Plus six décennies après la vague des indépendances africaines et malgré les règles nationales et internationales favorables à la consultation des communautés locales, la législation sur le foncier rural, élément capital pour le développement de l’agriculture et la sécurité alimentaire, reste largement inappliquée. L’accaparement des terres contre la volonté des communautés d’agriculteurs constitue actuellement une véritable bombe sociale à retardement.
Dans le cas de la Mauritanie, la gestion et la mise en valeur des terres cultivables le long de la vallée du Fleuve Sénégal (700 kilomètres), est régie «par l’ordonnance 83.127, portant réorganisation foncière et domaniale qui a établi un régime suivant lequel la terre appartient à la nation et tout Mauritanien, sans distinction d’aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie».
Cette loi a été adoptée en 1983, sous un régime militaire d’exception, dans la foulée de la première abolition de l’esclavage en 1981 Mohamed.
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Dans l’esprit, il s’agit d’une législation progressiste, qui a été totalement détournée de son objectif initial visant à permettre l’accès des esclaves libérés à la propriétaire foncière rurale. Les préfets et gouverneurs ont largement profité de leurs prérogatives en favorisant la spéculation et de nombreux intermédiaires à la qualité «douteuse» selon les communautés paysannes.
Le contexte actuel doit être replacé dans une tendance lourde, constatée à partir des années 2008. Une évolution suivant laquelle de nombreuses entreprises nationales et étrangères cherchent à investir massivement dans l’acquisition de terres cultivables de la vallée du Fleuve Sénégal, dans le cadre d’un phénomène général qui va bien au-delà du cas de la Mauritanie, engagent une véritable offensive pour des attributions tous azimuts.
Une approche consensuelle sans suite!
Dans la foulée, le gouvernement mauritanien a accordé une succession de concessions foncières, suscitant la résistance et une vive opposition des communautés, exposant un chapelet d’arguments pour justifier leur rejet de cette politique «violation des conditions prescrites par l’ordonnance de 1983, absence de consultations des communautés, menace contre l’équilibre et la sécurité alimentaire».
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Une politique d’accaparement des terres, suscitant de vives tensions entre l’Etat et les communautés, qui atteint un point culminant avec l’attribution de 3.200 hectares à la multinationale Arab Autority For Agricultural Investissement and Développement (AAAID), dans la commune de Dar El Barka à la fin de 2010.
Face à la multiplication des litiges et des troubles à l’origine de multiples arrestations au sein des communautés, mais aussi devant l’échec de la gouvernance agricole, matérialisée par l’octroi de plus de 500 milliards d’anciennes ouguiyas, en crédits pour la promotion de l’agriculture, détournés puis consacrés à l’érection de villas cossues dans les quartiers résidentiels de Nouakchott et l’achat de cheptel, pendant la période 1974-2021 (rapport Banque mondiale), le régime du président Mohamed Cheikh El Ghazouani, annonce une stratégie de gestion consensuelle en vue de la mise en valeur des terres de la vallée du Feuve Sénégal.
Le ministre des Affaires économiques et de la promotion des secteurs productifs en 2021, Kane Ousmane effectua plusieurs missions dans la vallée pour annoncer aux communautés «la fin de l’accaparement des terres, au profit d’une démarche concertée impliquant l’Etat, les communautés et les potentiels investisseurs».
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Une stratégie dont on parle de moins en moins depuis les élections générales de mai 2023, suivies de la formation d’un nouveau gouvernement.
Un comité de propriétaires terriens revendique un nouveau cadre juridique. Face au frein inexpliqué donné à l’élan présidentiel de 2021, visant une gestion des terres associant les populations, car elles en sont les véritables propriétaires. D’un point de vue juridique, «la terre appartient à la nation» dont la communauté est la cellule de base.
C’est dans cette optique que plusieurs centaines de propriétaires terriens issus de toutes les régions de la vallée du Fleuve, organisés en comités des sages, ont rendu public un document demandant la poursuite des efforts dans la même direction et «une abrogation de l’ordonnance de 1983, portant réorganisation foncière, adoptée sous un régime d’exception, sans concertation avec les communautés».
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Cette déclaration déplore «plusieurs investissements consentis par l’Etat et ses partenaires en dépit desquels l’autosuffisance alimentaire est loin d’être atteinte, avec même des poches de famine dans certaines contrées. La dépendance de l’extérieur, pour la sécurité alimentaire, une mauvaise répartition des fonds alloués au secteur agricole, des terres propriétés des pauvres mais attribuées à des nantis sur la base d’un détournement de la loi».
Ce document préconise «l’arrêt de toute mesure foncière ou agraire porteuse de conflits. La mise en place d’un cadastre réactualisant la propriété de chacun par un titre foncier. Un droit d’accès à la terre pour chaque mauritanien dans son terroir. Une action résolue de l’Etat et des partenaires, visant la mise en valeur des terres, pour maintenir les communautés dans le terroir d’origine et créer les conditions d’une agriculture compétitive, au niveau national, international, et favoriser une gouvernance inclusive, protégeant les droits et les intérêts de toutes les parties: Etat, communautés, partenaires nationaux et internationaux».
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Kane Hamady, inspecteur de l’enseignement secondaire à la retraite, annonce la publication d’un mémorandum réclamant une réforme agraire et foncière, mettant fin à une loi controversée, adoptée sous un régime militaire d’exception, sans concertation, et source de discorde nationale. Il préconise une démarche plus inclusive, dans une perspective de mise en valeur des terres, après plusieurs dizaines d’années de financements improductifs, consentis par des banques agricoles, mais détournés à d’autres fins, notamment la construction de villas cossues dans les centres urbains et l’achat de cheptel.
Pour sa part, Bal Mamadou Jaffar, cadre à la retraite de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM), décline la feuille de route de la réforme réclamée par le comité des sages: établissement d’un cadastre national réactualisant la propriété de chacun par un titre foncier, reconnaissance d’un droit d’accès à la terre pour chaque Mauritanien, abrogation de l’ordonnance de 1983, adoptée en période d’exception, adoption une politique de consensus garantissant les droits des propriétaires, de l’Etat, des investisseurs nationaux et étrangers.