Ramadan en Afrique du Nord: les pires et les moins pires systèmes de transport urbain

systèmes de transport public.

Le 18/03/2025 à 17h26

Alors que le Ramadan exacerbe les défis de mobilité, une étude réalisée par The International Association of Public Transport révèle les profondes disparités des transports publics en Afrique du Nord. Entre réseaux intégrés et chaos urbain, l’accessibilité devient un marqueur d’inégalités sociales.

Tunis, Rabat, Casablanca, Alger, Sfax, Le Caire, Ouargla …dans chacune de ces villes d’Afrique du Nord, le Ramadan redessine les rythmes urbains. Ainsi, les systèmes de transport public deviennent un miroir des enjeux socio-économiques et culturels de la région. Entre surcharge horaire, accessibilité inégale et pression financière, analysons, à partir du 7th MENA Transport Report, récemment publié par l’Union Internationale des Transports Publics (UITP), les performances des réseaux de transport de villes nord-africaines, en mettant en avant leurs forces et faiblesses.

Comme le souligne Mohamed Mezghani, secrétaire général de l’UITP, «cette nouvelle édition du MENA Transport Report, comme ses prédécesseurs, vise à fournir un aperçu complet des progrès et des tendances qui façonnent le paysage de la mobilité dans la région. Cette édition élargit son champ d’application, couvrant les systèmes de transport public dans 40 villes de 14 pays de la région MENA. Elle fournit également une analyse comparative plus approfondie et des recommandations sur mesure visant à aider les villes à évoluer vers des systèmes de transport public durables, efficaces et plus accessibles

L’un des principaux constats qui se dégage dans l’analyse des données de ce rapport est que les disparités d’accessibilité des transports publics en Afrique Nord reflètent des choix stratégiques et des réalités urbaines contrastées. Le rapport relève également qu’un certain nombre de villes, notamment algériennes, malgré des investissements lourds (7 réseaux de tramway), pâtissent d’un manque de coordination entre modes de transport. Or sans intégration multimodale, même les systèmes les plus modernes échouent.

Les systèmes les plus et les moins accessibles

Selon le rapport, Tunis, Rabat-Salé-Témara et Casablanca ont les systèmes de transport public les plus accessibles. Dans le contexte du rapport UITP, l’expression «systèmes de transport public les plus accessibles» englobe trois dimensions clés: l’accessibilité géographique, la diversité de l’offre et l’abordabilité sociale.

Tunis et Rabat-Salé-Témara se distinguent avec 56,4 % et 48,9 % de leur population ayant un accès pratique aux transports, contre 21,8 % en Égypte. Entendez par «accès pratique aux transports» la proximité des arrêts (moins de 500 mètres à pied pour les bus/BRT, 1 km pour les tramways/métros). Dans ces localités, l’intégration multimodale (tramway, bus, BRT) couvrant un territoire relativement plus large. Casablanca, par exemple, combine un tramway (72 km) et un réseau de bus dense (91 véhicules/million d’habitants), réduisant les «déserts» de mobilité.

Pour ce qui est de l’abordabilité sociale, ces systèmes de transport affichent des coûts plus adaptés au pouvoir d’achat local. Tunis affiche un tarif minimal de tramway à 0,54 dollar (PPP ajusté), soit seulement 0,54% du salaire mensuel moyen, contre 8,23 % au Caire.

Rabat-Salé-Témara et Casablanca présentent des modèles d’abordabilité intermédiaires, reflétant les disparités économiques au Maroc. À Rabat, le tarif minimal du tramway s’élève à 1,45 dollar (PPP ajusté) pour un trajet, tandis qu’un pass mensuel coûte environ 5,5% du salaire moyen (estimation basée sur un revenu mensuel moyen de 3. 800 dirhams). Une proportion qui reste inférieure à la moyenne régionale, grâce à des subventions publiques ciblées.

Casablanca affiche des tarifs légèrement plus élevés: 1,94 dollar (PPP ajusté) pour le tramway et 1,21 dollar pour le bus. Toutefois, son BRT, à 1,94 dollar, reste accessible, selon le rapport. Ces villes optimisent ainsi l’équité spatiale (desserte des quartiers périphériques) et l’inclusivité économique, cruciales pendant le Ramadan où les déplacements accrus exigent des systèmes résilients et peu coûteux.

Accessibilité: entre progrès et fractures urbaines

Comme relevé plus haut, Tunis et Rabat-Salé-Témara émergent comme des modèles d’intégration urbaine, avec des réseaux de tramway respectivement dense à 21 km et 14 km par million d’habitants, soutenus par une offre multimodale (tram, bus) qui limite la dépendance à la voiture individuelle (175 véhicules pour 1.000 habitants en Tunisie). Ces deux systèmes bénéficient d’une couverture territoriale optimisée, permettant aux populations d’accéder facilement aux transports. Casablanca, bien que dotée d’un tramway moins dense (9 km par million d’habitants, selon le rapport), pallie cette faiblesse grâce à un réseau de bus dense de 91 véhicules par million d’habitants et un BRT émergent, illustrant une approche pragmatique de la mobilité.

C’est le lieu de faire la nuance entre longueur d’un réseau de transport public et sa densité. La longueur brute du tramway de Casablanca (72 km) masque une réalité: rapportée à sa population (7,7 millions d’habitants pour Casablanca-Settat), sa densité n’est que 9 km par million (72÷7,7). Cet indicateur, calculé en divisant la longueur du réseau par le nombre d’habitants (en millions), révèle une accessibilité relative. Comparé à Tunis (21 km/million pour 2,9 millions d’habitants), Casablanca offre moins de tramway par citadin, malgré un réseau absolu plus long.

Mettre en avant la densité du réseau (km/million d’habitants) est crucial pour évaluer l’efficacité des transports publics pour deux raisons. Cela contextualise les investissements infrastructurels. En neutralisant l’effet de la taille des localités, elle permet des comparaisons équitables. Alger, par exemple, dispose de 23 km de tramway pour 3,3 millions d’habitants, soit 7 km/million, révélant un effort d’investissement moindre comparé à Tunis (21 km/million).

Cette métrique anticipe les risques de saturation: à Casablanca, chaque kilomètre de tramway dessert 111.000 habitants, contre 48.000 à Rabat, ce qui alerte sur la pression accrue sur les infrastructures et les alternatives. En période de Ramadan, cette réalité aggrave les défis: une faible densité force les usagers à multiplier les correspondances ou à recourir à des modes moins confortables (bus bondés), augmentant la fatigue physique des jeûneurs. Ainsi, au-delà des chiffres bruts, la densité éclaire les décideurs sur les besoins réels et l’urgence d’adapter les réseaux aux réalités démographiques.

Pour ce qui est des systèmes de transport public les moins accessibles, Le Caire (Égypte), Alexandrie et Ouargla (Algérie) incarnent les lacunes criantes de la région. Selon le rapport, au Caire, seulement 21,8 % des Égyptiens jouissent d’un accès pratique aux transports. Le métro du Caire, pourtant l’un des plus étendus (100 km de réseau), atteint des niveaux de saturation record (40 trajets annuels par habitant), tandis que les bus, malgré une flotte imposante (368 véhicules par million d’habitants), ne parviennent pas à absorber une croissance démographique exponentielle. Ouargla, malgré son tramway récent et sa densité de 14 km par million d’habitants, voit son potentiel limité par un taux de motorisation élevé (93 voitures pour 1.000 habitants), symptôme d’un réseau perçu comme inefficace ou mal connecté.

Cette analyse met en lumière l’urgence, pour les villes moins performantes, d’articuler investissements techniques et stratégies inclusives pour répondre aux attentes des usagers, notamment pendant le Ramadan, où la mobilité devient un enjeu de bien-être collectif.

Entre stress et fatigue

Pendant le Ramadan, l’expérience des usagers des transports publics se polarise entre systèmes de transports les plus et les moins éprouvants. Le Caire incarne la pire combinaison: un métro saturé, des bus surchargés (368 véhicules pour 22 millions d’habitants) et des retards structurels, amplifiés par la ruée pré-iftar où des milliers de jeûneurs se pressent dans des infrastructures inadaptées. Alger, malgré un métro moderne (48 rames/million d’habitants), pâtit d’un réseau tronçonné (7 km/million d’habitants), imposant aux usagers des correspondances épuisantes. En cas de températures élevées, cela aggrave la déshydratation.

À l’inverse, Rabat-Salé-Témara et Tunis illustrent comment un design urbain pensé pour le confort change la donne: leurs tramways qui affichent respectivement 19 et 21 km/million d’habitants et leurs tarifs accessibles (1,45 dollar à Rabat, 0,54 dollar à Tunis) fluidifient les déplacements, limitant les attentes post-iftar. Sfax (Tunisie) se distingue, également, par un réseau de bus dense (49 trajets/habitant/an) et un pass mensuel symbolique (0,27 dollar, soit 0,27 % du salaire moyen), offrant une alternative inclusive aux populations précaires.

La dimension santé publique reste toutefois négligée. Le rapport cite Dubaï (hors Afrique du Nord) en exemple d’intégration des bus climatisés, pourtant cruciaux en période de jeûne. L’absence généralisée d’ergonomie (sièges adaptés, horaires étendus) expose les usagers à une fatigue accrue, rappelant que la mobilité n’est pas qu’une question logistique, mais aussi de dignité humaine. Ces contrastes soulignent l’urgence, pour les villes d’aligner infrastructures et politiques sociales sur les besoins physiologiques spécifiques du jeûne.

En ce Ramadan 2025, les systèmes de transports en Afrique du Nord oscillent entre modernité et archaïsme. Si Tunis, Rabat ou Sfax illustrent des avancées, Le Caire et Alger rappellent l’urgence d’adapter les réseaux aux réalités sociales et sociétales. L’enjeu dépasse la mobilité: c’est une question de justice spatiale, de santé publique et de résilience économique.

Les villes d’Afrique du Nord en chiffres

VillePaysPopulationTaux de motorisation (voitures/1000 hab.)Réseau transports publics (km/million hab.)Flotte transports publics (véhicules/million hab.)Utilisation (trajets/an/hab.)
AlgerAlgérie3 282 979405Métro : 6;
Tram : 7;
Métro : 48;
Tram : 12;
Bus : 12;
Métro : 14;
Tram : 21;
OranAlgérie2 118 603125Tram : 14Tram : 22;
Bus : 1 571;
Tram : 5;
ConstantineAlgérie1 291 579155Tram : 14;Tram : 40;
Bus : 78;
Tram : 6;
Sidi Bel AbbèsAlgérie713 377128Tram : 19;Tram : 42;Tram : 31;
OuarglaAlgérie708 46393Tram : 14;Tram : 33;Tram : 56;
MostaganemAlgérie922 40581Tram : 15;Tram : 27;-
SétifAlgérie1 866 84570Tram : 8;Tram : 14;Tram : 3;
CasablancaMaroc7 700 000-Tram : 9; BRT : 3;Tram : 16;
BRT : 5;
Bus : 91;
Tram : 6;
Bus : 12,6;
Rabat-Salé-TémaraMaroc2 350 071183Tram : 14;Tram : 34;
Bus : 149;
Tram : 19;
Bus : 33,14;
AgadirMaroc1 430 000--Bus : 141;Bus : 33,56;
MarrakechMaroc4 900 000--Bus : 51;Bus : 11,22;
Le CaireÉgypte22 623 900-Métro : 4;Métro : 37;
Bus : 368;
Métro : 40;
Bus : -
AlexandrieÉgypte5 523 511-Tram : 6;Tram : 6;Tram : 14;
Bus : 13,76;
TunisTunisie2 900 000-Tram : 21;Tram : 12;
Bus : 151;
Tram : 13;
Bus : 30;
SfaxTunisie1 000 000---Bus : 49;

Source : Union Internationale des Transports Publics (UITP).

Par Modeste Kouamé
Le 18/03/2025 à 17h26