliards de dollars dont 4,7 milliards de dollars en denrées alimentaires, particulièrement le blé, le maïs, l’orge…. Un volume négligeable comparativement à celui de la Chine qui a atteint un niveau record de 282 milliards de dollars en 2022.
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Une analyse plus fine montre que ces échanges russo-africains sont fortement concentrés sur un quatuor de pays: Egypte, Algérie, Maroc et Afrique du Sud. On comprend dès lors l’intérêt russe d’établir une zone de libre-échange avec les pays d’Afrique du Nord.
La Russie exporte vers le continent des céréales, notamment du blé, des armes, des engrais, des hydrocarbures, particulièrement depuis le déclenchement de la crise ukrainienne et les sanctions imposées par les pays occidentaux. Ainsi, en ce qui concerne le Maroc, le diésel importé de Russie est passé de 66.000 tonnes en 2021 à 735.000 tonnes en 2022.
Le principal partenaire commercial de la Russie en Afrique est l’Egypte. Selon les données du ministère égyptien du Commerce, le volume des échanges entre les deux pays a atteint 4,7 milliards de dollars en 2021 avec une balance commerciale nettement en faveur de la Russie dont les exportations vers l’Egypte avaient atteint 4,18 milliards de dollars, contre des importations se chiffrant à 592 millions de dollars. C’est dire que le solde de la balance commerciale est largement en faveur de la Russie. Le blé russe occupe une place importante dans les importations égyptienne en raison de sa proximité, de sa qualité et de ses prix compétitifs.
Afin de contourner l’usage du dollar dans les transactions et les restrictions faites aux banques russes quant au recours au Swift pour le paiement des transactions, la Russie et l’Egypte ont convenu, en juin 2022, d’utiliser leurs devises nationales (rouble et livre égyptienne) pour les règlements de leurs échanges commerciaux.
L’Algérie est le second partenaire commercial de la Russie au niveau de la région. En 2021, les échanges commerciaux s’étaient établis à 3 milliards de dollars. Les exportations de la Russie vers l’Algérie se sont élevées à 2,99 milliards de dollars. L’Algérie importe des armes, du blé, des produits alimentaires… Les exportations algériennes, essentiellement des produits alimentaires (sucre, produits de confiserie, matières premières agricoles…) se sont établies à seulement 18,27 millions de dollars en 2021, contre 9,13 millions en 2020. C’est dire que l’Algérie n’exporte tout simplement rien du tout vers la Russie.
Lors de la récente visite du président algérien en Russie, à la mi-juin dernier, les deux pays ont convenu d’encourager le passage aux devises nationales dans leurs échanges commerciaux.
Le Maroc est le troisième partenaire commercial de la Russie de la région avec un volume des échanges qui fluctue d’une année à l’autre. Celui-ci s’est établi à 1,6 milliard de dollars en 2021, en hausse de 42% par rapport à l’année précédente. La Russie exporte de la chimie, la pétrochimie, des métaux, des produits de haute technologie, des produits alimentaires, des hydrocarbures et dérivés (ammoniac)… Le Maroc exporte quasi essentiellement des produits agroalimentaires (agrumes, tomates…), produits frais (poissons)… pour une valeur de 822 millions de dollars. En 2021, le solde de la balance commerciale entre les deux pays a été de 778,4 millions de dollars au profit de la Russie. Ainsi, l’accord stratégique signé entre les deux pays n’a pas permis d’équilibrer les échanges.
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Bref, les échanges commerciaux entre la Russie et les pays de l’Afrique du Nord sont largement en faveur de la Russie.
Une situation qui s’explique grandement par un certain nombre de facteurs: faiblesse des offres des pays de la région à destination de la Russie, concentration du commerce de la région vers le marché européen, faiblesse globale de la valeur des produits exportés (produits agricoles notamment) par les pays de la région par rapport à ceux importés,… Ainsi, en l’absence d’offres de qualité, ces accords de libre-échange pourraient aggraver les déséquilibres de la balance des échanges, tout en faisant perdre aux pays de la région des recettes douanières.
Pour autant, avec un marché de plus de 150 millions de consommateurs, la Russie peut constituer une opportunité pour les pays de la région qui disposent d’offres de produits relativement diversifiées (automobile, textiles, agroalimentaires…), comme c’est le cas du Maroc. En effet, avec les départs des opérateurs occidentaux de la Russie, les pays d’Afrique du Nord peuvent constituer des alternatives pour un certain nombre de produits.