On est loin de la période de la crise sanitaire lorsque les flottes des compagnies aériennes africaines, à l’instar de celles du reste du monde étaient clouées au sol. Une situation qui a avait poussé de nombreux pavillons africains à revoir leurs voilures à la baisse en rompant les contrats de location d’avions, en reportant les commandes, à défaut de les annuler, et en cédant même une partie de leurs flottes à des prix défiant toute logique. La seule finalité qui valait à l’époque était de réduire autant que possible les charges alors que les perspectives de reprise du marché de l’aérien n’étaient attendues que plusieurs années après la crise sanitaire.
Seulement, la reprise a été rapide et la demande mondiale d’avions a atteint des niveaux presque jamais égalés. Entre les renouvellement des flottes vieillissantes, devenues peu rentables à cause de leurs gourmandises en carburant, devenu très cher, et l’entretien que nécessite les appareils d’un certain âge, toutes les compagnies aériennes ne jurent désormais que par des avions de nouvelles générations, développés par les constructeurs Boeing et Airbus. Ces avions sont moins gourmands en termes de consommation de carburant (entre 25 et 30% de moins que les anciens modèles) et sont plus confortables.
Une situation qui a entrainé une frénésie de commandes d’avions de la part de presque toutes les compagnies aériennes mondiales que les deux grands constructeurs ont du mal à satisfaire et ce d’autant que le secteur est touché par les difficultés. C’est le cas de l’avionneur américain pour ses modèles les plus demandés, notamment le 737 MAX qui ne cesse de multiplier des déconvenues, et la tension sur l’approvisionnement du marché en pièces détachées et de rechange depuis bientôt 3 ans.
A ce titre, le constructeur européen Airbus vient de prévenir ses clients qu’il livrerait moins d’avions que prévu sur l’année 2024, en raison de difficultés persistantes de sa chaîne de fournisseurs, surtout que le géant européen a un carnet de commandes qui représente plus de 10 années de production.
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C’est dans ce contexte que presque toutes les compagnies sont aujourd’hui lancées dans une course à la taille de leurs flottes pour atteindre des tailles critiques, ouvrir de nouvelles destinations, répondre à la demande future et s’adjuger de plus grandes parts de marché au niveau du continent dont le secteur aérien est promis à un bel avenir.
D’ailleurs, selon une étude du constructeur américain Boeing, sur la période 2021-2040, les compagnies aériennes africaines auront besoin de 1.030 nouveaux avions. On comprend alors la frénésie des commandes lancée par celles-ci auprès des grands constructeurs d’avion dans un contexte mondial difficile marqué par une offre insuffisance d’appareils et une tension sur de nombreuses pièces détachées.
Plusieurs facteurs expliquent cette volonté des compagnies africaines à étoffer leurs flottes. D’abord, de nombreuses compagnies aériennes africaines disposent dans leurs flottes d’appareils anciens, et sont donc très coûteuses en exploitation (consommation de carburant et entretien) et n’offrant pas de meilleurs services à bord, comparativement aux avions de nouvelles générations (connexion wifi, ergonomie, plus d’espace, écran individuel…). Ensuite, il y a l’impact attendu du Marché unique africain du transport aérien (Mutaa). En effet, la libéralisation du ciel africain, soutenue par les grands pays et les grandes compagnies du continent (Ethiopian Airlines, EgyptAir, South African Airlines, Royal Air Maroc, Kenya Airways…) devrait se traduire par une intensification de la concurrence et donc une baisse des prix des billets, une plus grande connectivité aérienne et le développement de nouveaux réseaux de liaison intra-africains. Autant de facteurs qui vont accroître le nombre de voyageurs au niveau du continent et bien évidemment une augmentation de la taille des flottes africaines pour faire face à cette demande.
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En outre, il y a les perspectives de développement du transport aérien en Afrique. En effet, alors que l’Afrique représente 17% de la population mondiale, le continent ne pèse que 4,5% du nombre de personnes transportées dans le monde. Une situation qui devrait évoluer sous l’effet de nombreux facteurs dans les années à venir dont: l’augmentation de la population africaine, l’amélioration du niveau de vie avec l’émergence d’une classe moyenne beaucoup plus importante, le développement du tourisme inter et intra-africain, l’élimination du visa aux Africains par de nombreux pays du continent, la mise en place de la Zone de libre échange continental africaine (Zlecaf), le repli de certaines compagnies aériennes européennes (Air France, Air Italia, British Airways, Lufthansa…) au profit des pavillons locaux….
Ainsi, tous ces facteurs devraient entrainer une forte augmentation du trafic de passagers au niveau du continent africain. D’ailleurs, selon les estimations de l’International Air Transport Association (IATA) -Association du transport aérien international-, le nombre de personnes transportées par les compagnies aériennes africaines devrait passer de 111 millions en 2015 à 303 millions en 2030, soit une progression de 173%. Et toutes les compagnies aériennes africaines souhaitent bénéficier des parts de marché plus conséquentes. Et cela passe nécessairement par la capacité de leurs flottes pour atteindre des tailles critiques à même de permettre un maillage continental dense.
On comprend alors la course à la taille lancée par de nombreuses grandes compagnies aériennes africaines qui souhaitent se positionner pour bénéficier au maximum des bonnes perspectives du marché de l’aérien africain.
Dans cet exercice, les compagnies Ethiopian Airlines et Royal Air Maroc semblent être les plus ambitieuses.
Les compagnies aériennes africaines auront besoin de 1030 nouveaux avions sur la période 2021-2040, selon Boeing.. DR
La compagnie aérienne éthiopienne, leader du transport aérien en Afrique, qui enregistrait un nouvel appareil par mois depuis quelques années est devenue plus ambitieuses avec son plan Vision 2035. Avec ce plan, le transporteur éthiopien prévoit de faire passer sa flotte actuelle de 140 avions à 271 appareils d’ici 2035, soit presque le doublement de sa flotte en 12 ans. A cette date, le transporteur éthiopien compte transporter 65 millions de passagers vers 207 destinations, contre 135 aujourd’hui, ce qui le place parmi les 5 premières compagnies au monde en termes de réseau de destination.
Pour matérialiser son ambition, Ethiopian Airlines a signé le 14 novembre 2023, au Dubaï Air Show, le plus important achat d’avions Boeing de l’histoire du transport aérien en Afrique. Il avait passé une commande ferme pour 11 gros-porteurs 787 Dreamliner et 20 monocouloirs de type 737 Max 8. Durant le même salon, cette compagnie avait pris une option pour acquérir 15 autres 787 Dreamliner et 26 appareils 737 Max 8 et signé un autre contrat visant l’acquisition de 11 Airbus A350-900. En gros, avec les commandes fermes et options, la compagnie éthiopienne a commandé 83 appareils.
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Quelques semaines après, le transporteur a obtenu du groupe bancaire américain Citigroup un prêt de 430 millions de dollars pour financer l’acquisition de 5 nouveaux Boeing -3 Boeing 737-8 et 2 gros-porteurs Boeing 777 F.
Outre Ethiopian, Royal Air Maroc aussi affiche de très grandes ambitions. Après avoir annoncé ses intentions de réduire sa voilure lors du Covid-19, le management de la compagnie affiche désormais des ambitions débordantes. Au même titre qu’Ethiopian, la compagnie marocaine a revu ses ambitions fortement à la hausse et s’est fixée un Cap pour 2037. La compagnie compte faire passer sa flotte de 50 appareils actuellement à 200 à l’horizon 2037, soit le quadruplement de sa flotte en 14 ans. Et pour concrétiser cette ambition, le PDG de Royal Air Maroc, Abdelhamid Addou, a annoncé le lancement, en avril 2023, d’une commande de 188 avions, dont deux-tiers de monocouloirs à fuselage étroit et le reste étant de gros-porteurs long-courriers. Le transporteur marocain compte aussi acquérir 30 avions à réactions régionaux pour des vols court-courriers, souvent avec une capacité de moins de 100 passagers.
Afin d’atteindre cet objectif, la compagnie a signé un contrat-programme avec l’Etat devant lui faciliter l’acquisition de la flotte souhaitée.
Conscient qu’il est impossible de disposer des appareils souhaités à temps via des acquisitions, du fait de la forte demande d’avions dans le monde auprès des deux principaux constructeurs, la compagnie compte recourir à la location longue durée pour faire face à la forte demande et à la faiblesse actuelle de la taille de sa flotte.
Avec cette forte augmentation de la flotte aérienne, les autorités souhaitent que le pavillon marocain joue un rôle crucial dans le développement du secteur touristique en pleine expansion. Le Royaume a accueilli en 2023 autour de 14,5 millions de touristes et le pays ambitionne d’accueillir 26 millions de tourisme d’ici 2030, soit le double du volume des arrivées enregistrées en 2024.
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La disponibilité d’une flotte importante devrait aussi faciliter les voyages entre le Royaume et le reste du monde et faire de Casablanca un véritable hub aérien continental. De plus, cette flotte importante sera cruciale avec l’organisation de grands évènements comme la CAN et surtout la Coupe du Monde de 2030. Le transporteur marocain compte jouer le rôle d’apporteur majeur du trafic en ouvrant plusieurs nouvelles lignes et routes au niveau des différentes régions du monde.
Pour accompagner cette augmentation de la flotte et donc des voyageurs transportés, le Royaume compte porter les capacités d’accueil de ses aéroports à 80 millions de passagers par an, contre 40 millions actuellement, grâce à l’extension des plateformes aéroportuaires de Rabat-Salé, Mohammed V de Casablanca, Tétouan, Dakhla, Marrakech, Agadir et Tanger.
Pour sa part, EgyptAir, la seconde compagnie aérienne africaine en termes de flotte et de destinations, est aussi engagée dans la modernisation et l’augmentation de la taille de sa flotte. Lors du Dubaï Air Show, la compagnie égyptienne a signé un accord portant sur l’achat de 10 avions A350-900. Ces avions de nouvelles générations vont contribuer à rationaliser la consommation de carburant de 25%, réduisant ainsi les émissions de carbone, et améliorer la rentabilité de la compagnie. Conscient que l’augmentation de la taille ne se fera pas de manière rapide dans le contexte actuel, la compagnie égyptienne compte aussi recourir au leasing à long terme d’avions. A ce titre, lors du Dubaï Air Show, le transporteur égyptien a annoncé un contrat avec Air Leas Corporation portant sur 18 nouveaux avions Boeing 737-8 MAX. Ces avions seront livrés en 2025 et 2026. En combinant les acquisitions et les locations, EgyptAir devrait totaliser à fin 2026 un total de 108 avions, contre 80 à fin décembre 2023. A ce volume devrait s’ajouter celui de sa filiale Air Cairo, compagnie hybride, à la fois classique, charter et low cost, actuellement dotée d’une flotte de 30 appareils et qui couvre une quarantaine de destinations sur trois continents: Europe, Aise (Moyen-Orient) et Afrique.
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Cette augmentation de la flotte accompagne l’élargissement du réseau de destinations. D’ailleurs, la compagnie égyptienne a ouvert de nombreuses nouvelles liaisons (Sénégal, Burkina Faso, Soudan du Sud, Brésil, Bangladesh…) et renforcé celles vers d’autres pays (Amérique du Nord, Inde, Chine, Royaume-Uni…).
L’augmentation de la flotte de la compagnie égyptienne et de sa filiale devrait impacter positivement le secteur touristique sachant que l’Egypte espère accueillir 30 millions de touristes en 2030, soit le double du volume de touristes accueillis en 2023.
Outre ces trois grandes compagnies aériennes africaines, d’autres aussi sont engagées dans l’augmentation de la taille de leur flotte dont Air Algérie, South African Airlines, Kenya Airways…, mais elles sont globalement moins ambitieuses que les trois compagnies citées plus haut. Toutefois, Kenya Airways qui est à la recherche d’une partenaire stratégique et pourrait revoir ses ambitions fortement à la hausse au cas où elle trouverait un partenaire disposant de ressources financières solides et à même de l’accompagner dans son développement.
A noter que cette course à la taille n’est pas du seul apanage des grandes compagnies aériennes africaines. Celles ayant des tailles moyennes aussi sont engagées dans ce processus. Certaines d’entre elles comptent bouleverser la hiérarchie du secteur au niveau du continent en nouant des partenariats stratégiques et capitalistiques avec des majors du transport aérien mondial dans l’optique de redessiner la carte du transport aérien continental.
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C’est le cas particulièrement de RwandAir. La compagnie rwandaise, disposant actuellement d’une flotte de 14 avions d’une moyenne d’âge de 8,2 ans, compte doubler sa flotte en 5 ans.
Pour beaucoup d’observateurs, la flotte de la compagnie pourrait même croître plus rapidement avec l’entrée de Qatar Airways dans son tour de table en acquérant 49% du capitale de la compagnie. Après 5 ans de négociations, la transaction évaluée à 1 milliard de dollars devrait être finalisée durant ce mois de juillet 2024. Une telle opération constituera un tournant majeur pour le secteur aéronautique en Afrique de l’Est.
Et pour cause, l’argent qui sera injectée par Qatar Airways va permettre à la compagnie rwandaise d’étoffer fortement sa flotte et de densifier son réseau de liaisons internationales.
Il faut souligner que le Qatar qui détient déjà une participation de 60% dans le nouvel aéroport international de Bugesera en construction à l’est de Kigali, et dont l’ouverture est prévue pour 2027 avec une capacité initiale de traitement de 8 millions de passagers annuels, compte faire de RwandAir son véritable levier de développement au niveau du continent africain en faisant de Kigali un véritable hub aérien. Ce hub servira Qatar Airways pour ses opérations sous les droits de cinquième liberté, permettant de relier diverses destinations sans repasser par Doha. Actuellement, la compagnie RwandAir dessert 29 destinations en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie.
Outre RwandAir, Air Côte d’Ivoire aussi est engagée dans un processus d’agrandissement de sa flotte pour faire face à la rude concurrence des compagnies régionales (Air Sénégal et Asky), mais aussi d’autres compagnies africaines (Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc…) et européenne (Air France KLM).
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Avec une flotte de 9 appareils à fin 2023, toute acquise neuve, le transporteur ivoirien veut porter sa flotte à 18 appareils d’ici 2031, soit le doublement de la taille de la flotte. Cinq appareils seront acquis en 2024-2025 et permettront le lancement des vols longs courriers vers Paris (France), Washington et New York (Etats-Unis) Beyrouth (Liban), Londres (Royaume-Uni) et Genève (Suisse).
L’agrandissement de sa flotte entre en droite ligne du plan d’expansion du réseau de la compagnie qui devrait atteindre 35 villes desservies dont 6 intercontinentales à l’horizon 2031, vers l’Europe, le Moyen-Orient et les Etats-Unis.
L’augmentation de la flotte et du réseau devrait permettre à la compagnie ivoirienne de conserver et/ou d’améliorer sa part de marché de 36% du trafic global de l’aéroport international d’Abidjan.
Enfin, Asky, basée à Lomé, affiche aussi ses ambitions. Disposant d’une flotte de 14 appareils et desservant 26 villes dans 23 pays, le transporteur privé panafricain, a dévoilé un programme de renforcement de sa flotte d’au moins 2 nouveaux avions par an, notamment des Dreamliners. L’objectif est de disposer entre 20 et 22 appareils d’ici 2027 en acquérant des appareils qui permettent de couvrir les nouvelles lignes. L’objectif est d’ajouter au moins 2 novelles destinations par an en fonction de l’élargissement de la flotte. Après l’Angola et le Kenya, la Mauritanie, les Emirats arabes unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France sont dans le viseur de la compagnie.
Pour mener à bien son plan, Asky pourra s’appuyer sur son actionnariat diversifié et surtout sur son partenariat stratégique et capitalistique avec Ethiopian Airlines, le leader du secteur du transport aérien africain qui assure la gestion de la première compagnie aérienne ouest-africaine.
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Les compagnies aériennes africaines renforcent donc leurs flottes pour tirer profit des potentialités énormes encore non exploitées du marché de transport aérien africain. Toutefois, disposer d’une flotte de taille critique ne suffira pas à dominer le ciel africain. Et pour cause, les transporteurs africains doivent aussi faire face aux compagnies étrangères au continent qui disposent de flottes beaucoup plus importantes et modernes, et qui sont financièrement beaucoup plus solides. C’est le cas notamment des compagnies des pays du Golfe, notamment Emirates et Qatar Airways qui affichent leurs ambitions en étendant leurs réseaux sur le continent et en nouant des stratégies pour contrôler des compagnies et des aéroports du continent. C’est le cas du Qatar qui devrait prendre une participation de 49% de RwandAir, tout en contrôlant le nouvel aéroport de Kigali en construction.
Outre ces compagnies, il y a aussi la compagnie la plus dynamique sur le continent, Turkish Airlines. Avec 83,4 millions de passagers transportés en 2023, elle figure parmi les plus grandes compagnies aériennes du monde. Au niveau du continent africain, avec 62 destinations dans 41 pays, elle est la compagnie la plus présente sur le continent, devant même les grandes compagnies aériennes africaines comme Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc…
C’est dire que la concurrence sera très rude et que si disposer une flotte importante sera un atout, elle ne sera pas suffisante pour gagner la bataille du ciel. Il faudra être compétitif pour être rentable et offrir des qualités de services irréprochables pour se hisser au niveau des grands pavillons.