Pendant que les chalutiers étrangers continuent de proliférer dans les océans africains, la durabilité des ressources locales semble toujours un lointain mirage malgré les fameux accords censés la garantir. En effet, les eaux maritimes de l’Afrique abritent d’importantes ressources halieutiques qui font l’objet de nombreux accords de pêche conclus entre les pays côtiers et des puissances halieutiques lointaines. Ces accords, s’ils permettent des entrées financières aux pays signataires, soulèvent de nombreuses interrogations quant à leur durabilité et leurs retombées réelles pour le développement des pêcheries nationales. C’est ce que révèle le récent rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) intitulé «International fisheries access agreements: Challenges and opportunities to optimize development impacts.»
Débarquement de thons à une conserverie aux Seychelles, pays modèle dans la gestion durable des pêcheries.. DR
Pour ne parler que de l’Afrique de l’Ouest, différents types d’accords d’accès aux pêcheries sont utilisés: accords bilatéraux avec l’UE ou d’autres pays, accords gouvernement-entreprise de première génération avec des prix forfaitaires, et accords de deuxième génération souvent basés sur des joint-ventures impliquant l’affrètement ou le transfert temporaire de navires étrangers battant pavillon national.
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Selon la CNUCED, ces accords ont souvent des impacts négatifs, notamment des conflits avec les pêcheurs artisanaux, des cas de violence, une surexploitation des ressources au détriment des communautés locales, et un manque de respect des mesures de gestion et de conservation en raison de capacités limitées de surveillance et d’application des réglementations par les pays côtiers.
Bien que des exemples de réussite existent, la gestion des accords de pêche en Afrique reste un défi majeur, nécessitant une volonté politique forte, des cadres réglementaires solides, des capacités de surveillance et d’application renforcées, ainsi qu’une meilleure transparence et une implication accrue des parties prenantes locales pour assurer la durabilité des ressources halieutiques et les retombées économiques pour les populations côtières. Cela dit, quels sont les différents accords qui engagent les pays africains?
Plusieurs pays africains engagés avec l’UE
L’Union européenne (UE) a conclu plusieurs accords de pêche avec des pays africains dans le cadre de sa politique commune des pêches (PCP). Depuis 2013, ces accords dits de «partenariat de pêche durable» (APPD) visent une exploitation raisonnée des ressources, en contrepartie d’une compensation financière et d’un appui sectoriel. L’UE a actuellement neuf APPD «thoniers» avec le Cabo Verde, la Côte d’Ivoire, Sao Tomé-et-Principe, le Gabon, les Seychelles, Maurice, le Sénégal et la Gambie. L’UE a aussi quatre APPD «mixtes» avec le Maroc, la Mauritanie et la Guinée-Bissau ciblant diverses espèces. Selon une évaluation récente, «l’engagement financier annuel moyen de l’UE envers les pays partenaires entre 2015 et 2020 représentait 159 millions d’euros, dont 126 millions d’euros du budget public de l’UE (98 millions d’euros de contribution pour l’accès et 28 millions d’euros d’appui sectoriel)».
Le Japon et la Corée du Sud bien positionnés
Le Japon a également conclu plusieurs accords de pêche avec des pays africains, principalement pour ses flottilles thonières hauturières. Cités dans le rapport, le Japon a des «arrangements» avec le Maroc depuis 1985 pour la pêche palangrière de thon. Contrairement à l’UE, ces accords ne sont pas négociés par le gouvernement japonais mais par les associations industrielles de pêche, avec une compensation sous forme de droits d’accès et de pourcentages sur les captures.
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La Corée du Sud opère également d’importantes flottilles de pêche lointaine, bien que moins détaillées dans le rapport. On apprend qu’en 2019, la flotte sud-coréenne opérait depuis 21 bases étrangères dans 17 pays côtiers des océans Pacifique, Atlantique et Indien. La Corée privilégie les accords d’accès classiques mais aussi les joint-ventures, notamment avec la Russie.
Chine et Russie sont également dans la danse
«Les règles d’origine des Accords de Partenariat Économique (APE) exigent que le poisson exporté vers l’UE en franchise de droits soit capturé par des navires immatriculés dans le pays partenaire ou un État membre de l’UE. Cela incite les pays à conclure des APPD avec l’UE pour que leurs conserveries puissent se procurer la matière première nécessaire tout en bénéficiant des préférences commerciales.». Au-delà de l’UE, du Japon et de la Corée, d’autres puissances comme la Chine, la Russie a également conclu divers accords d’accès aux ressources halieutiques avec des pays africains.
Si ces accords permettent des entrées financières appréciables pour les pays côtiers, de nombreuses critiques sont soulevées, remettant en cause leur impact réel sur le développement durable des pêcheries nationales. «L’un des problèmes récurrents est de définir les ‘surplus’ capturables par les flottes étrangères, sachant que de nombreux pays n’ont pas les données d’évaluation des stocks nécessaires. De plus, certains pays partenaires n’ont pas les capacités suffisantes pour négocier d’égal à égal» alerte la CNUCED. Le manque de transparence sur l’utilisation des compensations financières, la non-publication des données de captures et la faible implication des parties prenantes locales dans la gestion sont également pointés du doigt.
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Dans cette optique, l’avenir des accords de pêche en Afrique passe par un rééquilibrage des rapports de force, souligne la CNUCED, un renforcement des capacités scientifiques et de négociation, et une plus grande transparence pour garantir la durabilité des ressources et un réel développement des filières nationales. Mais cet océan de défis, quelques notes positives se dégagent pour l’Afrique.
Règles d’origine européennes: seulement 2 champions de la flotte industrielle conforme !
Chose curieuse relevée dans le rapport de la CNUCED, seuls deux pays africains semblent actuellement posséder une flotte industrielle nationale conforme aux règles d’origine européennes: le Ghana et la Namibie. Les règles d’origine européennes exigent que le poisson capturé soit considéré comme «originaire» du pays s’il a été pêché dans les eaux territoriales de ce pays. Au-delà, il doit être capturé par un navire battant pavillon de ce pays partenaire de l’accord de partenariat économique (APE) ou d’un État membre de l’UE, et être détenu par une entreprise de ce pays ou un État membre.
Pour les rares pays africains concernés comme le Ghana et la Namibie, disposer d’une flotte nationale éligible aux règles d’origine représente un avantage considérable. Cela leur permet d’exporter leurs produits de la pêche vers le marché européen en bénéficiant d’un accès préférentiel et en étant exemptés des droits de douane élevés, renforçant la compétitivité de leur industrie. «Les règles d’origine ont été conçues pour empêcher les tiers de bénéficier de la préférence», précise le rapport.
Outre cet accès préférentiel au marché européen, le Ghana et la Namibie tirent également des avantages spécifiques des accords de pêche dont ils sont signataires avec l’UE. Ces accords de partenariat de pêche durable (APPD) prévoient un soutien financier et technique de l’UE pour développer leurs secteurs de la pêche, tout en assurant l’exploitation durable des ressources.
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À l’avenir, on peut s’attendre à ce que davantage de pays africains cherchent à développer leurs propres flottes nationales industrielles conformes, afin de bénéficier d’un meilleur accès aux marchés européens et de tirer parti des avantages associés aux APPD. Néanmoins, cela nécessitera des investissements importants et un renforcement des capacités techniques, juridiques et de gestion des pêches.
Sénégal, Namibie et Seychelles: des exemples de réussite
Les pays africains cités comme des exemples de réussite dans la gestion des pêcheries et des accords de pêche sont le Sénégal, la Namibie et les Seychelles. Le Maroc n’est pas mentionné, bien qu’étant un acteur majeur de la pêche en Afrique.
Le Sénégal est reconnu pour sa gestion exemplaire de la pêcherie de crevettes. Selon le rapport, «une stratégie participative a été mise en place pour préparer un plan de gestion impliquant les différentes parties prenantes de l’industrie et de la recherche.» Un partenariat public-privé a permis de définir les droits et responsabilités, la génération de revenus et le partage des coûts et bénéfices. Un système de quotas, des périodes de repos biologique, des tests de sélectivité et une collecte de données fiable ont été introduits. Cela a permis d’augmenter la valeur des captures. Ce modèle impliquant des opérateurs étrangers est cité comme un succès par la FAO, notamment grâce au nombre limité d’opérateurs et à l’absence d’interférences avec la pêche artisanale.
La Namibie, devenue indépendante en 1990, a adopté un système de gestion des quotas comparable à ceux de la Nouvelle-Zélande et de l’Islande, visant à restaurer les stocks épuisés par des décennies de surexploitation par les flottes étrangères. «La Namibie a d’abord restreint considérablement les autorisations de pêche étrangère, puis introduit des limites de capture totale autorisée pour ses principales pêcheries commerciales.» Le système namibien vise à accroître le contrôle et la propriété des pêcheries par les Namibiens, la création d’emplois, les revenus gouvernementaux et les bénéfices économiques. La législation promeut la participation majoritaire namibienne dans les entreprises de pêche et privilégie les opérations utilisant les ports nationaux.
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Le système de quotas compétitifs accorde les quotas en fonction de la contribution des candidats au développement économique et social du pays. Les entreprises étrangères peuvent acheter des quotas, mais la préférence est accordée aux citoyens namibiens engagés dans l’autonomisation sociale. Outre les frais de quotas, la Namibie facture des frais pour la recherche halieutique et un programme d’observateurs à bord. « En conséquence, la Namibie est l’un des rares pays où les revenus directs de la pêche commerciale couvrent le coût de la gestion et de l’application de la réglementation.»
Cependant, des lacunes et des pratiques illégales ont entaché ces réalisations, notamment la revente de quotas à des entreprises étrangères et l’opacité dans l’attribution des quotas. Il y a également des soupçons d’abus dans l’allocation des captures totales autorisées.
Pour les Seychelles, la pêche représente 8 à 20% du PIB et emploie 17% de la main-d’œuvre totale. Les exportations de fruits de mer constituent environ 90% des exportations totales de biens. Le gouvernement négocie les droits d’accès aux eaux de sa ZEE avec des navires étrangers, souvent sans quotas, en utilisant des frais de licence forfaitaires et des amendes en cas d’infractions.
De nombreux navires étrangers opèrent aux Seychelles, mais il existe également un nombre significatif de joint-ventures et de navires affrétés. «Contrairement aux joint-ventures au Mozambique, l’engagement des entreprises étrangères aux Seychelles a été associé à des externalités positives, telles que l’investissement dans la longévité de leurs opérations dans le pays et l’évitement des pratiques illégales.»
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Les défis sont importants, mais les exemples prometteurs du Sénégal, de la Namibie et des Seychelles montrent qu’une gestion durable et bénéfique des ressources halieutiques est possible avec une volonté politique forte, des cadres réglementaires adaptés et une réelle implication des parties prenantes locales. Pour l’Afrique, la voie est tracée vers un rééquilibrage des rapports de force, un renforcement des capacités et une meilleure gouvernance afin que les océans regorgent à nouveau de richesses pour les générations futures.