Garantir l’accès à des dispositifs médicaux sûrs et efficaces est un enjeu crucial pour les systèmes de santé africains. Selon la dernière note d’information de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), de juin 2024, le continent représente 42% des cas détectés de dispositifs médicaux non conformes ou contrefaits dans le monde, représentant un risque majeur pour les patients. Face à ce défi, certains pays africains se démarquent par l’adoption d’un cadre réglementaire solide pour les dispositifs médicaux conformément aux recommandations de l’OMS.
Lire aussi : Le Réseau africain des sciences infirmières et professions de la santé voit le jour à Casablanca
L’enquête menée en 2020 et 2023 auprès de 40 autorités sanitaires nationales révèle que seulement cinq pays ont atteint le niveau de base des contrôles réglementaires préconisé. Il s’agit notamment du Ghana, le Nigéria, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tanzanie. Ces pays disposent d’une législation spécifique, de réglementations détaillées et de lignes directrices encadrant l’ensemble du cycle de vie des dispositifs médicaux, de la mise sur le marché à la surveillance post-commercialisation.
Au cœur de leur cadre règlementaire, on retrouve une autorité nationale unique dédiée au contrôle des dispositifs médicaux et des diagnostics in vitro. Ces autorités imposent des exigences strictes aux fabricants, telles que la mise en place d’un système de gestion de la qualité, le respect des principes essentiels de sécurité et de performance, ainsi que des obligations d’étiquetage et de déclaration de conformité.
La classification des dispositifs médicaux selon leur niveau de risque est une pierre angulaire, permettant d’ajuster le degré de contrôle réglementaire en conséquence. Par exemple, les dispositifs à haut risque comme les implants cardiovasculaires ou les tests diagnostiques du VIH sont soumis à des procédures d’évaluation plus rigoureuses avant leur mise sur le marché.
Lire aussi : Santé communautaire en Guinée: les déserts sanitaires préoccupent toujours
Ces pays pionniers exigent également l’enregistrement des établissements, la notification des dispositifs commercialisés et le contrôle des importations. En aval, des systèmes de surveillance des incidents et de rappel des produits défectueux sont en place pour assurer un suivi continu de la sécurité. Ajoutons que l’enquête de l’Organisation mondiale de la Santé révèle que seulement neuf pays disposent d’une législation complète, avec lois, réglementations et directives régissant les dispositifs médicaux et les diagnostics in vitro. Il s’agit là de la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Ghana, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, l’Ouganda, l’Afrique du Sud, la Tanzanie.
Des implants orthopédiques de différentes tailles, illustration des dispositifs médicaux à haut risque soumis à une évaluation réglementaire approfondie avant commercialisation.. DR
Ces pays qui boudent l’enquête de l’OMS
Il est à noter que certains pays comme le Lesotho, le Zimbabwe, l’Angola, la Guinée équatoriale, le Soudan du Sud, le Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, l’Algérie et Maurice n’ont pas répondu à l’enquête de l’OMS. Par ailleurs, le Maroc, la Tunisie, la Libye, l’Egypte et le Soudan n’ont pas été pris en compte car rattachés à une autre région. L’absence de données de ces pays limite quelque peu la portée de l’analyse régionale. Néanmoins, les résultats obtenus offrent un aperçu représentatif des progrès réalisés au niveau du continent.
Lire aussi : Treize hôpitaux africains cassent les stéréotypes
En adoptant ces mesures, conformes aux meilleures pratiques internationales, ces nations africaines leaders se distinguent et ouvrent la voie à un meilleur accès à des dispositifs médicaux sûrs pour leurs populations. Cependant, de nombreux obstacles persistent, tels que le manque de ressources humaines qualifiées et d’infrastructures pour le contrôle qualité.
Des chiffres préoccupants
L’enquête révèle que 21 pays n’ont pas de cadre juridique national publié à ce sujet. C’est le cas pour le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Libéria, le Mali, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest. En Afrique centrale, c’est le cas pour le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, le Congo. En Afrique de l’Est, le Soudan du Sud, le Kenya, le Burundi, l’Érythrée, les Comores, Madagascar, le Malawi, Maurice. Idem pour deux pays d’Afrique Australe : le Botswana et Eswatini.
Dix-sept pays ignorent même l’existence du Cadre Réglementaire Modèle Mondial de l’OMS pour les dispositifs médicaux. C’est le cas notamment pour le Bénin, le Libéria, le Togo et la Sierra Leone. Le Botswana, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, les Comores et les deux Congo. Eswatini, le Malawi, le Mozambique, le Rwanda, l’Ouganda et les Seychelles. Soulignons que cet outil fondamental préconise une approche par étapes pour mettre en place des contrôles réglementaires essentiels, adaptés aux ressources de chaque pays.
Lire aussi : Il plaque tout aux Etats-Unis pour former des étudiants et rénover la seule école dentaire publique de Guinée
En termes de surveillance, seulement onze pays disposent d’un système complet pour le suivi après commercialisation et la vigilance. Douze pays n’ont aucun dispositif de ce type. Des manquements majeurs en matière de déclaration d’incidents graves, d’alertes et de retraits du marché sont ainsi constatés.
Au niveau des contrôles de base préalables à la mise sur le marché, la situation est tout aussi préoccupante. Seuls trois pays appliquent l’intégralité des exigences recommandées par l’OMS: le Nigeria, le Sénégal et la Tanzanie. Six pays n’ont aucun contrôle préalable. Il s’agit notamment de la République centrafricaine, le Tchad, les Comores, le Congo, la Guinée équatoriale ainsi que Sao Tomé-et-Principe.
Parmi les principaux défis identifiés : l’absence de lois, de laboratoires de contrôle qualité, de ressources humaines compétentes et de coordination entre les différentes entités réglementaires.
Lire aussi : Personnels de santé en Afrique: à Casablanca, des spécialistes privilégient la «dynamique collective» de la formation
Cependant, certains progrès sont notables. 34 pays disposent d’autorités dédiées à la réglementation des dispositifs (tous sauf Mauritanie, Namibie et Seychelles). 28 exigent des frais réglementaires, lorsque 27 mettent en œuvre des contrôles complets pour la mise sur le marché.
Pour changer la donne, l’OMS appelle les États membres à adopter d’urgence le Cadre Réglementaire Mondial, à évaluer la maturité de leurs autorités et à mettre en œuvre des plans de développement institutionnel. Elle recommande également le recours aux mécanismes de reconnaissance mutuelle afin d’accélérer les approbations réglementaires.
De son côté, l’OMS s’engage à mener des actions de sensibilisation, à fournir un soutien technique aux pays et à renforcer les capacités des autorités nationales par la formation et le développement d’outils.
Des avantages économiques considérables
Au-delà des bénéfices sanitaires évidents, un cadre réglementaire rigoureux pour les dispositifs médicaux présente également des avantages économiques considérables. En garantissant la sécurité et la qualité des produits, ces réglementations renforcent la confiance des consommateurs et des professionnels de santé, stimulant ainsi la demande et l’investissement dans ce secteur clé.
Lire aussi : Côte d’Ivoire: les potions aphrodisiaques locales excitent la controverse
De plus, une réglementation harmonisée au niveau régional, telle que promue par les initiatives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et du Forum Africain sur les Dispositifs Médicaux, facilite la libre circulation des produits et renforce l’attractivité du marché africain pour les investisseurs étrangers.
En définitive, bien que des progrès restent à accomplir, les pionniers africains de la réglementation des dispositifs médicaux ouvrent la voie vers un double dividende: l’amélioration de la santé publique et le développement économique d’un secteur stratégique. Leur exemple inspire d’autres pays à s’engager sur cette voie vertueuse, essentielle pour bâtir des systèmes de santé résilients et compétitifs sur le continent.