L’extraction d’hydrocarbures en Afrique est à un tournant. «En mettant l’accent sur des infrastructures solides, en renforçant les compétences locales et en développant plusieurs sites de production au lieu de simples mégaprojets, la nouvelle vague d’exploration pourrait enfin exploiter le potentiel énergétique tant attendu de l’Afrique», c’est la thèse soutenue par la Chambre Africaine de l’Énergie (CAE), dans une récente communication.
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Une analyse qui ne relate pas simplement des découvertes, mais qui dessine les contours d’une nouvelle stratégie pour exploiter le potentiel énergétique du continent.
Ainsi, loin des anciens modèles centrés sur les mégaprojets, une approche plus agile, intégrée et politiquement intelligente émerge sur le terrain, avec des implications profondes pour un certain nombre de pays clés et les investisseurs.
Ressource humaine ivoirienne sur une plateforme offshore de l'Italien ENI. Sur le terrain, l'intégration de compétences locales devient une priorité stratégique pour les nouveaux projets agiles.
Namibie et Afrique du Sud: renaissance transfrontalière
La Namibie s’affirme comme le nouveau phare de l’exploration africaine, portée par la découverte majeure du bassin Venus par TotalEnergies, en 2022. Ce projet, visant 160.000 barils/jour via une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) et 40 puits sous-marins, n’est pas qu’une prouesse technique. C’est un catalyseur régional.
Pour la CAE, «Venus est une percée qui remodèle les perceptions de l’industrie sur le potentiel de l’Afrique australe», souligne l’analyse. L’audace continue avec le prospect Olympe-1X, foré plus à l’ouest que jamais, testant de nouveaux concepts géologiques en eaux profondes.
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L’Afrique du Sud profite directement de cet élan. L’extension orientale du bassin attire des acteurs comme Rhino Resources (Volans-1X) et Eco Atlantic. Shell, capitalisant sur ses succès namibiens, planifie une campagne de cinq puits. Cependant, cette dynamique transfrontalière bute sur des contraintes commerciales et des vents contraires juridiques persistants, notamment les contestations sur la Côte sauvage.
Ici, le défi est double: considérer ensemble la géologie, l’infrastructure d’exportation et la politique intérieure pour matérialiser ce potentiel. Pour la Chambre Africaine de l’Énergie, le succès dépendra de la capacité à harmoniser les cadres réglementaires et à surmonter les blocages judiciaires.
Angola: onshore VS eaux ultra-profondes
L’Angola illustre la diversification des fronts pionniers. Si les eaux ultra-profondes restent un enjeu majeur (cf. le puits Quitexe-1 d’Azule Energy dans le Bloc 47), le vrai coup de théâtre pourrait venir de l’onshore. Le Bassin du Kwanza, inactif depuis 40 ans, pourrait accueillir le premier puits d’exploration pré-sel depuis les années 1980 avec Sirius, porté par Corcel. Dans le contexte géologique et pétrolier, le terme «pré-sel» désigne une formation géologique située sous une couche de sel dans les bassins sédimentaires offshore.
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Ce «pari» estimé à un milliard de barils, pourrait débloquer une toute nouvelle province pétrolière. Une renaissance étroitement liée aux réformes institutionnelles, réglementaires et contractuelles en cours du gouvernement angolais. Soulignons ici l’importance critique de la stabilité réglementaire et de la simplification des procédures pour attirer les investissements dans des zones moins conventionnelles.
Côte d’Ivoire et São Tomé-et-Príncipe
Selon la CAE, la Côte d’Ivoire renforce son attractivité. Le puits Civette-1 de Murphy Oil, et les prospects Caracal (150-360 Mboe) et Kobus (jusqu’à 1,26 Mds boe), démontrent la matérialité des opportunités restantes au sein d’un bassin dynamisé par ailleurs par le champ Baleine de l’italien Eni. MBOE est un acronyme anglo-saxon signifiant mille barils équivalents pétrole.
Le véritable symbole de la diversification géographique est São Tomé-et-Príncipe. Le wildcat Falcao-1 de Shell dans le Bloc 10, s’appuyant sur la découverte Jaca-1 de Galp (2022), redéfinit le potentiel de ce pays insulaire. La Chambre Africaine de l’Énergie note que «la vision actualisée de la géologie du sous-sol ressemble désormais à des pays déjà producteurs comme le Gabon et la Guinée équatoriale», déclenchant une vague de plans de forage pour 2026-2027.
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Selon la Chambre, les eaux ultra-profondes ouest-africaines, avec peu de puits au-delà de 3.000 mètres, reste «l’une des dernières vraies frontières». Le développement de ces petits États dépendra de leur capacité à négocier des termes fiscaux équitables et à mettre en place des cadres de contenu local efficaces pour maximiser les retombées locales.
Sénégal: le modèle des petits projets
La Chambre africaine de l’Énergie (CAE) cite explicitement le Sénégal comme exemple stratégique. «Sangomar... a accéléré les octrois de licences grâce aux revenus précoces». Un cas qui illustre la thèse centrale de la CAE: «les projets pétroliers de plus petite taille et plus rapides» offrent des avantages considérables. Ils génèrent des flux de trésorerie significatifs qui peuvent «jouer un rôle de multiplicateur de politiques publiques, capables de modifier les incitations gouvernementales». À l’instar des «raccordements pétroliers de plus petite taille de l’Angola après 2018» qui ont soutenu les services locaux et incité à des réformes réglementaires. Ils offrent un modèle plus résilient.
Risque, récompense et développement local
La CAE dévoile ainsi une vérité cruciale pour l’économie de l’exploration: les «échecs» ont de la valeur. Les puits non commerciaux qui rencontrent des roches mères ou des systèmes pétroliers aident à affiner les modèles de bassin et à réduire les coûts d’exploration futurs.
Deuxième vérité: l’agilité stratégique prime. Les portefeuilles qui «s’adaptent rapidement aux informations négatives» surpassent ceux «bloqués dans de vieux modèles géologiques». Ainsi, l’accent est mis sur une approche fondamentalement différente du développement qui privilégie une infrastructure solide et des sites multiples, les compétences locales, la production précoce comme levier stratégique, et la réduction du risque politique.
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Commençons par le modèle d’une infrastructure solide et des sites multiples. Entendez par là le fait que la priorité soit accordée à une infrastructure robuste et à plusieurs sites de production plutôt qu’un seul mégaprojet. Ce qui réduit le risque opérationnel et politique global.
Sur le volet du renforcement des compétences locales, ce qui est central, concrètement, les petits projets répartissent l’emploi entre les régions sans submerger les capacités locales. Ce qui permet un transfert progressif des compétences et évite les cycles d’expansion-effondrement.
Pour ce qui est de la production précoce comme levier stratégique, des sociétés comme Rhino Resources, de nationalité sud-africaine, adoptent une approche «first-to-first-oil», utilisant une production plus petite et plus précoce pour créer une présence et un levier de négociation. Des flux de trésorerie initiaux qui sont un investissement clé pour un meilleur accès et de meilleures conditions futures. Selon la Chambre Africaine de l’Énergie, l’approche «a le potentiel de changer le paysage politique en accélérant les cycles d’octroi de licences».
Sur le volet de la réduction du risque politique, la Chambre Africaine de l’Énergie note que «de multiples développements modestes d’unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) créent une réserve de bonne volonté politique. Ce qui réduit mieux le risque politique futur qu’un seul grand projet». Une analyse géopolitique essentielle pour les investisseurs en marchés émergents.
Ainsi, comme l’on peut le constater, l’Afrique n’est plus seulement une région à haut risque et à récompense rapide. La nouvelle vague d’exploration réussira en combinant patience, infrastructure solide et planification minutieuse, au-delà de la seule expertise géologique. Le modèle qui met l’accent sur «plusieurs sites de production au lieu des seuls grands projets», le développement des compétences locales et l’infrastructure, associé à la valorisation stratégique de la production précoce et des flux de trésorerie, représente un changement fondamental.
Pour la Chambre Africaine de l’Énergie, c’est en adoptant cette approche intégrée, où la géologie ne peut être séparée des réalités politiques, économiques et sociales, que l’Afrique pourra enfin exploiter son potentiel énergétique tant attendu. Les pays cités sont les laboratoires de cette transformation stratégique, chacun avec ses défis spécifiques mais unis par cette nouvelle logique de développement énergétique.
Exploration pétrolière africaine: comment six pays réinventent leur modèle économique
Pays | Projets/Initiatives clés | Défis/Stratégies | Impact/Innovations |
---|---|---|---|
Namibie | Découverte Venus (TotalEnergies), prospect Olympe-1X, FPSO visant 160k barils/jour. | Harmonisation des cadres réglementaires transfrontaliers, blocages judiciaires. | Catalyse régionale, redéfinit le potentiel de l’Afrique australe. |
Afrique du Sud | Extension du bassin de Venus (Rhino Resources, Eco Atlantic), campagne de 5 puits par Shell. | Contestations juridiques (Côte sauvage), contraintes commerciales. | Dynamique transfrontalière, nécessité d’intégrer géologie, politique et infrastructure. |
Angola | Offshore ultra-profond (Bloc 47), retour onshore dans le Bassin du Kwanza (Sirius par Corcel). | Stabilité réglementaire, simplification des procédures pour les zones non conventionnelles. | Renaissance pétrolière grâce aux réformes, potentiel de 1 milliard de barils en onshore. |
Côte d’Ivoire | Puits Civette-1 (Murphy Oil), prospects Caracal et Kobus, champ Baleine (Eni). | Maximiser l’attractivité dans un bassin mature. | Opportunités résiduelles substantielles (jusqu’à 1,26 Md de barils). |
São Tomé-et-Príncipe | Puits Falcao-1 (Shell, Bloc 10), découverte Jaca-1 (Galp). | Négociation de termes fiscaux équitables, cadres de contenu local efficaces. | Redéfinition géologique comparable au Gabon/G. équatoriale, nouveaux forages prévus (2026-2027). |
Sénégal | Projet Sangomar, octrois accélérés de licences. | Modèle à répliquer : agilité et retombées rapides. | Production précoce générant des revenus immédiats, multiplicateur de politiques publiques et réformes. |
Source: Chambre Africaine de l’Énergie (CAE)