La dette publique des pays africains avait dépassé 1.800 milliards de dollars en 2022, en hausse de 183% par rapport à son niveau de 2010. De ce montant, la dette extérieure totale du continent ressortait à 1.120 milliards de dollars, avant d’augmenter à 1.152 milliards de dollars. La structure de celle-ci a changé fortement ces dernières années. La dette commerciale a représenté, en 2022, 43% de l’endettement total des pays africains, contre 20% en 2000. C’est dire que la part du privé dans l’endettement des pays africains ne cesse de croître.
Cela s’explique par le fait que les pays africains recourent de plus en plus au marché international de la dette pour financer leurs importants déficits budgétaires et certains projets, notamment les infrastructures. Au cours de ces dernières années, on note un intérêt grandissant pour les euro-obligations émises dans un pays étranger et libellées en devises étrangères (dollar et euro notamment).
Ceux-ci offrent de nombreux avantages: accès aux devises et donc la reconstitution des réserves de change, possibilité d’utiliser les revenus à leur guise et cotation des euro-obligations sur les bourses internationales offrant une plus grande transparence sur la dette. En plus, ces emprunts obligataires permettent à plusieurs pays africains de restructurer leur dette et financer leurs investissements dans les infrastructures. Ces avantages étaient d’autant plus importants que les taux d’intérêt étaient faibles.
Une situation qui a poussé de nombreux pays africains à recourir à ces prêts obligataires. Ainsi, en Afrique subsaharienne, à titre d’exemple, seule l’Afrique du Sud avait émis des obligations souveraines avant 2006. Mais depuis cette date, plus d’une vingtaine de pays de la région ont recouru à ce mode de financement, profitant des faibles taux d’intérêt, faisant gonfler les parts des prêts commerciaux dans les emprunts extérieurs des Etats.
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Seulement, si les faibles taux d’intérêt encourageaient les pays africains à opter pour ces emprunts obligataires, la situation a changé depuis. A cause de la crise sanitaire du Covid et surtout de la guerre Russie-Ukraine, les taux d’intérêt historiquement bas aux Etats-Unis ont fortement remonté sous la conduite de la Federal Reserve (Fed). Cette dernière a revu à la hausse, et à plusieurs reprises, ses taux directeurs pour faire face à la forte inflation induite par les pénuries de produits alimentaires (blé et oléagineux notamment) et la flambée des cours des hydrocarbures (pétrole, gaz, charbon…). Cela a impacté les taux d’intérêt des bons du Trésor américains et, par effet dominos, les taux d’emprunt au niveau du marché mondial de la dette.
En conséquence de quoi, les pays africains, durement frappés par la crise économique qui a fragilisé leurs économies les poussant à recourir davantage au financement sur le marché international, sont actuellement confrontés à des taux prohibitifs, dans le sillage de la remontée des taux américains.
En effet, le coût de financement moyen du continent se situe autour de 11,5%, un niveau 8,5 points de pourcentage supérieur au taux sans risque de référence américain. Si ce taux d’emprunt diffère d’un pays à un autre, force est de constater que ce niveau élevé touche tous les pays africains, même si certains d’entre eux sont confrontés à des coûts de financements prohibitifs. C’est le cas pour l’Egypte, la Tunisie, le Niger, le Ghana…
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Ainsi, la Côte d’Ivoire a levé 2,6 milliards de dollars à 8,5% et le Bénin 750 millions à 7,9%. Toutefois, la Kenya, en difficulté économique, a levé 1,5 milliard de dollars à un prix fort de plus de 10%. Le pays devait rembourser 2 milliards de dollars en juin 2024. Un taux qui se justifie par les craintes de défaut de paiement.
Plus récemment, c’est le Sénégal et son nouveau régime qui est sorti sur le marché pour ce qui constitue sa 7e émission obligataire sur le marché international de la dette en levant 750 millions de dollars avec un taux d’intérêt de 7,75% pour une maturité de 7 ans. Ce taux s’expliquant par le début de la décrue des taux américains, des bonnes perspectives de croissance de l’économie sénégalaise, du début d’exploitation du pétrole et bientôt du gaz et du faible risque de défaut de paiement du pays.
Globalement, ces taux restent très élevés et vont peser lourdement sur le service de la dette des pays africains qui ont beaucoup emprunté sur le marché de la dette au cours de ces dernières années, en dépit des conditions défavorables des taux.
Comment expliquer ces taux prohibitifs? Au-delà de la remontée des taux américains qui servent de référence, les prêteurs regardent plusieurs variables: PIB par habitant, viabilité des opérations financières extérieures, balance courante, taux d’endettement, ratio dette extérieure/exportations, stabilité macroéconomique (taux d’inflation notamment),…
Ce sont autant de facteurs qui sont pris en compte par les agences internationales de notation qui attribuent, à chaque pays, des notes de crédit qui reflètent, à leurs yeux, la capacité de remboursement de celui-ci. Et malheureusement, les notes attribuées aux pays africains, ces dernières années, ne cessent de se dégrader, dan un environnement économique mondial déjà difficile.
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En plus clair, le problème se situe au niveau de la «prime à l’Afrique», c’est-à-dire la prime de risque que les pays du continent doivent payer lorsqu’ils sortent sur le marché des capitaux, malgré des données montrant que les taux de défaut en Afrique sont inférieurs à ceux d’autres région du monde. Selon un rapport de la BAD, «une analyse de Moody’s sur les taux de défaillance des infrastructures mondiales montrent par exemple, que le continent africain se classe mieux, avec 5,5% que l’Asie, avec 8,5%, et l’Amérique latine, avec 13%».
Malheureusement, c’est cette perception du risque en Afrique, reflétée par les institutions de notation mondiales (Standard & Poor’s, Moody’s, Fitch…) qui entraine une hausse très souvent injustifiée des coûts d’emprunt pour les pays africains.
Preuve que ces risques sont exagérés, toutes les sorties des pays africains sur le marché de la dette sont couronnées de succès en dépit des risques de défaut de paiement. D’ailleurs, les dernières sorties des pays africains sur les marchés de la dette ont été toutes sursouscrites au moins 3 fois. C’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Kenya et du Sénégal. Cela traduit l’intérêt des investisseurs étrangers pour la dette des Etats africains et l’exagération du «risque Afrique».
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Seulement, en sortant sur le marché international de la dette et en acceptant des financements à des taux d’intérêt aussi élevés, ces pays africains encourent des conséquences néfastes en se rendant encore plus vulnérables à de nouveaux chocs exogènes. A titre d’exemple, le Kenya consacre 60% de ses recettes fiscales au service de la dette. Et la levée de 1,5 milliard de dollars en février dernier au taux de 10,37% devrait tout simplement servir à rembourser la dette déjà contractée et non à financer des projets de développement du pays.
Ce recours aux prêts internationaux libellés en devises fortes n’est pas sans risques pour les pays africains. Partout, les taux d’endettement s’envolent. Plusieurs pays africains sont confrontés à des services de dette très élevés qui grèvent fortement leurs recettes budgétaires. Ainsi, le continent pris globalement devrait rembourser 163 milliards de dollars au titre du service de la dette rien que pour cette année, alors que ce montant était de seulement 61 milliards de dollars en 2010.
Ce poids grandissant du service de la dette pourrait obérer le développement du continent et l’empêcher d’atteindre ses Objectifs de Développement Durable, notamment dans la santé, l’éducation et les infrastructures.
Et pour s’en sortir, les pays surendettés sont tenus de recourir aux services du Fonds monétaire international (FMI). C’est le cas du Ghana qui a vu son dynamisme économique freiné par la conjoncture économique difficile, la forte inflation liée à la flambée des cours des produits importés et la réduction drastique des réserves de change du pays. La détérioration des fondamentaux économiques, avec notamment des déficits jumeaux inquiétants (déficit budgétaire et déficit de la balance courante), a conduit le pays au bord du défaut de paiement, le poussant à recourir au soutien du FMI.
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In fine, pour éviter des coûts élevés et limiter la probabilité d’une nouvelle crise de l’endettement, les pays africains appellent à la refonte du système mondial de prêt pour accroitre le soutien aux pays en développement criblés de dettes. Ainsi, en marge du Sommet du G7 qui s’est tenu récemment en Italie, le président kenyan William Ruto a appelé les 7 pays les plus riches du monde à favoriser la refonte du système financier mondial pour donner aux pays du Sud «l’accès à des financement à conditions préférentielles, à long terme et souples».
Bien avant cette sortie du président kényan, d’autres personnalités avaient demandé cette réforme. C’est le cas du président de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, qui soulignait, lors des Assemblées annuelles 2023 de l’institution à Charm el Cheikh en Egypte, qu’«il est urgent de réformer l’architecture mondiale du système financier et de la dette afin de réduire les coûts, les délais et les complications juridiques de la restructuration de la dette des pays africains».
Au-delà des coûts, cette refonte du système mondial de prêt devrait aussi permettre une meilleure adéquation des délais de remboursement des prêts par rapport aux projets financés. En effet, les délais courts de remboursement pour des financements aussi lourds que les infrastructures de longue durée pose des problèmes aux pays africains. Parfois, les prêts doivent être remboursés avant même que les projets ne soient finalisés.