Depuis quelques années, un vent de souverainisme économique souffle sur l’Afrique notamment dans sa partie ouest. Ces pays dénoncent des contrats qui ne leur sont pas profitables et qui, trop souvent, sont signés dans des conditions opaques favorisées par une faible gouvernance par des régimes très souvent corrompus.
Il faut dire que les récriminations à l’encontre des multinationales sont nombreuses: paiements partiels de taxes et redevances, exonérations fiscales indues, absence de contrôle sur les quantités extraites,… Autant de griefs qui entrainent des manques à gagner financier importants pour les pays africains.
Face à cette situation, plusieurs gouvernements, notamment en Afrique de l’Ouest, ont adopté des stratégies fondées sur une plus forte souveraineté sur leurs ressources naturelles, notamment les minerais (or, lithium, uranium…) et les hydrocarbures. L’objectif est d’établir des partenariats plus équitables permettant aux pays africains de profiter réellement de leurs ressources naturelles.
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Pour y arriver, les gouvernements ont adopté des méthodes différentes allant des renégociations des contrats déjà signés avec des multinationales aux nationalisations, en passant par des modifications des codes d’investissements très favorables aux multinationales.
Reste que cette volonté se heurte logiquement aux réticences des multinationales opposées à la perte d’avantages offerts par des contrats qui leurs sont globalement très favorables.
Ces multinationales ont alors tendance à refuser les renégociations de ces contrats qu’elles ont préalablement pris le soin de verrouiller. Des situations qui ne laissent souvent aux pays africains à opter pour des méthodes plus radicales en changeant les codes miniers avec effet rétroactif, allant même jusqu’à la nationalisation des exploitations des multinationales.
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Des situations qui sont sources de litiges internationaux et qui peuvent causer des préjudices réputationnels aux pays adoptant les méthodes radicales. Ainsi, les bras de fer entre Etats africains et multinationales font ressortir une problématique importante pour l’avenir du continent: comment concilier souverainisme, attractivité pour les investisseurs et bénéfices réels pour les populations locales.
En l’absence de solutions clés en main, du fait des idéologies et des intérêts divergents, les gouvernements des pays africains y vont chacun de sa méthode.
Mali: la méthode radicale
Le Mali, à l’instar de nombreux pays africains, souhaite profiter de ses ressources naturelles (or, lithium, bauxite, uranium…), notamment l’or dont il est actuellement le 3e producteur africain, derrière le Ghana et l’Afrique du Sud. Le précieux métal contribue à 25% du budget, assure75% des recettes d’exportation et contribue à hauteur de 10% du produit intérieur brut (PIB). Malgré ces données, les retombées de l’or demeurent faibles à cause des contrats signés par les précédents régimes et qui profitent essentiellement aux multinationales.
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Face à cette situation, le gouvernement actuel a décidé de modifier en 2023 le code minier dans le but d’accorder une partie plus importante du capital des entreprises exploitant les ressources minières à l’Etat malien et au secteur privé national. Ce code porte ainsi la part réservée à l’Etat malien et aux entreprises privées du pays à 35%, contre 20% auparavant. Le nouveau code augmente également les impôts perçus par l’Etat malien. Et pour corser le tout, la réforme initialement perçue comme non rétroactive a finalement été appliquée aux projets déjà existants.
Cette démarche a permis à l’Etat malien de porter sa part dans les mines de lithium de Bougouni et Goulamina à 30%, complété par 5% pour les acteurs locaux, après avoir revu les conventions minières. De même, la convention du projet aurifère Kobada a été revue en 2024. Ce code fixe la redevance minière à un taux minimum de 5% avec une augmentation progressive jusqu’à 9,5% en fonction des prix du minerai sur le marché mondial.
Suite à l’adoption du nouveau code, les revenus générés par le secteur minier malien se compose de dividendes au titre de sa participation de 30%, de diverses taxes et impôts revus à la hausse et d’une redevance minière sur la valeur de la production (5% minimum).
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Ce nouveau code a été combiné à un redressement fiscal des mines d’or qui a permis au gouvernement de mobiliser plus de 500 milliards de francs CFA (846 millions de dollars) en 2024 et table sur 750 milliards de francs CFA supplémentaires en 2025 au titre d’impôts et de redevances impayés.
Seulement, l’application de ce nouveau code, surtout sa rétroactivité, n’a pas été du goût des dirigeants des multinationales qui voyaient partir une partie de leurs importants profits générés par des contrats qui leur étaient profitables car signés dans des conditions opaques.
Face à la résistance, le gouvernement malien a utilisé méthode brute pour arriver à ses fins, en tout cas vis-à-vis de certaines multinationales qui refusent de perdre une partie des avantages acquises depuis de nombreuses années. C’est le cas notamment de Barrick Gold, dont le différend est loin d’être résolu. La multinationale canadienne, l’une des cinq plus grosse productrice d’or au monde, n’est pas d’accord pour passer au nouveau code minier.
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Le différend a poussé le Mali à arrêter quatre dirigeants de la filiale malienne, émettre un mandat d’arrêt contre Mark Bristow PDG de Barrick et la saisie de plus d’une tonne d’or sur le site de production. La multinationale a par la suite décidé de suspendre les exportations et la fermeture de la mine de Loulo-Gounkoto, le plus important du Mali, détenue à hauteur de 80% par Barrick Gold et 20% par l’Etat malien.
Conséquence, les autorités maliennes qui accusent Barrick de n’avoir pas versé des centaines de millions de dollars d’impôts et redevances, ont tout simplement décidé de prendre le contrôle du complexe aurifère de Loulo-Gounkoto, l’une des plus importantes mines d’or du monde, après la décision du canadien d’arrêter la production de la mine.
En juin dernier, la justice malienne a placé sous administration provisoire la mine et nommé un administrateur provisoire, marquant la prise de contrôle du complexe aurifère, six mois après la suspension des activités du complexe par Barrick Gold en janvier 2025 protestant contre le blocage de ses exportations et la saisie de plusieurs tonnes d’or par le gouvernement malien.
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Ce conflit a ralenti la production empêchant la multinationale de tirer profit de la flambée du cours de l’or qui s’est établi à 3.761,81 dollars l’once le vendredi 26 septembre. En 2024, Loulo-Gounkoto, la plus grande mine d’or du Mali, a produit plus de 20 tonnes.
Et dans ce différend avec Barrick Gold, tous les coups sont permis. Dans sa tentative de porter l’estocade à la multinationale canadienne, le gouvernement malien n’a pas trouvé mieux que de débaucher Hilaire Diarra, un haut dirigeant de Barrick Gold, ancien directeur général de la mine d’or de Barrick à Tongon, en Côte d’Ivoire, qui menait les négociations avec le gouvernement malien.
Hilaire Diarra a rejoint la présidence malienne en tant que Conseiller spécial du président Assimi Goïta. Une décision qui porte un coup à la multinationale qui lutte pour conserver le contrôle de son complexe aurifère de Loulo-Gounkoto.
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Face à cette situation, Barrick, tout en se disant ouverte au dialogue avec les autorités maliennes, tente de faire valoir ses droits devant un tribunal arbitral international. La multinationale a déposé auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale une demande de mesures conservatoires.
Burkina Faso: changer les règles du jeu pendant le jeu
Dans le sillage de la bataille que mène les autorités maliennes, le Burkina Faso tente de reprendre en main ses ressources naturelles, notamment l’or dont il est l’un des cinq premiers producteurs d’Afrique.
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Si le président Ibrahima Traoré n’a pas opté pour la solution radicale des retraits de permis miniers, il a choisi le changement des règles du jeu. Et cela passe par l’augmentation de la redevance et surtout de l’augmentation de la participation de l’Etat dans le capital des projets miniers.
Ainsi, selon les dispositions du code minier de 2024, et du décret d’application adopté en avril 2025, l’Etat burkinabè peut acquérir une participation «d’au moins 30% pour lui et/ou le secteur privé national, à titre onéreux», en plus de sa participation gratuite de 15% de départ. Autrement dit, le pays se donne les moyens juridiques pour détenir 45% du capital des projets miniers du pays. L’expression à «titre onéreux» ne dépend pas de la valeur marchande de la mine, mais des dépenses engagées en exploration et en étude de faisabilité.
Toutefois, contrairement au Mali, la rétroactivité de la loi n’est pas envisagée. «Les permis d’exploitation et les autorisations d’exploitation des mines et des autres substances des carrières en cours de validité et disposant d’une convention minière dument signée, restent soumis, pour leur durée restante, sans excéder cinq ans, et pour les substances pour lesquelles ils ont été délivrés, aux dispositions des textes législatifs et réglementaires ayant présidé à leur délivrance», indique l’alinéa 2 de l’article 306 du nouveau code minier entré en vigueur en 2024.
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Seulement, en s’appuyant sur l’alinéa 7 de l’article 306 du code minier, le gouvernement burkinabè peut légalement entreprendre une renégociation des conventions minières en cours, même avant leur expiration, ce qui inclut potentiellement les permis déjà attribués.
Ainsi, l’australien West African Resources qui exploite la mine d’or de Kiaka a reçu, deux mois après avoir coulé son premier lingot d’or, un courtier du ministère de l’Énergie, des Mines et des Carrières, Yacouba Zabré Gouba, exprimant la volonté de l’Etat burkinabè de «souscrire, à titre onéreux», 35% supplémentaire dans le capital de l’entreprise exploitant la mine de Kiaka. La mine est contrôlée à hauteur de 90% par la compagnie minière australienne, l’Etat burkinabè n’en détenant que le reliquat. Cette mine pourrait produire annuellement plus de 7 tonnes d’or sur une durée de vie de 20 ans.
Au-delà, c’est la nationalisation des mines d’or qui semble être l’objectif des dirigeants burkinabè. «Toutes les mines d’or sont inscrites actuellement dans notre agenda (…). Je ne comprends pas pourquoi on sait exploiter l’or et qu’on doit laisser des multinationales venir exploiter notre or. On va le faire nous-mêmes», a déclaré le président Ibrahima Traoré.
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Dans cette optique, le gouvernement burkinabè a acquis, en 2024, pour environ 90 millions de dollars les mines d’or de Boungou et Wahgnion. La gestion de ces deux mines a été confiée à la Société de Participation minière du Burkina (Sopamib).
En attendant, les principales mines aurifères du pays sont contrôlées par Endoavour Mining (Royaume Uni), Orezone Gold (Canada), Lamgold (Canada)et West African Resources (Australie).
Guinée: retrait des permis miniers, nationalisation…
La Guinée dispose des plus grandes réserves mondiales de bauxite (plus d’un tiers des réserves mondiales) et de fer de haute qualité, d’importantes mines d’or, de diamant, d’uranium, de nickel, de graphite, de pétrole, de phosphate, de manganèse,…
Autant de ressources qui ont fait que la Guinée est considérée comme un «scandale géologique». Malgré ces importantes ressources, le pays n’en tire pas profit et figure parmi les plus pauvres du monde. Une situation qui s’explique par la faible exploitation de ces ressources et leur impact négligeable sur le bien-être des Guinées à cause notamment de la succession de régimes dépourvus de visions stratégiques et/ou corrompus.
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Conséquences, depuis des décennies, des multinationales ont acquis des titres miniers, souvent dans le but de spéculer sans investir dans leur exploitation. C’est le cas particulièrement des minerais de fer de Simandou. Cela fait plus de 30 ans que les multinationales abusent, avec la complicité des différents régimes, empêchant le pays de tirer profit de ses richesses.
L’avènement de la junte militaire dirigée par le général Mamadi Doumbouya, inspiré certainement par les juntes souverainistes de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), devrait changer la donne.
Ainsi, dès ses premiers mois au pouvoir, il a affiché sa volonté d’assainir le secteur minier en mettant en pratique sa politique de refonte radicale du secteur pour défendre les intérêts nationaux via trois axes majeurs. D’abord, depuis mai 2025, le gouvernement guinéen a procédé à l’annulation massive de permis miniers jugés non-conformes. Plus de 170 titres d’exploration et d’exploitation minière, dont 129 permis de recherche aurifères, ont été retirés par décret, après mise en demeure des titulaires restés inactifs. Le gouvernement guinéen s’est appuyé sur le code minier pour sanctionner le non-démarrage de travaux, le non-paiement de redevances ou l’abandon de concessions. L’objectif des autorités est de mettre fin à une logique d’accaparement improductif de permis miniers.
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Dans ce cadre, début août, le gouvernement a retiré la concession de bauxite de Guinea Alumina Corporation (GAC) du géant émirati Emirates Global Aluminium. Le président Mamadi Doumbouya a purement et simplement annulé ce permis octroyé en 2005, reprochant à la filiale émiratie des violations de la convention minière (retards d’investissement, engagements non tenus). Désormais, c’est la société publique Nimba Mining Company (NMC) qui est en charge de l’exploitation de ce projet. Une nationalisation qui est un tournant politique visant à faire profiter le pays de la bauxite dont il est le premier exportateur mondial.
Par la suite, le gouvernement a décidé de réviser de nombreux contrats miniers signés par l’ancien régime. La Banque africaine de développement (BAD) a apporté son soutien au régime pour la révision d’un ensemble de 18 contrats jugés «léonins» et entachés de corruption.
Enfin, plusieurs mesures ont été décidées pour contrôler une plus grande part de la chaîne de valeur du secteur. Le régime exige aux investisseurs un mieux-disant local. Une loi de septembre 2022 impose un contenu local minimal en main-d’œuvre, sous-traitance et financement guinéens dans chaque projet minier. De même, les compagnies minières sont tenues de construire des raffineries pour transformer localement les ressources naturelles (bauxite, minerai de fer,…).
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Ces décisions ont poussé les géants du secteur à agir et éviter les foudres du régime. En 2022, le président Doumbouya a forcé deux consortiums rivaux– Rio Tinto Simfer (blocs 3 et 4) et Winning Consortium (blocs 1 et 2)- à s’allier dans une co-entreprise avec l’Etat guinéen pour construire le chemin de fer et le port d’exportation des minerais du gigantesque projet Simandou (Sud-est).
L’accord de 15 milliards de dollars signé par les deux consortiums prévoit, pour une fois, des pénalités sévères en cas de retard dans l’exécution des travaux avec la possibilité de retrait des permis.
Face à cette menace, les partenaires ont promis une première production fin 2025. Et le 14 septembre courant, le consortium a lancé les essais d’extraction du minerai de fer de Simandou, marquant une avancée concrète vers le démarrage d’exploitation prévue pour fin 2025. Au démarrage, il est prévu d’extraire jusqu’à 4.000 tonnes de minerais de fer par heure (34,45 millions de tonnes par an), puis jusqu’à 8.000 tonnes (69 millions de tonnes/an) lors de la seconde phase. Dès la première phase, la Guinée se hissera au 2e rang des producteurs de minerais de fer africain derrière l’Afrique du Sud, dépassant la Mauritanie. Durant la phase 2, elle se hissera au premier rang africain avec une production estimée à 70 millions de tonnes la classant au 7e rang mondial.
Parallèlement, selon le contrat, la transformation du minerai localement doit suivre avec la mise en place d’une aciérie dans un délai de deux ans à compter du démarrage effectif des opérations de commercialisation du minerai. Avec l’épée de Damoclès sur leur tête, les multinationales s’exécutent au grand bonheur de la Guinée qui attend depuis plus de trois décennies le démarrage de l’exploitation de Simandou.
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Des retombées importantes sont attendues de l’exploitation de ce méga-projet: infrastructures modernes (chemin de fer, centrale électrique, routes,…), création de plusieurs milliers d’emplois, développement des PME locales, transferts de compétences et de technologies,… L’exploitation du fer de Simandou devrait augmenter le PIB de la Guinée de 26% d’ici 2030, selon les projections du FMI.
En tout cas, le démarrage effectif de la production et de la commercialisation du projet Simandou sera un succès à mettre à l’actif de la junte guinéenne qui a su mettre la pression sur les géants du secteur des minerais de fer.
Au Niger: les nationalisations au menu
Le Niger aussi est engagé dans un processus visant à assurer davantage sa souveraineté sur ses ressources naturelles et n’hésite pas à procéder à des nationalisations. Le Niger dispose des ressources naturelles importantes dont l’uranium, l’or, les hydrocarbures…
Ainsi, Orano (ex-Areva) qui exploite l’uranium dans le nord du pays depuis 1971, fait face au tournant souverainiste impulsé par le régime militaire au pouvoir aggravé par les tensions politiques entre Paris et Niamey après le coup d’Etat ayant renversé l’ancien président Mohamed Bazoum en juillet 2023.
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«Face au comportement irresponsable, illégal et déloyal d’Orano, société détenue par l’Etat français, un Etat ouvertement hostile au Niger (…), l’Etat du Niger décide en toute souveraineté de nationaliser la Somaïr», ainsi a décidé le gouvernement nigérien le 19 juin 2025, ajoutant que les détenteurs d’actions bénéficieront d’une «indemnité» de compensation.
Bien avant cette décision, Orano, détenue à hauteur de 90% par l’Etat français, avait acté la perte de contrôle opérationnel de ses trois filiales nigériennes: Samaïr, Cominak et Imouraren. Orano avait perdu le permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, l’un des plus importants gisements d’uranium au monde avec des réserves estimées à 200.000 tonnes, en juin 2024.
Les pays d'Afrique de l'ouest souhaitent désormais mieux profiter de leurs importantes ressources aurifères. Nouveaux codes miniers plus favorables, nationalisation et renégociations des contrats signés sont engagés par les Etats.
Le groupe français a porté le différend devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), une organisation de la Banque mondiale basée à Washington. Orano a annoncé, le 26 septembre, qu’une décision en sa faveur a été rendue par le tribunal arbitral sur la mine Somaïr suite à sa nationalisation.
«Le tribunal arbitral a enjoint à l’État du Niger de ne pas vendre, ni céder, ni même faciliter le transfert à des tiers de l’uranium produit par la Somaïr retenu en violation des droits d’Orano, comme celui-ci le demandait», affirme l’entreprise dans un communiqué.
A l’ONU, le samedi 27 septembre 2025, le Niger a accusé la France de l’«entrainer dans des procès interminables pour arrêter l’exploitation et la vente» de son uranium. Ce minerai représente entre 15 et 20% des exportations de pays.
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Outre le différend avec Orano, le gouvernement nigérien a également nationalisé l’unique mine d’or du pays exploitée par le groupe australien McKinel Resources Limited, l’accusant de «graves manquements». «Au regard de graves manquements (et) dans l’optique de sauver cette entreprise hautement stratégique, l’Etat du Niger a pris la décision de nationaliser la SML SA», précise une ordonnance du chef du régime, le général Abdourahamane Tiani, lue à la télévision d’Etat.
Sénégal: renégociation à l’amiable
A l’instar des pays dirigés par des juntes militaires, le nouveau régime sénégalais, dans le cadre de sa politique souverainiste, a fait de la révision des contrats pétroliers, miniers et gaziers, signés par les anciens régimes, un objectif prioritaire. L’objectif de cette promesse faite bien avant son arrivée au pouvoir en avril 2024 est de rendre ces contrats plus favorables pour le Sénégal.
«Nous ne sommes ni pour des codes dissuasifs, ni permissifs qui font gagner à tout le monde sauf au peuple sénégalais», a souligné le Premier ministre Ousmane Sonko, expliquant que la question qui mérite d’être posée est celle de savoir «pourquoi l’Afrique est le seul continent qui ne profite pas de ses ressources naturelles».
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Seulement, si dans les autres pays de la région ce sont des méthodes radicales qui sont utilisées, au Sénégal, même si les autorités sont décidées à revoir les contrats signés avec les multinationales, elles privilégient la voie de la négociation. «Contrairement à ce que certains ont pu avancer, la logique n’a jamais été de venir raser tout, ou même nationaliser comme certains le pensent. La logique c’est de travailler de manière rigoureuse, méthodique», précise le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko.
Pour pousser les multinationales à renégocier, l’Etat du Sénégal a commencé d’abord par évaluer les contrats existants à travers des audits juridiques et économiques. L’objectif de cette évaluation est d’identifier les termes qui ne correspondent plus à l’intérêt du pays ou à ses cadres réglementaires actuels. Ensuite, il va identifier les clauses de renégociation, si elles existent, et les conditions pour la renégociation de certains termes essentiels des contrats. En clair, la révision desdits contrats dépendra pour beaucoup du langage contractuel précis à la base et des failles que les autorités sénégalaises y décèleront.
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Reste que négocier les contrats signés et appliqués depuis des années n’est pas facile. Cela dépend aussi du droit applicable en cas de différend. C’est dire qu’au cas où des failles ne sont pas trouvées dans le contrat, il est difficile de justifier la renégociation. Cela peut entrainer des différends et le recours à des arbitrages internationaux coûteux. Et en cas de rupture de contrats, les investisseurs peuvent aussi réclamer des dommages et intérêts.
Afin d’éviter des déconvenues lors des renégociations, le gouvernement sénégalais a installé, en août 2024, une commission d’experts, formés de hauts cadres de l’administration sénégalaise, d’experts dans les domaines pétroliers, minier, fiscal et économique, a été lancée, le 19 août 2024 en présence du chef du gouvernement.
L’exception ivoirienne
Contrairement aux autres pays ouest-africains francophones gagnés par le souverainisme, la Côte d’Ivoire, engagée dans une politique de diversification de son économie accordant une place stratégique au secteur minier, met l’accent sur des politiques attractives afin d’attirer les multinationales, notamment au niveau du secteur aurifère dont le potentiel du pays est énorme.
En effet, si les réserves aurifères prouvées du pays sont actuellement estimées à plus de 600 tonnes, les observateurs estiment que celles-ci sont beaucoup plus importantes.
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Et n’adoptant pas les politiques souverainistes des pays voisins, le pays tend à devenir un lieu de refuge des investisseurs du secteur qui font face aux climats des affaires qu’ils jugent difficiles et aux tensions dans les pays sahéliens.
Ainsi, la compagnie minière canadienne Fortuna Mining a quitté le Burkina Faso en cédant en avril sa mine d’or de Yaramoko à la société mauricienne Soleil Resources International pour environ 130 millions de dollars. Son PDG Jorge Ganoza, a dans un communiqué, avancé un «climat des affaires de plus en plus difficile». Des liquidités qu’elle compte utiliser pour investir en Côte d’Ivoire où elle exploite la mine aurifère de Séguéla.
De même, Endeavour Mining, premier producteur d’or en Afrique de l’Ouest, a réduit sa voilure au Burkina Faso pour se renforcer en Côte d’Ivoire. C’est le cas aussi pour Resolute Mining, qui a dû verser 160 millions de dollars dans le cadre d’un litige fiscal, a accéléré la diversification de ses opérations au niveau de la région en ciblant la Côte d’Ivoire.
D’ailleurs, l’attractivité de la destination Côte d’Ivoire a été mis en avant lors de l’édition 2025 de l’Africa Down Under, la conférence annuelle réunissant les compagnies minières australiennes actives en Afrique et les dirigeants des pays miniers, qui s’est tenue du 3 au 5 septembre 2025 à Perth (Australie). Durant l’évènement, le climat des affaires en Afrique de l’Ouest a dominé les débats et la Côte d’Ivoire a été plébiscitée comme une destination de premier plan pour l’investissement aurifère. Les investisseurs y ont expliqué qu’il n y a «pas de meilleur endroit au monde» pour construire une mine d’or. Quid alors de l’impact sur le pays et ses populations?
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Reste à savoir si la Côte d’Ivoire va continuer longtemps à offrir des conditions favorables aux investisseurs étrangers au détriment de ses intérêts alors que tous les pays de la sous-région sont engagés dans des politiques souverainistes visant à leur permettre de mieux tirer profit de leurs ressources naturelles, particulièrement aurifères dont les pays regorgent.
A ce titre, il faut souligner que dans la loi de finances 2025, le gouvernement ivoirien a introduit un relèvement de 2 points du taux de la redevance minière perçue sur les ventes d’or. Le nouveau code minier, en cours d’élaboration, vise à renforcer l’attractivité du pays auprès des acteurs miniers, le gouvernement ivoirien souhaite aussi «assurer l’équité dans la répartition de la richesse», selon le ministre Mamadou Sangafow-Coulibaly qui semble aller plutôt dans le sens des politiques souverainistes adoptées par certains pays de la région et qui pourraient se matérialiser par une hausse de la participation publique dans les mines exploitées par les multinationales.
Dans tous les cas, que ce soit la méthode radicale de nationalisation ou la renégociation, en passant par des codes miniers plus favorables aux pays africains, la révision des contrats peut entrainer des litiges et entrainer un préjudice réputationnel sur les marchés internationaux et dissuader de futurs investisseurs.
Le problème pour les pays africains est qu’avec les litiges, le recours à l’arbitrage international expose les Etats africains à de lourdes sanctions financières en cas de décision défavorable. Ce d’autant plus que le système d’arbitrage international, dominé par des tribunaux basés dans des pays occidentaux, est de plus en plus critiqué par les pays africains qui y voient des mécanismes biaisés en faveur des multinationales.
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Face à cette situation, certains pays du continent réclament des mécanismes alternatifs, régionaux ou multilatéraux, plus équilibrés. Pour y répondre, l’Union africaine a lancé des réflexions sur la mise en place d’un mécanisme africain de règlement des différends commerciaux pour réduire la dépendance à des juridictions basée aux Etats Unis, au Royaume Uni, en France…
Enfin, la nationalisation ou la prise de contrôle des mines n’est pas une garantie de succès pour les pays africains si l’opération n’est pas murie d’avance. Les pays africains engagés dans ce processus doivent développer les capacités locales, notamment des compétences humaines, investir dans la transformation locale, améliorer la gouvernance minière, garantir la transparence des contrats,…