Ratings souverains 2024 des pays d’Afrique: les bien notés et les dégradés

Agences de notation.

Le 18/02/2025 à 17h21

Alors que l’Afrique renégocie sa place dans l’ordre financier mondial, le rapport 2024 du Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs révèle une fracture croissante entre pays réformateurs et États englués dans des crises structurelles, soulignant l’urgence d’une gouvernance économique renouvelée.

À l’heure où l’Afrique cherche à affirmer sa place dans l’architecture financière mondiale, le tout dernier rapport du Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) sur les notations souveraines de fin 2024 révèle un paysage contrasté. Si onze pays ont vu leur notation s’améliorer ou leur attente révisée positivement, six autres ont subi des dégradations, reflétant des défis structurels persistants. Analysons ces dynamiques, en décryptant les facteurs clés, les enjeux sous-jacents et les implications pour la gouvernance économique du continent.

Le second semestre 2024 a marqué une nette divergence dans les trajectoires de crédit des États africains. Les onze pays ayant connu une amélioration de notation ou d’outlook sont le Cap-Vert, le Congo, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, Eswatini, l’Éthiopie, le Ghana, la Tunisie, le Bénin, l’Afrique du Sud et le Togo. Pour ce qui est des six pays dégradés, il s’agit du Congo, le Gabon, le Kenya, le Mozambique, le Sénégal, et l’Ouganda. Comme on le constate, le Congo apparaît dans les deux listes car il a été upgradé par Fitch (sortie du défaut) mais dégradé par S&P et Fitch (sur d’autres émissions).

Le Ghana et l’Éthiopie, bien qu’améliorés, restent en défaut sélectif selon S&P. Pour ce qui est des dégradations du Kenya et du Sénégal, elles reflètent des vulnérabilités politiques et fiscales aiguës, malgré leur statut de marchés frontières dynamiques.

Ces dynamiques soulignent des enjeux clés: la dualité des notations pour le Congo, la persistance du défaut sélectif au Ghana et en Éthiopie malgré des progrès, et la vulnérabilité accrue du Kenya et du Sénégal face aux pressions fiscales. Ces mouvements, documentés par le MAEP et les agences Moody’s, S&P et Fitch, reflètent autant les réalités économiques que les biais perceptuels des marchés internationaux.

Les pays à la notation améliorée

Le Ghana, en défaut sélectif depuis 2023, a obtenu une amélioration de sa notation par Moody’s (de Caa3 à Caa2) et Fitch (de CCC à CCC+) après un accord de restructuration avec ses créanciers obligataires. Cette révision reflète une « confiance accrue dans la capacité du gouvernement à stabiliser sa dette », selon le rapport. Toutefois, S&P maintient le pays en CC+, soulignant que le défaut technique persiste malgré les avancées. L’Éthiopie, quant à elle, passe de CCC à CCC+ (S&P) grâce à des réformes fiscales et un dialogue renoué avec le FMI.

La Côte d’Ivoire (S&P : BB- à BB) et l’Égypte (Fitch : B- à B) illustrent les bénéfices des ajustements macroéconomiques. Abidjan a consolidé sa position via une croissance soutenue (6,2 % en 2024) et une gestion prudente des dépenses publiques. Le Caire a apaisé les craintes sur sa balance des paiements grâce à des privatisations et un accord élargi avec le FMI. « Ces notations traduisent une anticipation de réserves externes suffisantes pour couvrir les obligations à court terme », note le MAEP.

La Tunisie (Fitch: CCC- à CCC+) et le Cap-Vert (S&P: B- à B) ont bénéficié d’un score politique plus favorable. Tunis a évité un défaut en renégociant ses échéances avec l’Union Européenne, tandis que le Cap-Vert a diversifié ses sources de financement touristique. Cependant, ces améliorations restent précaires: «Les agences soulignent un risque élevé de rechute en cas de choc exogène», précise le rapport. Idem pour le Congo (Fitch: RD → CCC+), qui a temporairement apaisé les craintes de défaut grâce à des renégociations de dette.

Eswatini (Moody’s : B3 → B2) a capitalisé sur des avancées en matière de restructuration de dette. Enfin, le Bénin, l’Afrique du Sud et le Togo ont vu leurs perspectives révisées à la hausse (S&P et Moody’s), anticipant des réformes structurelles et une stabilisation macroéconomique.

Les pays dégradés

Le Kenya a subi une triple dégradation (Moody’s: B3 à Caa1 ; S&P: B à B- ; Fitch: B à B-), devenant l’exemple frappant des risques socio-politiques. Le retrait du Finance Bill 2024 sous la pression populaire a sapé les plans de consolidation fiscale, portant le ratio service de la dette/revenus à 69,6 %. «Moody’s a agi prématurément, contrairement à S&P qui a attendu des données consolidées», critique le MAEP, soulignant un biais dans l’évaluation de la stabilité politique.

Le Gabon (Fitch: B- à CCC+) et le Mozambique (S&P: CCC+ à CCC) paient le prix de l’incertitude post-putsch (Gabon) et des conflits armés (Mozambique). À Libreville, «l’administration militaire peine à convaincre sur sa capacité à relancer l’économie», note Fitch. À Maputo, la combinaison de dettes cachées et d’insécurité dans le nord a érodé la crédibilité fiscale.

Le Sénégal (Moody’s: Ba3 à B1 ; S&P: B+ à B) et l’Ouganda (Fitch: B+ à B) illustrent les conséquences des déficits budgétaires non maîtrisés. Dakar, malgré des perspectives pétrolières, voit sa dette augmenter (78 % du PIB en 2024), tandis que Kampala subit les contrecoups d’une inflation persistante (8,5 %) et d’un recul des investissements directs étrangers.

Au-delà des chiffres

Le rapport souligne un paradoxe : les upgrades sont souvent liés à une « confiance accrue dans les administrations », plutôt qu’à une amélioration tangible des fondamentaux. Par exemple, le Bénin (S&P : B à perspective positive) et le Togo (Moody’s: B3 stable) bénéficient d’un optimisme sur leurs réformes structurelles, malgré des dettes publiques élevées (55 % et 68 % du PIB respectivement). À l’inverse, les dégradations reflètent une défiance systémique, comme au Kenya où «l’incapacité perçue à gérer les tensions sociales a pesé plus que les indicateurs macro», analyse un expert cité par le MAEP.

Malgré un retour sur les marchés en 2024 (13,45 milliards USD émis), les taux d’intérêt ont doublé depuis 2021. Le Nigeria a émis 2,2 milliards USD à 9,625 % et 10,375 %, reflétant une prime de risque élevée. «Les sursouscriptions ne doivent pas masquer l’urgence de renégocier les termes», insiste le rapport, critiquant les syndicats bancaires qui maximisent leurs profits au détriment des États.

Les agences sont accusées de «subjectivité» dans leur appréciation des risques africains. La SEC américaine a sanctionné Moody’s, S&P et Fitch pour non-conformité dans la conservation des communications électroniques, soulevant des questions sur la rigueur des processus. «Ces faiblesses sont exacerbées en Afrique, où les cadres réglementaires sont moins solides», déplore le MAEP.

L’Agence africaine de notation, le contrepoids nécessaire

Dans le contexte qui prévaut, la création prochaine de l’Agence Africaine de Notation (AfCRA), prévue pour 2025, représente une réponse structurelle aux biais historiques des agences internationales. Conçue pour intégrer une expertise locale et une sensibilité aux contextes socio-économiques africains, l’AfCRA ambitionne d’offrir des «perspectives alternatives sur les défis uniques du continent», selon le rapport du MAEP.

Son potentiel réside dans sa capacité à combler les lacunes méthodologiques des agences traditionnelles, souvent accusées de sous-estimer les dynamiques de résilience ou de surévaluer les risques politiques. Toutefois, son crédit dépendra de son indépendance opérationnelle, notamment face aux pressions gouvernementales, et de sa rigueur dans l’analyse des données macroéconomiques.

Parallèlement, le rapport souligne trois axes prioritaires: une transparence accrue des agences, exigeant que les notations s’appuient sur des données exhaustives plutôt que sur des anticipations spéculatives, comme ce fut le cas avec la dégradation prématurée du Kenya par Moody’s; une négociation stratégique des émissions obligataires, où les États africains doivent exploiter les sursouscriptions – à l’image du Nigeria, dont l’Eurobond de 2,2 milliards USD a été sursouscrit 9 fois – pour renégocier des taux d’intérêt alignés sur leur profil de risque réel.

Enfin, une gouvernance renforcée des données, imposant aux agences de respecter des normes strictes de conservation des communications, y compris dans les juridictions où les cadres réglementaires sont fragiles. Ces mesures, combinées à l’émergence de l’AfCRA, pourraient rééquilibrer les termes du dialogue financier entre l’Afrique et les marchés internationaux, réduisant ainsi le coût structurel de la dette souveraine.

Les dynamiques de notation en Afrique en 2024 révèlent une tension entre les progrès réels et les perceptions externes. Si les upgrades traduisent une reconnaissance des réformes, les dégradations rappellent la vulnérabilité aux chocs politiques et climatiques.

La création de l’AfCRA et l’adoption du Pacte pour l’Avenir à l’ONU offrent une lueur d’espoir, mais leur succès dépendra de la capacité des États à conjuguer discipline fiscale et innovation institutionnelle. Comme le résume le rapport du MAEP, l’Afrique doit écrire sa propre narrative financière, sans dépendre des prismes externes.

Le point sur les pays

PaysAgence et notationAmélioration (A) ou dégradation (D) de la notation
Cap-Vert S&P : B-BA
CongoFitch : RDCCC+A
Côte d’Ivoire S&P : BB-BBA
Égypte Fitch : B-BA
Eswatini Moody’s : B3B2A
ÉthiopieS&P : CCCCCC+A
GhanaMoody’s : Caa3Caa2 ;
S&P : CCCC+ ;
Fitch : CCCCCC+;
A
TunisieFitch : CCC-CCC+A
BéninS&P : stablepositiveA
Afrique du Sud S&P : stablepositiveA
TogoMoody’s : negativestable ;
S&P : stablepositive ;
A
CongoS&P : BC ;
Fitch : CCC+RD ;
D
Gabon Fitch : B-CCC+D
Kenya Moody’s : B3Caa1 ;
S&P : BB- ;
Fitch : BB- ;
D
KenyaMoody’s : B3Caa1 ;
S&P : BB- ;
Fitch : BB- ;
D
Mozambique S&P : CCC+CCCD
SénégalMoody’s : Ba3B1 ;
S&P : B+B ;
D
Ouganda Fitch : B+BD

Source : Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP).

Par Modeste Kouamé
Le 18/02/2025 à 17h21