La visite du général d’armée Assimi Goïta, président de la transition malienne, à Moscou (17-27 juin 2025) cristallise une alliance aux implications multiples. Sous couvert de diversification partenariale, le Mali et la Russie viennent de signer des accords structurants dans l’énergie nucléaire, l’or et la sécurité.
L’analyse des déclarations et des actes concrets qui ont émaillés cette rencontre révèle une convergence d’intérêts structurée autour d’un certain nombre de piliers dont l’énergie nucléaire civile et la maîtrise de la chaîne de valeur aurifère. Au-delà des discours sur la souveraineté et la diversification, ce rapprochement comporte des implications complexes pour le Mali, tant sur le plan économique que sécuritaire et géopolitique.
La commission intergouvernementale, pivot opérationnel
Le premier acte de cette visite est la création d’une commission intergouvernementale. Celle-ci constitue l’épine dorsale institutionnelle des nouveaux accords. Conçue pour structurer la coopération bilatérale dans les domaines économique, scientifique, technique et commercial, elle matérialise une volonté de dépasser les déclarations politiques pour ancrer le partenariat dans des mécanismes concrets.
Son rôle est double: faciliter systématiquement les investissements russes au Mali tout en garantissant à Bamako des retranscriptions tangibles en termes de transferts technologiques et d’accès aux marchés.
Lire aussi : Nouvelle raffinerie d’or: le Mali troque ses 20% de participation symbolique contre un 62% décisionnel
Pour la Russie, cet instrument offre un cadre sécurisé et prévisible pour ses entreprises, notamment dans les secteurs miniers et énergétiques, réduisant les risques opérationnels dans un contexte sahélien complexe.
Pour le Mali, son utilité réside dans son potentiel transformateur. Elle doit permettre un accès structuré aux marchés russes, notamment pour les produits agricoles ou miniers transformés, catalyser des coopérations ciblées dans des filières industrielles critiques comme la métallurgie ou la chimie liée à l’extraction, et négocier des transferts de savoir-faire technologiques adaptés aux réalités locales.
L’enjeu sous-jacent est la réduction de l’asymétrie inhérente au partenariat. Si la commission parvient à prioriser des projets générateurs de compétences locales– par exemple en conditionnant les investissements miniers russes à la création d’unités de formation technique conjointes–, elle pourrait infléchir la dynamique d’un modèle encore largement extractif.
Toutefois, son efficacité réelle dépendra de la capacité malienne à y défendre des clauses contraignantes sur les transferts technologiques et à négocier des quotas d’accès au marché russe au-delà des matières premières brutes. Sa réussite se mesurera à l’aune de sa capacité à transformer les promesses d’«industrialisation» en chaînes de valeur intégrées sur le sol malien.
De l'or à l'état brut.. DR.
Nucléaire civil: ambitions et réalités techniques
Le deuxième accord entre les deux parties porte sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Conclu avec la société publique russe Rosatom, il vise à soutenir la politique énergétique du Mali à travers un accompagnement technique à long terme. Le protocole de coopération dans le secteur nucléaire, complété par un accord avec Rosatom pour «l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire» incluant «formation, études préliminaires et gestion du cycle du combustible», vise officiellement à combler un déficit électrique criant au Mali (taux d’accès inférieur à 45%).
Lire aussi : Énergie. Entre hésitations, production et ambitions... où en est l’Afrique avec le nucléaire
Les réacteurs modulaires russes (SMR), présentés comme adaptés aux zones minières isolées, symbolisent une promesse d’autonomie énergétique pour un pays dont l’économie repose sur l’extraction aurifère.
Toutefois, cette ambition se heurte à des réalités africaines incontournables : les SMR, bien que technologiquement prometteurs, exigent une stabilité politique durable, des compétences locales spécialisées (actuellement déficitaires) et des investissements sur plus d’une décennie, sans garantie de viabilité dans un contexte sahélien volatile.
L’accent mis par Rosatom sur la «formation» révèle d’ailleurs un aveu implicite. Le Mali manque cruellement de techniciens qualifiés pour gérer des infrastructures nucléaires, même modestes.
L’or malien, levier d’indépendance économique
La construction d’une raffinerie d’or à Sénou (capacité : 200 tonnes/an), pilotée par la société russe Yadran via une coentreprise (SOROMA-SA, 38% russe), incarne le discours souverainiste des autorités maliennes. «Cette raffinerie permettra au Mali de mieux contrôler son or et réduire sa dépendance», affirme le Chef de l’Etat malien. Objectif affiché : capter 20-30% de valeur ajoutée en transformant localement l’or brut, dont le Mali est l’un des premiers producteurs africains.
Lire aussi : Burkina Faso: pour 500.000 FCFA, devenez actionnaire de mine d’or
Le raffinage local produira un or pur à 99,5%, conforme aux standards de la London Bullion Market Association (LBMA). Pour l’accès aux marchés internationaux, cela est une bonne nouvelle. Cela dit, il faudra obtenir la certification LBMA pour ne pas marginaliser l’or malien sur les marchés internationaux légaux et le cantonner à des circuits parallèles (ex. Dubaï), moins rémunérateurs et opaques. En effet, sans cette certification, l’or malien raffiné risque de se heurter à des barrières commerciales et de ne pas atteindre son plein potentiel de valeur, maintenant une forme de dépendance aux circuits moins exigeants ou moins transparents.
A cela, il faut ajouter que la participation de 38% détenue par Yadran dans le capital de la société conjointe SOROMA-SA, est une part minoritaire mais significative qui confère à l’acteur russe une influence opérationnelle et financière non négligeable, notamment un pouvoir décisionnel clé sur la traçabilité, la fiscalité et les exportations, diluant quelque peu le contrôle malien.
Sécurité: Africa Corps, successeur de Wagner
Le troisième acte de cette visite est la signature d’un cadre général sur les relations bilatérales. Celui-ci réaffirme les principes de respect mutuel, de souveraineté, de non-ingérence et de solidarité politique. Pour les autorités Maliennes, ces principes offrent une parade juridique contre les condamnations régionales (CEDEAO) et légitiment la rupture avec l’ordre occidental. Pour la Russie, ils offrent une parade à la rhétorique anti-impérialiste pour étendre son influence, comme le souligne le soutien explicite aux autorités maliennes.
Lire aussi : Investissements directs étrangers en 2024: voici les 10 premiers pays africains bénéficiaires, selon la Cnuced
L’objectif de cet instrument juridique étant de donner une assise durable au partenariat stratégique entre le Mali et la Russie. Il comprend un volet sécuritaire renforcé, avec des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et au renforcement des capacités nationales de défense.
C’est dans cette dynamique que le remplacement du groupe Wagner par Africa Corps, structure officielle placée sous l’autorité directe du ministère russe de la Défense, marque une transition contrôlée par le Kremlin. Cette entité assure désormais la formation des unités maliennes, le soutien logistique et le partage de renseignements dans les régions Centre et Nord du Mali, formalisant un «volet sécuritaire renforcé» selon l’accord.
Une diversification assumée
Le rapprochement Mali-Russie s’appuie ainsi sur un narratif historique, illustré par la référence de Poutine aux «plus de 10.000 cadres maliens formés en Russie depuis 1960». Une rhétorique qui réactive des liens post-coloniaux, opposant une «coopération respectueuse» au «néocolonialisme» dénoncé par les juntes sahéliennes.
En écho, le président Goïta revendique une consolidation des liens «dans le respect de la souveraineté et l’intérêt des peuples», masquant des intérêts stratégiques convergents. Pour le Mali, il s’agit d’une quête de légitimation diplomatique et d’une diversification urgente après le retrait de la France (2022) et de la Mission intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (2023); pour la Russie, l’enjeu est une percée économique (accès direct à l’or) et géopolitique (base d’influence en Afrique de l’Ouest face aux puissances occidentales).
Lire aussi : Or artisanal: et si la Côte d’Ivoire s’inspirait du régulateur unique ghanéen
Ainsi, les accords Mali-Russie illustrent une realpolitik africaine post-occidentale dont le vrai test résidera dans son exécution. Si le nucléaire tarde ou si l’or reste non certifié, le Mali pourra aviser. Le vrai pouvoir du Mali dans ce partenariat réside dans sa capacité future à réagir aux échecs opérationnels et à ajuster le tir en fonction des résultats réels obtenus, ou non. La signature des accords est le début du travail, pas la fin.
Mali-Russie: les 3 secteurs clés d’une alliance stratégique
Domaines de coopération | Objectifs annoncés | Défis identifiés | Implications pour le Mali |
---|---|---|---|
Commission Intergouvernementale | Structurer la coopération économique, scientifique et technique ; réduire l’asymétrie dans le partenariat. | Capacité malienne à négocier des clauses contraignantes (transferts technologiques, quotas d’accès aux marchés). | Potentiel de transformation industrielle si les projets génèrent des compétences locales et des chaînes de valeur intégrées. |
Énergie nucléaire civile (Rosatom) | Combler le déficit électrique (taux d’accès < 45%) ; autonomie énergétique via des réacteurs modulaires (SMR). | Stabilité politique nécessaire, compétences locales déficitaires, investissements à long terme (10+ ans), viabilité en contexte sahélien volatile. | Risque de dépendance technique ; nécessité de former massivement des techniciens. Promesse d’industrialisation minière si réussi. |
Valorisation aurifère (Raffinerie de Sénou) | Contrôler 20-30% de la valeur ajoutée ; certification LBMA (or à 99,5%) pour les marchés internationaux. | Certification LBMA non garantie ; part minoritaire russe (38%) influente sur traçabilité, fiscalité et exportations. | Dilution du contrôle malien ; risque de marginalisation sur les marchés légaux sans certification (repli vers circuits parallèles comme Dubaï). |
Sécurité (Africa Corps) | Lutte contre le terrorisme ; renforcement des capacités de défense ; légitimation géopolitique face à l’Occident. | Remplacement de Wagner par une entité officielle russe (contrôle du Kremlin) ; dépendance sécuritaire accrue. | Consolidation de la rupture avec la CEDEAO et l’Occident ; légitimation diplomatique de la junte, mais ancrage dans l’orbite russe. |
Contexte Géopolitique | Diversification partenariale ; souveraineté ; opposition au « néocolonialisme » occidental. | Dépendance à la réalisation concrète des promesses (industrialisation, certification, stabilité). | Quête de légitimité post-retrait français/ONU ; |