C’est la ruée vers la contrebande: plus d’une tonne d’or quitte chaque jour clandestinement l’Afrique

L’or venu d'Afrique est raffiné à Dubaï avant d’être exporté vers le reste du monde.

Le 31/05/2024 à 14h47

L’Afrique produit plus du tiers de l’or mondial, mais quelque 435 tonnes sont chaque année exportées clandestinement. Certains des plus grands producteurs du continent sont particulièrement concernés par ces exportations qui échappent aux statistiques officielles qui bénéficient particulièrement aux Emirats arabes unis, plaque tournante des exportations d’or de contrebande venant du continent, selon Swissaid.

L’Afrique est riche d’importantes réserves d’or et en a produit plus de 1.100 tonnes en 2022. Mais tout laisse croire que la production africaine est très largement supérieure à ce volume en raison de l’informel, de l’extraction artisanale non déclarée et à des statistiques peu fiables de certains pays.

Le Rapport de Swissaid, une ONG internationale suisse, intitulé «Sur la piste de l’or africain: quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites» donne un aperçu sur la production et l’exportation de contrebande de l’or africain.

Fruit de plusieurs années de recherches, d’enquêtes et de croisement de données collectées sur la production et le commerce de l’or africain par Swissaid entre 2021-2024, le rapport donne un aperçu sur la manière dont la filière aurifère est gérée et le manque à gagner pour le continent.

Ayant couvert les 54 pays africains, selon l’étude, la production d’or totale en Afrique en 2022 a oscillé entre 991 et 1.144 tonnes, soit entre un quart et un tiers de la production mondiale (3.627,7 tonnes). Cette quantité, aussi importante soit-elle, est sous-estimée à cause de l’importance de l’informel et des failles dans les statistiques de nombreux pays africains.

Ainsi, la production totale déclarée provenant de la production industrielle et semi-industrielle s’est établie à 506 tonnes en 2022, pour une valeur commerciale de 28,3 milliards de dollars. Seulement, selon Suissaid, «la comparaison des données révèle qu’entre 32% et 41% de l’or total produit en Afrique n’a pas été déclaré à la production en 2022».

Les grands producteurs d’or industriel déclarés du continent en 2022 étaient le Ghana (95,8 tonnes), l’Afrique du Sud (84 tonnes), le Mali (66,2 tonnes) et le Burkina Faso (57,7 tonnes).

Quant à la production d’or issue de l’Extraction artisanale et à petite échelle (EMAPE), elle est composée de deux ensembles: EMAPE déclarée et EMAPE non déclarée. «Quarante-et-un des 54 pays africains ont une production estimée d’or d’EMAPE d’au moins 100 kg par année, 20 et 15 de ces pays produisent de l’or d’EMAPE, mais ne rapportent aucune production officiellement», souligne le rapport. La production des EMAPE a augmenté au cours de ces dernières années sous l’effet de la flambée du cours de l’or qui est passé de 30.000 à 60.000 dollars le kilo en 2024, entrainant une ruée vers l’or au niveau du continent.

Seulement, la production EMAPE en Afrique est hautement informelle, expliquant qu’une grande partie de la production n’est pas déclarée. Ainsi, dans 9 pays africains, la production d’EMAPE non déclarée est supérieure à 20 tonnes par an. Pour le Mali et le Zimbabwe, Swissaid estime à 50 tonnes la part non déclarée des EMAPE.

Ainsi, ce sont entre 321 et 474 tonnes d’or issues de l’EMAPE qui ne sont pas déclarées. En 2022, cela représentait entre 72% et 80% de la production totale d’or d’EMAPE ou entre 32% et 41% de la production d’or totale (EMAPE et industrielle ou semi-industrielle). «Il est préoccupant de constater l’ampleur de l’extraction d’or qui a lieu en marge du cadre légal. Les Etats africains n’ont pour ainsi dire aucun contrôle et ne perçoivent aucun revenu sur ces flux. L’absence de contrôle étatique implique également un risque accru de travail forcé, de travail des enfants, d’atteintes à la santé ou même de décès des travailleurs, de pollution environnementale et de financement de groupes armés», souligne le rapport.

En tenant compte de cette production totale d’or (industrielle et EMAPE) en 2022, le Ghana demeure le premier producteur africain, devant le Mali et l’Afrique du Sud. Dix pays ont produit plus de 50 tonnes d’or cette année-là.

En ce qui concerne les emplois, une fois extrait, l’or africain emprunte trois chemins divers: il est soit raffiné puis consommé ou stocké dans le pays de production, soit exporté légalement vers un pays africain ou non africain, soit exporté en contrebande vers un pays africain ou non africain. «Plus de 435 tonnes d’or ont été exportées en contrebande du continent africain en 2022, ce qui représente plus d’une tonne par jour. Au prix de l’or au 1er mai 2024, cela correspond à une valeur de 30,7 milliards de dollars», selon le rapport.

Les exportations déclarées se sont établies à 777 tonnes en 2022 dont 153 tonnes exportées vers un autre pays africain et 614 tonnes en dehors du continent, principalement vers trois pays: Emirats arabe unis, Suisse et Inde. Le commerce intra-africain d’or étant constitué essentiellement des expéditions d’or industriel acheminé vers la raffinerie Rand Refinery, seule raffinerie africaine certifiée par la LBMA. Et une partie de l’or exportée vers l’Afrique du Sud pour le raffinage est ensuite réexportée vers d’autres pays: Suisse, Emirats arabes unis, Inde…

Le Ghana, l’Afrique du Sud et la Guinée ont été les principaux exportateurs africains d’or déclaré en 2022. Les Emirats arabes unis, la Suisse et l’Inde ont absorbé 80% des exportations d’or déclaré du continent en 2022. Le reliquat est importé par la Turquie, le Canada, l’Australie, la Chine, le Liban…

Parallèlement, au moins 435 tonnes d’or ont été exportées en contrebande du continent en 2022, pour une valeur commerciale de 30,7 milliards de dollars.

Seulement, selon le rapport de Swissaid, une analyse fine des importations des Emirats arabes unis montre que la proportion de l’or africain destinée aux Emirat est plus élevée que ce que les chiffres officiels. Ainsi, en 2022, les Émirats ont déclaré avoir importé 1.059 tonnes d’or, d’une valeur de 59,5 milliards de dollars, du monde entier.

Seulement, selon les données, les importations venant du continent africain sont estimées à 609 tonnes, d’une valeur de 34,5 milliards de dollars, représentant 58% du total de l’or importé. Ce problème au niveau des données s’explique par le fait que les Emirats captent 80 à 85% de l’or d’EMAPE africain dont une très grande partie n’est pas déclarée.

Ainsi, selon Suissaid, «66,5% (405 tonnes) de l’or importé aux Emirats arabes unis en provenance d’Afrique a été exporté en contrebande des pays africains», ajoutant qu’«entre 2012 et 2022, 2.569 tonnes d’or africain importé aux Emirats n’ont pas été déclarées».

Au prix moyen de l’or sur ces onze années, cela correspond à une valeur totale de 115,3 milliards de dollars. Pour ce qui de la provenance de cet or, si 12 pays africains sont impliqués dans la contrebande de plus de 20 tonnes par année, trois pays sont particulièrement concernés: Mali, Ghana et Zimbabwe. En 2021, les importations des Emirats arabes unis en provenance du Mali avaient atteint un pic de 174 tonnes, soit la plus grande quantité d’or importée par l’Emirat en provenance d’un seul pays sur une période d’une année.

Globalement, d’après le rapport, en 2022, 317 tonnes d’or ont été importées par les Emirats en provenance de ces 18 pays africains qui figurent sur la Liste indicative et non exhaustive des zones de conflits ou à haut risque dont le Mali, le Burkina Faso, le Mozambique, le Niger, le Nigeria, la Centrafrique, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud, le Zimbabwe…

Les Emirats importent l’or du continent pour le raffiner avant de le réexporter vers d’autres pays, jouant ainsi le rôle de pays de transit et de plateforme d’or du monde.

Outre les Emirats, la Suisse demeure une destination privilégiée de l’or industriel africain. En 2022, les importations de ce pays ont atteint 246 tonnes provenant principalement du Burkina Faso et du Ghana. Il s’agit globalement de l’or brut exporté par les filiales des multinationales pour y être raffiné. Le pays importe aussi d’importantes quantités d’Afrique du Sud.

Par Moussa Diop
Le 31/05/2024 à 14h47