Or artisanal: et si la Côte d’Ivoire s’inspirait du régulateur unique ghanéen

La Côte d’Ivoire ambitionne de structurer sa filière minière artisanale.

Le 03/05/2025 à 17h13

Dans un monde où l’or est à la fois une valeur refuge et un catalyseur de crises, la formalisation des mines artisanales n’est plus un choix, mais une option stratégique. Au regard du contexte géopolitique volatil et face à des prix record, la Côte d’Ivoire a, elle aussi, l’occasion de transformer son or artisanal en or stratégique. La réussite d’un tel projet dépendra de la capacité à concilier intérêts économiques, impératifs environnementaux et attentes des communautés.

À l’instar du Ghana, où le Ghana Gold Board (GoldBod) est entré en vigueur le 1er mai 2025 – devenant l’unique régulateur étatique habilité à acheter, vendre, exporter et délivrer des licences pour l’or artisanal–, la Côte d’Ivoire ambitionne de structurer sa filière minière artisanale.

Le 28 avril 2025, le ministre ivoirien des Mines, Mamadou Sangafowa Coulibaly, a lancé un appel sans équivoque lors d’un atelier clé portant sur la thématique: «Quelle contribution de la petite mine au développement du secteur minier en Côte d’Ivoire ?». Si cet appel révèle une prise de conscience, derrière cette question se cache un constat implacable: malgré son potentiel, l’Exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) ne contribue qu’à 1,2% de la production d’or du pays, estimée à 59 tonnes en 2024. Un chiffre dérisoire comparé aux 35% du Ghana voisin, aux 15,17% du Burkina Faso ou aux 10,34% du Mali.

L’EMAPE désigne des activités minières manuelles ou semi-mécanisées, souvent informelles, menées par des individus ou de petites structures. Principalement axée sur l’or, elle génère des revenus locaux mais soulève d’importants défis: pollution (usage de mercure), illégalité (travail non déclaré, contrebande) et insécurité (conflits fonciers). Au Ghana, cette filière est régulée sous l’appellation Artisanal and Small-Scale Mining (ASM), un modèle que la Côte d’Ivoire étudie désormais de près.

«L’EMAPE est un levier stratégique pour le développement économique, notamment pour les communautés locales», a rappelé le ministre Sangafowa Coulibaly. Pourtant, «des freins majeurs entravent encore son plein essor». Entre 2022 et 2025, un total de 456 autorisations d’exploitation ont été délivrées en Côte d’Ivoire– contre 229 entre 2015 et 2021–, mais cette progression quantitative ne s’est pas traduite par un impact économique proportionnel. La production, bien qu’en hausse (de 392 kg en 2022 à 730 kg en 2024), reste marginale.

Les paradoxes de la petite mine ivoirienne

La Côte d’Ivoire fait face à un double paradoxe dans sa gestion de l’EMAPE. D’un côté, un cadre légal restrictif, réservant cette activité aux nationaux et aux entreprises à capitaux majoritairement locaux, vise à protéger la souveraineté économique. De l’autre, cette réglementation se révèle inefficace face à la réalité du terrain. L’orpaillage illégal persiste, alimenté par une demande internationale explosive– le prix de l’once atteignant 3.306 dollars début mai 2025– et par des capacités étatiques limitées en matière de surveillance. Une informalité qui nourrit une image négative: l’EMAPE est associée à l’insécurité, aux conflits locaux et à la dégradation environnementale, notamment via l’usage non contrôlé de produits toxiques comme le mercure.

Parallèlement, malgré une augmentation des autorisations délivrées (456 entre 2022 et 2025 contre 229 de 2015 à 2021), le pays accuse un retard structurel dans la formalisation du secteur. Alors que le Ghana voisin a instauré dès mai 2025 un régulateur unique (GoldBod) pour piloter sa filière artisanale, la Côte d’Ivoire peine encore à mettre en œuvre des outils clés comme la traçabilité de la production, une fiscalité adaptée ou une gestion communautaire inclusive, thèmes au cœur des recommandations de l’atelier ministériel.

Les leçons du voisin ghanéen

Le modèle ghanéen du GoldBod illustre comment une régulation centralisée peut transformer l’or artisanal en levier économique. En contrôlant l’ensemble de la chaîne– fixation des prix, délivrance de licences, lutte contre la contrebande–, le Ghana renforce la contribution de sa petite mine (35 % de la production nationale), tout en réduisant les flux illicites. Pour la Côte d’Ivoire, où l’or clandestin alimente des réseaux transnationaux érodant les recettes fiscales et la stabilité régionale, cet exemple est crucial. L’urgence est renforcée par la flambée des cours: à 106 dollars le gramme début mai 2025, l’or attire des acteurs informels prêts à contourner les règles, aggravant les risques environnementaux (déforestation anarchique, pollution des sols) et sociaux (exploitation des mineurs, insécurité).

Ainsi, l’envolée des prix rend la formalisation urgente. D’autant plus que chaque jour sans régulation solide accroît le pouvoir des réseaux parallèles. Sans un cadre inspiré du GoldBod, adapté au contexte ivoirien, le pays risque de voir sa petite mine rester une source de vulnérabilité plutôt qu’un pilier de développement.

Les défis de la durabilité et de la RSE

La durabilité de l’EMAPE en Côte d’Ivoire repose sur un équilibre délicat entre exploitation minière et préservation écologique. Le ministre Sangafowa Coulibaly souligne l’impératif de «la préservation de l’environnement et la gestion communautaire», dans un pays qui a perdu 60% de ses forêts en six décennies.

Pour y parvenir, la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) doit s’articuler autour de deux axes majeurs. Premièrement, la traçabilité : à l’instar du Ghana, qui certifie l’or artisanal pour répondre aux exigences des marchés internationaux, la Côte d’Ivoire pourrait rassurer les investisseurs étrangers et les banques centrales (comme celles de Chine ou de Turquie), dont les réserves d’or physique atteignent des niveaux records.

Deuxièmement, la gestion communautaire, clé de voûte pour réduire les conflits: l’implication des chefs traditionnels, présents lors de l’atelier, permettrait d’ancrer les projets miniers dans le tissu social local, en légitimant les activités et en garantissant une redistribution équitable des bénéfices. Sans cette approche inclusive, les tensions entre exploitants, communautés et autorités risquent de persister, compromettant tant la productivité que la cohésion sociale.

L’or qui brille… si la stratégie suit

Lors de l’atelier sur l’EMAPE, le ministre Sangafowa Coulibaly a formulé plusieurs pistes de réflexion, notamment «la traçabilité de la production, l’optimisation du cadre fiscal, la préservation de l’environnement et la gestion communautaire», en vue de formuler des recommandations concrètes pour renforcer les politiques publiques et les mécanismes d’accompagnement des petites mines.

Avec un prix record de 3.498 dollars l’once en avril 2025 (+48 % sur un an), l’exploitation artisanale de l’or représente un potentiel économique inédit pour la Côte d’Ivoire. Pour en tirer profit, « optimiser le cadre fiscal» est essentiel. Pourquoi pas une taxation différenciée, combinée à des exonérations ciblées pour les coopératives locales, pour dynamiser l’investissement tout en augmentant les recettes publiques ?

Parallèlement, des mécanismes de financement dédiés aux petits exploitants permettraient de moderniser les techniques d’extraction, réduisant ainsi l’impact environnemental. Néanmoins, le pays doit éviter la « malédiction des ressources », un écueil bien connu en Afrique subsaharienne.

Sans régulation stricte, la manne financière pourrait alimenter la corruption ou les inégalités. La transparence dans l’allocation des permis, le contrôle des flux financiers et la lutte contre la fraude fiscale sont donc des prérequis pour transformer l’or en moteur de développement inclusif, plutôt qu’en source de tensions.

Vers un modèle ivoirien de la petite mine?

Ainsi, l’atelier d’avril 2025 pourrait marquer l’acte fondateur d’un modèle minier ivoirien distinctif. Les recommandations attendues– traçabilité renforcée, fiscalité adaptée, implication des chefs traditionnels– devront synthétiser les meilleures pratiques régionales (comme le GoldBod ghanéen) et les spécificités locales. Si la Côte d’Ivoire réussit à formaliser son EMAPE, elle pourra tirer profit de la hausse durable des cours de l’or tout en protégeant ses écosystèmes.

Un scénario ambitieux mais réaliste: en multipliant par dix sa production artisanale pour atteindre 7,3 tonnes annuellement, le secteur contribuerait à 12% du PIB minier d’ici 2030, générant des milliers d’emplois formels. Une transformation qui nécessitera cependant un pilotage étatique rigoureux, un dialogue permanent avec les communautés et acteurs du secteur. Le défi est de taille, mais les enjeux– stabilité socio-économique, souveraineté minière, transition écologique– justifient pleinement cet effort sans précédent.

Formaliser l’or artisanal ivoirien : entre urgence économique, régulation et durabilité environnementale

PaysContribution de l’or artisanal à la production nationaleRégulation actuellePrincipaux défisMesures stratégiques envisagées/existantes
Côte d’Ivoire1,2 % (730 kg en 2024)Cadre légal restrictif (réservé aux nationaux), en réflexionInformalité, pollution (mercure), contrebande, insécurité, faible impact économiqueFormalisation via traçabilité, fiscalité adaptée, implication des chefs traditionnels, inspiration du modèle ghanéen
Ghana35 %Ghana Gold Board (GoldBod) : régulateur unique depuis mai 2025Réduction des flux illicites, gestion de la demande internationaleCentralisation des achats/ventes, certification de l’or artisanal, contrôle des licences et des exportations
Burkina Faso15,17 %
La Société Nationale des Substances Précieuses (SONASP). Depuis 2024, la SONASP centralise l’achat de l’or artisanal. Les mineurs sont obligés de vendre leur production à la SONASP, qui gère également les centres de traitement mutualisé pour mieux contrôler et formaliser l’activité.Réduction des flux illicites, gestion de la demande internationaleCentralisation des achats/ventes
Mali10,34 %Ministère des Mines : Il supervise l’ensemble du secteur et prend les décisions majeures, comme la suspension de la délivrance des permis d’exploitation artisanale aux opérateurs étrangers; Cadre réglementaire renforcé.Réduction des flux illicites, gestion de la demande internationaleCentralisation des achats/ventes
Par Modeste Kouamé
Le 03/05/2025 à 17h13