RDC: suspension des exportations de cobalt, une arme à double tranchant

La République démocratique du Congo détient 50% des réserves mondiales de cobalt et produit 70% de l'offre.

Le 10/03/2025 à 08h37

La République démocratique du Congo, confrontée à la chute des prix du cobalt, a récemment suspendu pour quatre mois toute exportation de ce minerai stratégique dont elle est le premier producteur mondial, jouant d’une arme potentiellement à double tranchant.

La mesure inattendue pourrait éloigner de la RDC de potentiels investisseurs mais aussi inciter les acheteurs, ultra-dépendants des ressources du grand pays d’Afrique centrale, à trouver des alternatives, mettent en garde certains spécialistes.

Selon l’Institut américain d’études géologiques (USGS), la RDC a fourni en 2024 76% de la production mondiale de cobalt, minerai essentiel notamment à la fabrication des batteries des véhicules électriques et dont la demande a explosé depuis 2000.

Le gouvernement congolais a justifié sa décision par la nécessaire «stabilisation du marché du cobalt (...) face à la surabondance de l’offre sur le marché international», laquelle ces trois dernières années a divisé par quatre les prix, au plus bas depuis huit ans.

Cette surabondance «est surtout due à l’augmentation de l’offre de minerai provenant de RDC», explique à l’AFP Robert Searle, analyste du cabinet Fastmarkets, spécialisé dans les matières premières.

L’offre s’est «particulièrement accrue ces deux dernières années», notamment de la part de l’entreprise chinoise CMOC (China Molybdenum), l’un des principaux producteurs mondiaux de cobalt, qui exploite deux des plus grandes mines du monde - Tenke Fungurume et Kisandu - en RDC, poursuit-il.

Par ailleurs, le cobalt est un sous-produit du cuivre, dont les cours élevés ont dopé l’extraction, alimentant ainsi l’excès d’offre en cobalt, selon les experts.

Enfin, les fabricants, notamment chinois, montrent un intérêt croissant pour des batteries sans cobalt, dites LFP (Lithium-Fer-Phosphate), moins performantes mais meilleur marché, réduisant la demande.

«Criminalité organisée»

La RDC figure parmi les 15 pays les moins développés du monde et en 2024 près de trois quart des Congolais vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale. Pourtant le sous-sol du pays, souvent qualifié de «scandale géologique», est l’un des plus riches de la planète.

En 2023, le secteur minier a contribué à 70% de la croissance économique du pays. Mais il est gangréné par une contrebande chronique, des réseaux criminels et de corruption, une situation qu’est venue aggraver la résurgence en 2021 d’un conflit dans les régions minières orientales des Kivu.

La production de cobalt, principalement extrait des mines de la province du Katanga (sud-est) est épargnée par ce conflit qui fait rage à plus de 1.000 km de là.

Mais sa chaîne d’approvisionnement est elle aussi «entachée par des niveaux complexes de criminalité organisée», notamment «l’exploitation minière illégale, la contrebande et la collusion entre mineurs illégaux, bandes criminelles organisées et acteurs étatiques», notait en juin 2024 Oluwole Ojewale, chercheur à l’Enact, un observatoire de lutte contre le crime organisé transnational en Afrique.

En 2019, le gouvernement congolais a créé une autorité de régulation des minerais stratégiques, l’Arecoms, et tenté de réglementer le secteur des mines artisanales en y interdisant notamment le travail des enfants et femmes enceintes ou en imposant des études d’impact environnementales ainsi que des mesures de traçabilité.

Il a en outre confié le monopole de la commercialisation du cobalt issu d’extraction artisanale et semi-industrielle (ASM) à une entreprise publique, l’EGC. Un récent décret, fin février, a prolongé ce monopole, jamais réellement appliqué.

«Risques importants»

«L’Etat n’a pas la capacité de contrôler et de faire respecter les règles» qu’il édicte, constate Oluwole Ojewale. Et les ONG continuent de dénoncer emploi des enfants, conditions de travail dangereuses et corruption dans les mines artisanales.

La part du cobalt issue de l’extraction artisanale est «très difficile à évaluer précisément», selon Robert Searle, qui estime qu’elle a chuté ces dernières années et représente entre 3% et 5% de la production totale en 2024.

On peut «raisonnablement dire» que l’extraction artisanale, potentiellement exportée illégalement, «n’est pas responsable de l’excédent d’offre».

La suspension des exportations a commencé à faire remonter les prix, particulièrement sur le marché chinois. La Chine dispose de stocks mais les entreprises les estiment insuffisants pour couvrir les quatre mois de suspension et, faute de fournisseurs alternatifs, les prix pourraient s’emballer au 2e trimestre, estime Robert Searle.

Mais cette politique comporte des risques pour la RDC, prévient l’analyste. Cette interdiction «a pris par surprise» les entreprises chinoises ayant «investi des milliards de dollars dans l’industrie minière congolaise» et «pourrait freiner des investissements supplémentaires». Mais aussi refroidir les potentiels investisseurs occidentaux que la RDC tente d’attirer.

En outre, «une hausse des prix du cobalt et des perturbations (d’approvisionnement) pourraient entraîner une plus grande utilisation de batteries avec des technologies utilisant moins de cobalt ou des batteries LFP» sans cobalt dans les prochaines années, souligne M. Searle.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 10/03/2025 à 08h37