Loin des sphères diplomatique et technologique, la Chine et les Etats-Unis se livrent à une rude bataille dans l’univers des ressources minières en Afrique, particulièrement dans l’exploitation du lithium. Ce métal vert est un des composants essentiels à la fabrication de batteries pour véhicules électriques (VE), notamment le lithium-ion. Il stocke beaucoup mieux l’électricité que tous les autres minerais. Mieux, sa légèreté permet aux industriels de fabriquer des batteries légères, peu volumineuses et pouvant stocker une grande quantité d’énergie. On comprend donc aisément l’intérêt grandissant que portent ces deux grandes puissances à cet or blanc.
Dans cette compétition minérale, Pékin a très tôt pris les devants en multipliant les gros investissements dans plusieurs pays africains, depuis plus d’une décennie. L’une des dernières opérations, c’est l’accord que Hainan Mining, filiale du conglomérat chinois Fosun International, a signé le 19 janvier 2023 avec le britannique Kodal Minerals, pour investir 100 millions de dollars dans sa nouvelle filiale Kodal Mining UK Limited. Ce qui lui permettra de détenir 51% des parts de cette entité chargée de développer la mine de lithium Bougouni au Mali, d’une capacité de près de 2 millions de tonnes sur une durée de 8,5 ans.
Toujours au Mali, une autre entreprise chinoise, Jiangxi Ganfeng Lithium, l’un des plus gros producteurs de lithium au monde, a mis en place depuis 2021, une joint-venture avec l’australien Firefinch, filiale de Leo Lithium, pour acquérir une participation de 50% dans Mali Lithium BV, pour 130 millions de dollars. Une coentreprise qui développera le projet de lithium Goulamina d’une superficie de 100 km².
Cette mine de lithium, la première en Afrique de l’Ouest, est située à environ 150 km au sud de Bamako, avec une capacité annuelle de 726.000 tonnes de minerais de lithium sur 23 ans. Son entrée en production est prévue pour le premier semestre 2024. Les deux partenaires ont annoncé le 19 avril 2023, le rachat de 100% des parts de deux concessions minières à proximité de Goulamina pour un montant de 3,11 millions de dollars.
Lire aussi : Transition énergétique: la demande des minerais stratégiques va exploser, voici les pays africains qui en profiteront
Le riche sous-sol de la République démocratique du Congo (RDC) attise aussi les convoitises chinoises. Fin 2020, Jiangxi Ganfeng Lithium avait conclu un accord quinquennal avec l’entreprise australienne AVZ Minerals, pour acquérir près d’un tiers du capital de la mine de Manono, considérée comme le plus grand gisement de lithium au monde. Avec à la clé, un approvisionnement annuel de 160 000 tonnes de lithium.
A plus de 1.800 km de cet Etat d’Afrique centrale, au Zimbabwe, pays qui abrite d’importants gisements inexploités de lithium, les investisseurs de l’Empire du milieu sont également présents. Fin décembre 2021, l’entreprise Zhejiang Huayou Cobalt acquiert mine Arcadia Lithium auprès la société australienne Prospect Ressources, pour un montant de 422 millions de dollars. Ce gisement minier, d’une capacité de 42,3 millions de tonnes de réserves de minerais, est situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale Harare. En 2021, deux autres sociétés chinoises, Shenzhen Chengxin Lithium Group et Sinomine Resource Group, avaient aussi investi dans le lithium zimbabwéen.
Outre l’exploitation, les groupes chinois misent de plus en plus dans la transformation du lithium. En mai 2022, Zhejiang Huayou avait annoncé un investissement de 300 millions de dollars pour développer la mine et construire une usine qui pourra traiter environ 4,5 millions de tonnes de minerai et produire 400.000 tonnes de concentré de lithium par an.
Fin mars 2023, Premier African Minerals, a lancé sa première usine de traitement de lithium au Zimbabwe, d’une capacité de près de 50.000 tonnes de concentré de spodumène par an. En décidant d’investir dans la transformation du lithium, ces entreprises souhaitent s’aligner sur la décision de l’Etat zimbabwéen qui a interdit l’exportation du lithium brut, depuis décembre 2022.
Les gisements de lithium du Maroc attirent aussi les Chinois. Le 5 avril 2023, le groupe coréen LG Energy Solutions (LGES), deuxième producteur mondial de batteries électriques, a paraphé un accord avec le chinois Yahua Industrial Group pour la production d’hydroxyde de lithium dans le Royaume. Objectif: renforcer sa chaîne d’approvisionnement en lithium, notamment vers les Etats-Unis.
Lire aussi : Batteries pour véhicules électriques: le Coréen LG produira du lithium au Maroc
Si la Chine multiplie les partenariats et les opérations de rachat en Afrique, c’est pour sécuriser ses approvisionnements et consolider sa position de premier producteur mondial de batteries à lithium avec près de 75% de la production mondiale. D’après Bloomberg, qui cite une note de la banque UBS AG, d’ici 2025, les mines contrôlées par les intérêts chinois devraient produire jusqu’à 705.000 tonnes de lithium, contre 194.000 tonnes en 2022. Ce qui fera passer la part de Pékin dans l’offre mondiale de 32% en 2025 contre 24% en 2022. Une progression soutenue par ses nombreuses mines en Afrique.
L’offensive américaine
Cette omniprésence chinoise sur le marché du lithium n’enchante guère le rival américain. Pour contrer cette montée en puissance de Pékin, Washington a mis en place une stratégie offensive axée sur l’extraction plus propre et plus respectueuse des droits de l’homme. Une critique à peine voilée à la Chine, régulièrement accusée de pratiques d’exploitation des ouvriers. Une intense diplomatie dont les prémisses sont apparus lors du magistère de l’ancien président Donald Trump, qui ambitionnait de développer une politique audacieuse de contrôle des réserves de lithium dans le monde.
Fin septembre 2022, les Etats-Unis organisaient une réunion ministérielle à New York, dans le cadre du Partenariat pour la sécurité des ressources minières, initié en collaboration avec le Japon et l’Union européenne. Des pays miniers africains en l’occurrence la RDC, le Mozambique, la Namibie, la Zambie et la Tanzanie, y étaient conviés.
Trois mois plus tard, le 13 décembre, lors du Sommet USA-Afrique, Washington signe un mémorandum d’entente avec la RDC et la Zambie pour développer, dans ces deux pays, une chaîne de valeur complète autour des batteries pour véhicules électriques, de l’extraction des minerais jusqu’à la fabrication industrielle.
Lire aussi : RDC: création d'un centre de recherche sur les batteries électriques, avant une usine
Parallèlement, de hauts responsables américains comme la vice-présidente Kamala Harris, la Secrétaire du Trésor Janet Yellen, l’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, le Secrétaire d’Etat Anthony Blinken, ainsi que la première dame Jill Biden, ont séjourné dans plusieurs pays africains comme le Ghana, la Zambie, la Tanzanie. Soit cinq visites officielles entre décembre 2022 et avril 2023. Des séjours durant lesquels les questions économiques étaient au centre des échanges.
L’UE aussi dans la course...
L’Union européenne, devancée par les deux mastodontes sur le terrain minier, lorgne aussi vers l’Afrique. Lors du Forum économique de Kinshasa, en mars 2023, l’UE a annoncé des négociations avec la RDC pour l’aider à mettre en place un hub régional pour la production de batteries électriques. Une manière de permettre à ses pays membres de sécuriser leurs approvisionnements pour les voitures électriques, après que le Parlement européen a voté, en juin 2022, la fin des ventes de voitures thermiques neuves dans l’UE à partir de 2035.
L’UE souhaite aussi inciter les constructeurs européens à s’implanter dans ce pays, avec des coûts de production avantageux. BloombergNEF le confirme d’ailleurs dans son étude sur le coût de production de batteries électriques en RDC, publié en novembre 2021. A en croire le centre de recherche américain, construire une usine de 10.000 tonnes de matériaux pour batteries électriques reviendrait environ trois fois moins cher qu’en Chine et environ deux fois moins cher qu’en Pologne, pays membre de l’UE.
Kwasi Ampolo, principal auteur du rapport explique que «les matières premières des batteries sont, dans la plupart des cas, importées en Chine depuis l’Afrique et raffinées avant d’être exportées vers l’Europe». Ainsi, à travers la RDC, «les constructeurs automobile européens peuvent réduire leurs émissions (de gaz à effet de serre) en raccourcissant la distance de transport, en tirant profit du réseau hydroélectrique de la RDC et de la proximité des matières premières».
Si ces trois géants se focalisent sur l’exploitation et la production des minerais entrant dans la fabrication des batteries électriques, notamment le lithium, c’est parce qu’ils sont conscients de la demande croissante de ce métal au niveau mondial. Cette forte consommation devrait se répercuter sur les prix de cet or blanc. Déjà en 2021, les coûts avaient connu une hausse de près de 500%. D’après l’Agence internationale de l’énergie, les fabricants de technologies fonctionnant aux énergies propres auront besoin de 40 fois plus de lithium en 2040 qu’en 2020.
Source: Cleantechnica.
Le secteur des véhicules électriques carbure aussi à grande vitesse. Selon le site spécialisé Cleantechnica, plus de 6,3 millions de VE se sont vendus dans le monde entre janvier et novembre 2022, contre plus de 4,6 millions en 2021. Un marché logiquement dominé par l’Américain Tesla (18,1%) d’Elon Musk et les constructeurs chinois BYD (12,7%) et SAIC Motor (9,6%).
Mais dans cette course électrique, Pékin a pris une importante longueur d’avance par rapport à ses deux concurrents. «La Chine avait le champ libre depuis 15 ans, pendant que le reste du monde dormait», déclarait Brian Menell, DG de l’entreprise minière TechMet, dans un article publié le 28 février 2023, par l’hebdomadaire britannique The Economist.
Jusqu’ici spectateurs de cette rivalité sino-américaine sur leur terre, des pays comme la RDC et la Zambie décident de sortir de leur passivité en investissant dans la production de batteries électriques. Les deux pays ont signé un accord fin mars 2023 pour réaliser d’une étude de faisabilité pour la mise en place d’une industrie de batteries électriques des véhicules électriques.
Cette future usine sera construite dans la province du Haut-Katanga en RDC, zone économique spéciale frontalière avec la Zambie. Puissent d’autres pays miniers comme le Mali, le Zimbabwe, ou encore la Tanzanie, s’en inspirer.