Sénégal. Fonds Covid-19 détournés: les masques tombent, la colère monte

Un hygiéniste se repose à l'extérieur d'une zone de décontamination dans un centre de traitement du COVID-19 à Dakar le 26 juin 2020. AFP or licensors

Le 17/04/2025 à 15h46

VidéoDes chiffres qui donnent le tournis: 1.000 milliards de FCFA en partie évaporés, onze hauts responsables de l’État épinglés pour surfacturation et détournements entre 2020 et 2021. Ce 15 avril, la Cour des comptes a détaillé les manquements et malversations dans la gestion des fonds d’urgence Covid-19. Les Sénégalais exigent des comptes et que la justice sévisse contre les contrevenants.

L’affaire est sur toutes les lèvres. Les Sénégalais peinent encore à croire qu’au plus fort de la pandémie, alors que des malades luttaient pour survivre dans les hôpitaux, certains parmi ceux chargés de gérer les fonds d’urgence se seraient tout simplement mis plein les poches.

Mardi 15 avril, de hauts responsables ont été convoqués à la Division des investigations criminelles de la police judiciaire. Ils sont soupçonnés de détournement de deniers publics et de faux dans la gestion du fonds Covid-19.

Abdoulaye Thiam, chauffeur de taxi à Dakar, se souvient encore de ces jours sombres, où la pandémie avait cloué tout le pays au sol. Pour lui, l’indignation est immense: «On se rappelle tous comment était cette maladie, on l’a durement vécue. Nous, les taximen, étions tellement impactés… La Covid a tellement coûté à ce pays en termes de vies humaines et de sacrifices. On ne peut pas rassembler des fonds, les donner à des gens, et qu’ils se permettent de se servir», s’indigne-t-il.

Pape Balla Fall, acteur politique, partage cette même indignation. Pour lui, il est impératif que les citoyens s’impliquent pour exiger justice, «c’est l’argent de tous les Sénégalais. Nous avons cotisé, donc ce n’est pas normal que des gens le volent. Nous avons une justice, constituons-nous partie civile et laissons la justice faire son travail», plaide-t-il.

Mohamed Ka, commerçant et lui aussi victime collatérale des restrictions de l’époque, appelle les Sénégalais à la patience et à la confiance dans le travail de la justice :« On leur a confié nos sous, qu’ils nous en rendent compte! Que la justice agisse sans parti pris et sans suivre l’opinion dans son émotion. Que les enquêtes soient sérieuses, mais qu’au finish, que la main de la justice tape sans trembler», réclame-t-il.

Flash back

La justice sénégalaise a ordonné, en février 2023, l’ouverture d’enquêtes sur des cas présumés de «corruption et d’abus de fonction» dans la gestion de fonds anti-covid, après la publication d’un rapport de la Cour des comptes faisant état d’irrégularités. Cette enquête avait été ouverte après que, en mars 2020, face à la menace du coronavirus, le président Macky Sall a décrété l’état d’urgence et annoncé la création du Fonds «Force Covid-19», doté de 1.000 milliards de francs CFA pour soutenir l’économie, garantir l’approvisionnement du pays en produits pharmaceutiques et alimentaires.

Ce fonds a été alimenté par diverses sources: le Fonds monétaire international (264 milliards), la Banque mondiale (138 milliards), la Banque ouest-africaine de développement (26,7 milliards), la Banque islamique de développement (98 milliards), la Banque africaine de développement (60 milliards), ainsi que par la contribution volontaire des Sénégalais, qui a atteint plus de 10 milliards de francs CFA.

Cependant, des irrégularités massives ont été révélées dans la gestion de ces fonds. Le 15 avril, la Cour des comptes a publié un rapport mettant en lumière des cas de surfacturation, de détournements de fonds, de favoritisme et de falsification de listes des bénéficiaires. Par exemple, une surfacturation de plus de 2,7 milliards de FCFA sur le prix du riz acheté et distribué aux populations les plus démunies pendant le confinement a été constatée.

Onze personnes ont été épinglées dans le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Covid-19 dont Aliou Sow, Dage (direction de l’administration générale et de l’équipement) du ministère du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, pour une surfacturation sur le prix du riz de 2,7 milliards de FCFA.

Et la liste est longue. Mouhamadou Sène, Dage du ministère de la Jeunesse, pour une surfacturation sur le prix du gel hydro alcoolique de 41 millions de FCFA. Lamine Diallo, comptable de l’hôpital de Kaffrine, pour défaut de production des pièces justificatives de dépenses de 45 millions de FCFA. Léon Nzalé, DAGE du ministère de la Communication et de la Culture, pour défaut de justification de dépenses de 1 milliard de FCFA. Alassane Diallo, DAGE du ministère des Mines et de la Géologie, pour paiement de services non exécutés.

La Division des investigations criminelles a auditionné plus de 200 personnes et transmis un dossier de 400 kg au procureur. Parmi les personnalités convoquées dans le cadre de l’enquête sur la gestion des fonds Covid-19, Mamadou Ngom Niang, ancien Directeur de l’Administration générale et de l’Équipement au ministère des Sports, a été entendu par la Division des investigations criminelles et placé sous contrôle judiciaire après avoir payé une caution de près de 200.000 euros.

Les limiers ont sont loin d’avoir bouclé ce dossier. Et l’affaire promet plein de rebondissements. À suivre.


Par Mamadou Awa Ndiaye (Dakar, correspondance)
Le 17/04/2025 à 15h46