C’est bientôt le bout du tunnel pour le mégaprojet de Simandou qui tient en haleine la Guinée depuis plus de trois décennies. C’est au milieu des années 1990 que la découverte du gisement de minerai de fer a été confirmée par le géant minier anglo-australien Rio Tinto. Et depuis, son exploitation a été retardée pour diverses raisons (suspensions, reports, corruption, procès, renégociations de contrats,…). La responsabilité de cette lenteur est partagée.
Le coup d’Etat de 2021 et l’arrivée à la tête du pays du Général Mamadi Doumbouya a changé la donne. Après avoir suspendu l’ensemble des activités qui sont liées au projet, il a obligé les acteurs concernés signer un accord-cadre, en mars 2022, et de mutualiser leurs investissements, en créant avec l’Etat guinéen, la Compagnie du Tran-Guinéen (CTG), chargée de construire et d’exploiter le chemin de fer et le port nécessaires à l’exportation du minerai de fer.
Cet accord prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait du permis, en cas de retard. Et selon la calendrier adopté, la production sera officiellement lancée le 11 novembre 2025. Et pour corser le tout, un comité stratégique directement rattaché à la présidence veille au respect des engagements pris par tous les acteurs. Et la pression du chef de la junte guinéenne a fini par payer. Les travaux se sont depuis accélérés.
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Le 2 novembre, la Compagnie du Trans-guinéen (CTG) a réceptionné ses premiers navires de transport du minerai de fer au port de Morebaya, venant confirmer l’accélération du calendrier opérationnel et l’imminent démarrage des premières opérations d’exportation de Simandou. L’entrée en production de Simandou met fin à l’un des plus longs feuilletons miniers d’Afrique.
Il faut d’emblée souligner que Simandou n’est pas un projet quelconque, mais l’une des plus grandes réserves de minerai de fer du monde qui s’étale sur plus de 100 km de long et 5 à 6 km de large dans les plaines luxuriantes de la Guinée forestière.
Situé à plus de 670 km de la côte, l’exploitation de cet immense gisement est avant tout un défi logistique, sachant que certaines collines culminent à plus 1.670 mètres d’altitude. Il s’agit du plus grand projet intégré d’extraction de minerai de fer jamais développé en Afrique.
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L’exploitation de ce gisement dont les réserves sont estimées à 4,4 milliards de tonnes de minerais de fer repose sur trois grands composants. En premier lieu, il y a le site de production du minerai de fer dont l’exploitation pourrait atteindre 100 millions de tonnes par an à pleine régime. Deux consortiums exploitent actuellement ce gisement: Rio Tinto et Simfer sur la partie sud et le groupe sino-singapourien Winning Consortium Simandou (WCS) développe les blocs nord.
Depuis plusieurs mois, des excavateurs géants y dévorent la chaine de montagne et les minerais sont transportés par des centaines de camions pour constituer des entassements du minerai noir prêts à être chargés dans les wagons des trains avant d’être acheminés vers le port de Morebaya à partir duquel ils seront exportés.
L’autre défi concerne le mode d’acheminement du minerai du site de production au port d’exportation. La ligne de chemin de fer, le Transguinéen, longue de 670 km, relie le site de production à la cote a été construite. Le 17 octobre dernier, les partenaires ont annoncé le lancement officiel des premiers chargements de minerai de fer extrait des mines de Simandou vers le port de Moribaya, en Basse Guinée. Il faut à chaque fois 36 heures pour relier Simandou au port de Moribaya, situé à l’embouchure d’un fleuve, où se trouvent les terminaux de Simfer et de Winning.
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Outre le transport des minerais, le chemin de fer servira également au transport des voyageurs, des marchandises, du carburant,…
Enfin, l’autre composante clé du projet est la construction du nouveau port en eau profonde au sud de Conakry. Si ce port est avant tout dédié au projet Simandou, il n’en demeure pas moins, qu’à l’instar du chemin de fer, il est à usages multiples et pour différents utilisateurs. Le terminal dispose de 4 postes de chargement de barges de minerai de 12.000 tonnes chacun. A l’état actuel, le port prévoit un débit annuel de 70 millions de tonnes de minerai de fer.
Les monts Simandou s'étendent sur plus de 110 km dans la région de haute Guinée et renferment des réserves de minerai de fer estimées à plus de 4,4 milliards de donnes.
Le port compte également deux portes d’amarrage polyvalents de 8.000 tonnes, avec une capacité de traitement des marchandises générales de 2,5 millions de tonnes et une capacité de traitement des produits pétroliers de 578.000 tonnes par an.
En plus de ces trois grands composants, la réalisation du projet a nécessité de nombreuses infrastructures: routes, ponts, centrales électriques.
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Aujourd’hui, tous les composants du projet ont été finalisés et les premières tonnes de minerais de fer sont empilées au port de chargement pour leur exportation.
Pour l’exportation, les principaux partenaires du projet (Simandou–Rio Tinto/SimFer, Winning Consortium Simandou/Baowu et l’Etat guinéen), ont paraphé le 22 octobre dernier un document d’entente qui désigne les compagnies maritimes devant assurer l’exportation du minerai. L’arrivée des premiers navires est un signe du démarrage imminent des exportations prévues le 11 novembre.
Pour réaliser ce projet, les acteurs n’ont pas lésiné sur les moyens. En tout, ce sont plus de 21,5 milliards de dollars qui sont investis pour exploiter ce gisement de classe mondiale de minerai de fer d’une rare qualité avec une teneur estimée à 65,80%, l’une des meilleures au monde. Ce qui en fait le plus important projet minier réalisé au niveau du continent. Des investissements colossaux illustrent les attentes de bénéfices conséquents.
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Le démarrage de Simandou aura des impacts importants sur le marché mondial du minerai de fer et métamorphosera l’économie guinéenne. En premier lieu et au niveau du marché international, ce sont plus de 10 millions de tonnes qui sont attendues dès 2026 avant de monter en puissance. Il est prévu d’extraire jusqu’à 34,45 millions de tonnes par an, puis jusqu’à 69 millions de tonnes lors de la seconde phase.
Dès la première phase, la Guinée se hissera au 2e rang des producteurs de minerai de fer africains derrière l’Afrique du Sud avant de s’emparer de la 1ere place africaine et de la 7e mondiale durant la phase 2 du projet.
La capacité de production, une fois le site exploité totalement, pourrait atteindre les 120 millions de tonnes de minerai, ce qui placerait le pays au premier rang africain et dans le Top 5 mondial des producteurs de minerai de fer, mais derrière l’Australie, le Brésil, la Chine et l’Inde. Au niveau du continent africain, la Guinée passera du 3e producteur en 2026, derrière l’Afrique du Sud et la Mauritanie, au premier rang une fois la 3e phase du projet lancée.
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Une chose est sure, le démarrage des exportations de minerai de fer inscrit la Guinée sur la carte mondiale du marché du fer. D’après les spécialistes, le projet Simandou devrait faire émerger un nouveau pôle mondial de production de minerai de fer à haute teneur.
Seul hic, l’arrivée du minerai de fer guinéen pourrait transformer profondément la structure du marché du minerai du fer, en accentuant la pression sur les prix et en favorisant la demande pour des produits de meilleure qualité.
En clair, l’arrivée de l’offre de Simandou pourrait soumettre les cours à une pression baissière, surtout si l’Australie et le Brésil, de très loin les premiers producteurs, ne réagissent pas face à la montée en puissance guinéenne en réduisant leur offre.
Le prix du minerai de fer a connu une forte hausse ces dernières années sous l’effet d’une forte demande chinoise. Actuellement, la tonne du minerai de fer s’échange autour de 104 dollars (au 5 novembre 2025).
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Dans ce cas, Simandou pourra compter sur la pureté de son minerai (une teneur de 65,8% en fer) qui le place au niveau des gisements brésiliens et loin devant les gisements australiens, les plus importants au monde. Cette qualité pourrait lui valoir une prime sur le marché mondial du fer. Grâce à sa teneur élevée, le minerai de fer guinéen sera très demandé sur le marché mondial. La transition mondiale vers des procédés plus propres ne manquera pas de favoriser le minerai de fer issu de ce gisement guinéen.
En clair, l’exploitation de Simandou va bouleverser le marché mondial du minerai de fer. Mais en ayant comme partenaire le leader mondial (Rio Tinto) et les Chinois, grands consommateurs de minerai de fer, et sur la qualité de son minerai, Simandou est certain de se faire une place de choix dans ce marché.
Et au-delà, les retombées attendues du projet sur l’économie guinéenne sont indéniables. L’exploitation de Simandou va transformer la physionomie de l’économie du pays. Les exportations de minerai, les redevances, les impôts et taxes vont générer d’importantes recettes en monnaie locale comme en devises. Le projet va aussi créer plusieurs milliers d’emplois qui bénéficieront aux jeunes guinéens.
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Au-delà, les effets d’entrainement sont indéniables. Simandou pourra stimuler l’activité économique en Haute Guinée et les régions traversées. Pour cela, il faudra que les autorités guinéennes favorisent les entreprises locales et doper les petites et moyennes entreprises locales en encourageant les acteurs miniers à collaborer avec les entreprises guinéennes à travers des joint-ventures.
Les retombées des infrastructures ferroviaires et portuaires du projet (chemin de fer et port en eau profonde) seront profitables à l’économie guinéenne et permettront de désenclaver la Haute Guinée et les régions traversées. Les routes de la Guinée étant ce qu’elles sont, ces infrastructures faciliteront la circulation des biens et des personnes entre la côte et les régions reculées du pays comme elles contribueront au développement des exportations et des importations des régions traversées par la voie ferrée.
Selon les projections de la Banque mondiale, grâce à Simandou, la Guinée devrait afficher les taux de croissance économique les plus élevés entre 2025-2027, avec des croissances du PIB de 7,5% en 2025, 9,3% en 2026 et 11,6% en 2027.
D’après le Fonds monétaire international (FMI), l’exploitation de Simandou devrait faire augmenter le PIB de la Guinée de 26% à l’horizon 2030. En clair, avec Simandou, l’économie guinéenne va se métamorphoser…












