Il n’y aura pas péril en la demeure dans l’approvisionnement en céréales. C’est en substance le message transmis par Vladimir Poutine aux pays africains, lundi 20 mars, lors de son discours à la conférence parlementaire Russie-Afrique à Moscou. En clair, il promet de leur livrer gracieusement des céréales si l’accord sur les exportations ukrainiennes n’était pas reconduit le 18 mai prochain. «Si nous décidons de ne pas prolonger cet accord sur les exportations dans 60 jours, alors nous sommes prêts à livrer depuis la Russie gratuitement le volume qui était destiné, ces derniers temps, aux pays les plus nécessiteux d’Afrique», a-t-il déclaré.
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D’après Poutine, «la Russie remplit consciencieusement toutes ses obligations dans l’approvisionnement en nourriture, engrais, carburant et autres produits critiques pour les Etats du continent, contribuant ainsi à assurer leur sécurité alimentaire et énergétique». Comme à son habitude, il n’a pas manqué de tacler les pays de l’UE.
Selon lui, les pays africains «n’ont reçu que 3% des volumes de céréales exportés depuis les ports ukrainiens», alors que des pays «rassasiés de l’Europe en ont obtenu 45%». Non sans préciser que Moscou «a toujours accordé et continuera d’accorder la priorité à la coopération avec les Etats africains».
Soutiens diplomatiques
Ces déclarations du maître du Kremlin survenaient deux jours après la prolongation de l’accord sur les exportations ukrainiennes de céréales pour deux mois supplémentaires. D’importantes quantités ont été acheminées dans plusieurs pays du monde, y compris en Afrique, via un corridor humanitaire érigé en mer Noire.
Ces mots rassurants du président russe sonnent comme nouvelle astuce de Moscou dans son arsenal de séduction envers les pays du continent. Une diplomatie des céréales qui se greffe à une stratégie bien orchestrée sur le terrain diplomatique par son ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov. Ce dernier a effectué trois tournées en sept mois dans plusieurs pays africains, entre juillet 2022 et février 2023.
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Son dernier séjour en Afrique remonte à début février 2023, lors de sa tournée au Mali, en Mauritanie et au Soudan. En janvier 2023, il était en Afrique du Sud, en Angola, en Eswatini et en Erythrée. Six mois auparavant, en juillet 2022, Lavrov était accueilli au Caire, au Congo, en Ouganda et en Ethiopie pour, justement, rassurer ces pays sur leur approvisionnement en céréales
A travers cette offensive sur le continent, Moscou souhaite multiplier ses soutiens diplomatiques, dans son bras de fer avec l’Occident, depuis le déclenchement du conflit avec l’Ukraine. Une opération plus ou moins réussie, au regard de l’évolution des positions des pays africains, durant les votes de résolutions sanctionnant la Russie à l’Assemblée générale des Nations Unies.
Dépendance au blé
Jeudi 23 février 2023, sur les 30 votants africains de la résolution appelant la Russie à «retirer ses forces» armées hors d’Ukraine, 22 s’étaient abstenus, et deux s’étaient prononcés contre. Le Mali avait même voté contre cette résolution, rejoignant ainsi l’Erythrée, seul pays africain qui votait jusque-là en faveur de Moscou. Alors que lors du précédent vote, le mercredi 12 octobre 2022, 26 pays africains avaient voté en faveur de la résolution condamnant l’annexion de quatre régions ukrainiennes. Seuls le Mali, la République centrafricaine, l’Ethiopie, la RDC, l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Zimbabwe s’étaient abstenus.
Pourrait-on s’attendre au ralliement de nouveaux soutiens africains à l’ONU dans le clan moscovite après les déclarations de Poutine ? Peut-être. En revanche, ce qui est sûr, c’est que ses propos ne manqueront pas ravir de nombreux pays du continent.
D’après les données de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), pas moins de 25 pays africains ont importé plus du tiers de leur blé de la Russie et d’Ukraine entre 2018 et 2020. Deux pays qui concentrent 30% des exportations de cette céréale. Quinze d’entre eux importent plus de la moitié de leurs besoins, comme le Soudan (75% de ses importations), la RDC (68%), et le Sénégal (65%). Idem pour le Bénin qui achète 100% de blé russe, la Somalie 70% de blé ukrainien et 30 % russe.