Paludisme: cartographie des économies africaines les plus affectées et celles qui sont certifiées exemptes

La malaria ralentit la croissance du PIB d’environ 1,3 point de pourcentage par an dans les pays les plus touchés.

Le 03/03/2025 à 12h43

Alors que le paludisme coûte à l’Afrique plus de 12 milliards de dollars annuels et ralentit sa croissance, certains pays comme le Maroc, l’Algérie, Maurice, l’Égypte et le Cap-Vert démontrent que l’élimination de cette pathologie est possible. Entre résistance aux insecticides, manque de volonté politique, pertes économiques et projections alarmistes liées au climat, décryptons des stratégies gagnantes.

«L’Afrique peut se remettre sur la voie de l’élimination du paludisme si les dirigeants réaffirment leur engagement et adoptent des politiques et des lois pertinentes», a indiqué, vendredi 28 février au siège du Parlement panafricain (PAP) à Johannesburg, Olivia Ngou, directrice exécutive d’Impact Afrique et coordinatrice mondiale de la société civile.

Il faut dire que les enjeux sont importants. Selon la Banque Mondiale, le paludisme - aussi appelé malaria - ralentit la croissance du PIB d’environ 1,3 point de pourcentage par an dans les pays les plus touchés, en raison des coûts médicaux, de l’absentéisme et de la baisse de productivité. Ainsi, l’Afrique subit une double peine face à cette maladie : une crise sanitaire qui entrave son développement économique. Alors que des pays comme l’Égypte et le Cap-Vert démontrent que l’élimination est possible, d’autres, comme le Nigéria ou la RDC, voient leur croissance économique amputée par le poids de cette maladie.

Avec 94% des cas mondiaux et 95% des décès liés au paludisme, l’Afrique reste l’épicentre de cette pandémie, malgré des progrès notables depuis 2010. D’où la nécessité d’un engagement politique fort pour l’éliminer. «Les parlementaires, en tant que décideurs, ont le pouvoir d’en faire une priorité dans chaque pays. La volonté politique est la clé», insiste Olivia Ngou, lors de sa présentation devant la Commission permanente de la santé, du travail et des affaires sociales du PAP.

C’est dans ce contexte que nous mettons les projecteurs sur les dynamiques géographiques, climatiques et politiques relatives à la lutte contre cette maladie, en identifiant les foyers prioritaires, les zones émergentes à risque et les stratégies gagnantes.

Les pays les plus touchés

Selon les données du Rapport mondial sur le paludisme 2024 de l’OMS publié en décembre 2024, les cinq pays où la charge de morbidité est la plus lourde sont le Nigéria (25,9%), la République démocratique du Congo (12,6%), l’Ouganda (4,8%), l’Éthiopie (3,6%) et le Mozambique (3,5%). Ces cinq pays concentrent plus de la moitié des cas mondiaux. Leur impact sur la mortalité est tout aussi alarmant: le Nigéria représente 30,9% des décès mondiaux, dont près de 40 % concernent des enfants de moins de 5 ans, tandis que la RDC contribue à 11,3% des décès et le Mozambique à 3,0%.

Les estimations du Programme national de lutte contre le paludisme (NMCP) du Nigéria indiquent que les pertes financières dues au paludisme s’élèvent à environ 132 milliards de naira, ce qui équivaut à environ 906 millions de dollars. Ce qui souligne l’impact économique significatif du paludisme sur le pays.

De plus, le paludisme représente une lourde charge pour le système de santé nigérian, entraînant des millions de cas de maladie, des hospitalisations et des décès, ce qui affecte également la productivité de la population active.

Entre 2019 et 2023, ces cinq pays ont connu une augmentation significative des cas: l’Éthiopie a enregistré la plus forte progression régionale (+6,9 millions de cas), devant le Nigéria (+6,8 millions), le Mozambique (+1,9 million), la RDC (+1,8 million) et l’Ouganda (+1,3 million). Cette tendance s’explique notamment par la croissance démographique, les défis d’accès aux moustiquaires imprégnées, aux traitements préventifs et aux diagnostics rapides, ainsi que par les inégalités socioéconomiques.

Aucun de ces pays n’est actuellement en mesure d’atteindre les objectifs cibles de la Stratégie Mondiale de l’OMS (GTS) pour 2025, visant à réduire de 75% l’incidence et la mortalité. Ce qui souligne l’urgence de renforcer les interventions sanitaires et les financements internationaux pour inverser la courbe épidémiologique.

A cela s’ajoute le fait que ces «foyers primaires» partagent des défis structurels: densité démographique élevée, systèmes de santé fragiles, et zones rurales difficiles d’accès.

Olivia Ngou, directrice d’Impact Afrique, souligne l’impact économique de cette réalité : « Chaque dollar investi dans la lutte rapporte 40 dollars. Pourtant, le paludisme coûte à l’Afrique plus de 12 milliards de dollars annuels, principalement en raison de la perte de productivité, des coûts de soins de santé et des impacts sur la croissance économique. » Les récentes avancées – vaccins RTS,S et R21 – , ainsi que les moustiquaires imprégnées y sont déployées, mais leur adoption reste inégale.

La persistance du parasite Plasmodium falciparum, majoritaire en Afrique, combinée à la résistance aux insecticides chez les moustiques Anophèles, explique la récurrence des cas. Les conflits armés limitent l’accès aux campagnes de prévention, aggravant la crise.

Les cinq pays africains où la charge de morbidité est la plus lourde (données 2023-2024)

Pays% des cas mondiaux% des décès mondiauxImpact économiqueHausse des cas (2019-2023)
Nigéria25,9%30,9%Pertes estimées à 132 milliards de naira (906 M$), coûts sanitaires élevés;+6,8 millions de cas;
RDC12,6%11,3%Pression sur les infrastructures sanitaires, impact sur la productivité;+1,8 million de cas;
Ouganda4,8%Non spécifiéAbsentéisme et baisse de productivité;+1,3 million de cas;
Éthiopie3,6%Non spécifiéCoûts médicaux élevés, absentéisme et baisse de productivité, impact sur le tourisme;+6,9 millions de cas;
Mozambique3,5%3%Pertes économiques liées au tourisme et à l’agriculture;+1,9 million de cas;


Les foyers secondaires

Au-delà des cinq principaux foyers, des foyers secondaires émergent au Cameroun, Madagascar et Mali. Ces pays connaissent un recul alarmant - Madagascar (+4,2 millions de cas entre 2019 et 2023), le Mali (+1,4 million) et le Cameroun (+1,2 million) -, illustrant des défis persistants.

Il faut dire que ces pays cumulent des facteurs de risque similaires : précipitations saisonnières favorables aux gîtes larvaires, urbanisation non planifiée (eaux stagnantes), et faible couverture en diagnostics rapides.

Parlant de l’incidence du climat, le rapport du Malaria Atlas Project (2025) prévoit que le réchauffement climatique pourrait causer 550.000 décès supplémentaires d’ici 2049 en Afrique. Disons que les inondations et les températures élevées étendent l’habitat des moustiques vers des zones auparavant épargnées, comme les hauts plateaux éthiopiens.

Ainsi, les inégalités régionales restent marquées, avec des progrès contrastés entre des pays comme le Rwanda, modèle de réduction drastique (-85% des cas), et d’autres comme la RDC ou le Nigeria, qui concentrent une part majeure du fardeau. Huit pays africains sont responsables de hausses significatives de cas depuis 2019, aggravant les disparités. Concernant les objectifs de la Stratégie mondiale de lutte contre le paludisme (GTS), seuls 21 pays ont réduit l’incidence depuis 2015, et 34 ont diminué la mortalité, mais aucun (à l’exception de Sao Tomé-et-Principe) n’est en voie d’atteindre les objectifs cibles fixés pour 2025, soulignant l’urgence d’accélérer les interventions face à des systèmes de santé fragiles et des financements insuffisants.

Pays connaissant un recul alarmant entre 2019 et 2023

PaysHausse des casFacteurs de risque
Madagascar+4,2 millions de cas;Précipitations saisonnières, urbanisation non contrôlée, faible accès aux diagnostics;
Mali+1,4 million de cas;Conflits armés, systèmes de santé défaillants;
Cameroun+1,2 million de cas;Résistance aux insecticides, précarité des zones rurales;


Les cas d’école de l’Égypte et du Cap-Vert

L’Égypte a été certifiée exempte de paludisme par l’OMS. De quoi réjouir ses 100 millions d’habitants et les millions de touristes qui visitent le pays. Même si cela n’a pas été mentionné comme un facteur direct dans la croissance du tourisme, il est clair que cela a contribué à rendre plus agréable l’expérience client de ces derniers. Fini, entre autres les potentiels désagréments liés aux mesures de traitement préventif. Dans le cas du Cap-Vert, cela est clairement souligné par l’OMS.

En 2023, le pays a enregistré un record de 14,9 millions de touristes, dépassant le précédent record de 14,73 millions en 2010. La reprise du tourisme mondial après la pandémie de Covid-19, la promotion de la destination, les facilités de visa, et la dévaluation de la livre égyptienne auraient officiellement contribué à cette augmentation des arrivées de touristes.

Rappelons que l’Égypte est le troisième pays à obtenir la certification de l’élimination du paludisme dans la Région de la Méditerranée orientale de l’OMS, après les Émirats arabes unis et le Maroc. À l’échelle mondiale, ce sont au total 44 pays et 1 territoire qui ont réussi à éliminer la maladie.

L’élimination réussie du paludisme en Égypte en 2023 s’appuie sur une stratégie tripartite articulée autour de l’alignement politique, de l’innovation technique et de la coopération régionale. Le pays a d’abord aligné sa stratégie nationale sur le plan directeur de l’OMS, en consacrant un budget spécifique et en instaurant un cadre législatif contraignant pour prioriser la lutte. Sur le plan technique, l’Égypte a généralisé les diagnostics rapides, déployé un système de surveillance épidémiologique en temps réel et optimisé l’accès aux traitements antipaludiques, réduisant ainsi les délais d’intervention. Enfin, face aux risques de réintroduction, le pays a renforcé la collaboration transfrontalière, notamment via des contrôles sanitaires stricts aux frontières avec notamment le Soudan, zone encore endémiques

En effet, le Soudan est une zone endémique pour le paludisme. En 2023, il représentait une part importante des cas de paludisme dans la région de la Méditerranée orientale de l’OMS, avec plus de 3,4 millions de cas recensés et environ 7.900 décès attribués à cette maladie.

Cabo Verde est le troisième pays qui obtient la certification de l’élimination du paludisme dans la Région africaine de l’OMS après Maurice et l’Algérie, certifiés respectivement en 1973 et 2019. Comme le souligne l’OMS, la certification de l’élimination du paludisme génère pour Cabo Verde une dynamique positive dans plusieurs domaines. «Les systèmes et les structures mis en place dans le but d’éliminer le paludisme ont renforcé le système de santé et seront utilisés pour lutter contre d’autres maladies transmises par les moustiques, par exemple la dengue. Les voyageurs en provenance de territoires situés hors des zones d’endémie palustre peuvent désormais se rendre dans les îles de Cabo Verde sans craindre d’être infectés localement par la maladie et sans subir les potentiels désagréments liés aux mesures de traitement préventif». De quoi potentiellement attirer davantage de visiteurs et stimuler l’activité socioéconomique dans un pays où le tourisme représente environ 25 % du PIB.

L’éradication du paludisme pourrait effectivement libérer des ressources financières qui étaient auparavant allouées à la lutte contre cette maladie, permettant ainsi au gouvernement de réinvestir dans d’autres secteurs comme l’éducation et les énergies renouvelables. Sans oublier qu’une main-d’œuvre en meilleure santé, cela a des répercussions sur le rythme de production de richesse et de valeur ajouté, par le truchement d’éléments évoqués plus haut.

Au Cap-Vert, l’approche a combiné mobilisation communautaire et adaptation climatique : des campagnes d’éducation sanitaire ont permis de diminuer de 40 % les erreurs de diagnostic, tandis que l’intégration de la lutte antipaludique dans les politiques climatiques a atténué l’impact des cyclones, vecteurs de recrudescences.

Sur le plan économique, ces deux modèles prouvent leur efficacité. En Égypte, les investissements dans l’élimination du paludisme ont généré des avantages socio-économiques significatifs, notamment une réduction des coûts de santé et une amélioration de la productivité, grâce entre autres à la baisse de l’absentéisme, démontrant que l’éradication du paludisme est autant un impératif de santé publique qu’un levier de croissance inclusive. Cela est documenté.

Ces pays ont intégré la lutte antipaludique dans des politiques intersectorielles, prouvant que santé et économie sont indissociables. Si le paludisme reste un défi colossal, les succès de l’Égypte et du Cap-Vert prouvent qu’une élimination continentale est possible. Cela exigera une synergie inédite entre scientifiques, décideurs et communautés, soutenue par des investissements anticipant l’impact climatique. L’Afrique a les outils ; elle doit maintenant les utiliser.

Pays africains ayant éliminé le paludisme – Stratégies et bénéfices économiques

PaysAnnée de certificationStratégies clésBénéfices économiques et sociaux
Égypte2023Alignement politique, surveillance épidémiologique, coopération transfrontalière;Bénéfice pour le secteur touristique (15,7 millions de visiteurs en 2024), réduction des coûts de santé, amélioration de la productivité;
Cap-Vert2023Mobilisation communautaire, intégration des politiques climatiques;Bénéfice pour le secteur touristique (25% du PIB), renforcement du système de santé;
Algérie2019Campagnes de prévention massives, diagnostics rapides;Réallocation des budgets vers d’autres secteurs (éducation, santé publique, infrastructures, agriculture);
Maroc2010Collaboration internationale, systèmes de surveillance robustes;Réduction des dépenses publiques en santé, main-d’œuvre en meilleure santé, croissance économique soutenue;
Maurice1973Lutte antivectorielle intensive, éducation sanitaire;Bénéfice pour le secteur touristique, main-d’œuvre en meilleure santé;

Source : OMS.

Par Modeste Kouamé
Le 03/03/2025 à 12h43