Dans un contexte mondial marqué par les inégalités d’accès aux vaccins, l’Égypte et le Sénégal consolident leur positionnement en tant qu’acteurs clés de la reconfiguration des politiques de santé africaines, aux côtés de pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, le Kenya et le Rwanda, déjà engagé dans des partenariats de production vaccinale.
À travers des investissements structurants dans la production locale de vaccins et des partenariats transcontinentaux stratégiques, ces pays renforcent leur influence sur l’agenda sanitaire continental. Ainsi, une analyse croisée des annonces récentes révèle comment cette dynamique s’articule autour d’un soft power sanitaire, combinant innovation technologique, autonomie stratégique et coopération multilatérale.
L’Égypte: hub biotechnologique à l’ambition continentale
Avec la récente signature du protocole d’accord entre EVA Pharma, DNA Script et Quantoom Biosciences, l’Égypte positionne son industrie pharmaceutique à l’avant-garde de la révolution des vaccins à ARN. La plateforme de production annuelle de 100 millions de doses, intégrant des technologies de synthèse enzymatique d’ADN (DNA Script) et de formulation d’ARNm (Quantoom), répond à un double objectif: la souveraineté technologique et le leadership régional.
En maîtrisant la chaîne de valeur «du numérique au biologique», l’Égypte réduit sa dépendance aux importations et s’aligne sur l’objectif du CDC Afrique de produire 60 % des vaccins localement d’ici 2040. Dr Riad Armanious, PDG d’EVA Pharma, souligne «ce partenariat va remodeler la sécurité sanitaire africaine et mondiale telle que nous la connaissons. Notre collaboration transcontinentale permettra aux patients de bénéficier de solutions de nouvelle génération, évolutives et polyvalentes qui transformeront ce qui prenait autrefois des années en un processus réalisable en quelques semaines. Ce n’est pas une promesse pour demain, c’est la réalité d’aujourd’hui: avec un site de fabrication de produits biologiques opérationnel produisant 100 millions de flacons et 1,5 milliard de doses de vaccins pour la santé animale déjà commercialisés.»
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Le projet, couplé à l’ambition égyptienne de fabriquer 385 millions de doses annuelles d’ici 2030, positionne le pays comme un fournisseur clé pour l’Afrique et le Moyen-Orient, renforçant son rôle dans les instances sanitaires panafricaines.
Cette initiative s’appuie sur un écosystème mature: EVA Pharma, avec ses 5.000 employés et quatre usines certifiées GMP, incarne une capacité industrielle rare sur le continent. Son centre d’innovation ARNm, combinant IA et biologie de pointe, symbolise une rupture technologique au service d’une diplomatie sanitaire proactive.
Le Sénégal: du savoir-faire historique à la puissance industrielle
À Diamniadio, le projet Madiba porté par l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) illustre une autre facette du soft power sanitaire: la capitalisation sur la légitimité historique pour bâtir une infrastructure moderne de 300 millions de doses annuelles. En effet, l’IPD est l’un des quatre producteurs mondiaux agréés par l’OMS pour fournir des vaccins contre la fièvre jaune aux agences onusiennes. Cette accréditation, fruit d’un savoir-faire historique (production depuis les années 1930), confère au Sénégal un statut de référence technique en Afrique. En capitalisant sur cette légitimité, l’IPD attire aujourd’hui des financements pour élargir sa production, transformant un héritage scientifique en levier d’influence sanitaire régionale.
Soutenu par un financement de 45 millions de dollars, ce projet s’inscrit dans une logique de résilience systémique. Rappelons qu’en tant que chef de file de la mobilisation pour le projet, l’IFC a structuré un financement de 45 millions de dollars, comprenant un prêt de 15 millions de dollars fait par lui-même et de 30 millions de dollars mobilisés auprès d’institutions du financement du développement partenaires — la Société américaine de financement du développement international (DFC) et la Banque africaine de développement (BAD).
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Ainsi, en diversifiant la production au-delà de la fièvre jaune, l’IPD veut combler un déficit critique: 99 % des vaccins utilisés en Afrique sont aujourd’hui importés. Dr Amadou Sall, directeur de l’IPD, rappelle que «ce partenariat nous rapproche de la souveraineté vaccinale» et souligne que l’enjeu est de s’assurer «qu’aucun Africain ne soit laissé pour compte dans l’accès à des solutions vitales.» L’appui de la Banque mondiale à l’Agence sénégalaise de régulation pharmaceutique renforce la crédibilité du pays comme pôle normatif, essentiel pour attirer des investisseurs.
Le Sénégal mise ainsi sur un modèle hybride, associant partenariats publics-privés (PPP) et garanties financières innovantes, pour concilier viabilité économique et impact sanitaire. En effet, les fonds d’IFC et les autres prêteurs s’accompagne d’une garantie de couverture des premières pertes fournie par le Mécanisme de financement mixte créé dans le cadre du Guichet de promotion du secteur privé (PSW) de l’Association internationale de développement (IDA). Un dispositif qui permet d’atténuer les risques associés à des projets transformateurs dans les pays IDA où il est difficile d’obtenir des possibilités de financement.
Le rôle catalyseur des partenariats internationaux
L’essor de ces deux hubs s’explique par une synergie entre ambitions nationales et appuis extérieurs. Ainsi, le fonds AVMA doté de 1,2 milliard de dollars, lancé lors du sommet de Paris en juin 2024, avec des contributions de la France (100 millions de dollars), de l’Allemagne (318 millions), du Royaume-Uni (60 millions), et le Canada (85 millions), aux côtés d’autres comme les Etats-Unis, la Norvège, le Japon et la Fondation Bill Gates, valide l’ancrage géopolitique de ces projets. Lors du sommet de Paris, le président français Emmanuel Macron annonçait que «ce fonds sera une brique essentielle pour bâtir un véritable marché africain du vaccin.»
Sur le volet des transferts technologiques, l’Égypte bénéficie du savoir-faire européen (DNA Script, Quantoom), tandis que le Sénégal s’appuie sur l’expertise de l’IPD et des garanties de l’IFC pour atténuer les risques. Ces collaborations, bien qu’asymétriques, permettent aux deux pays de contourner les barrières traditionnelles (brevets, coûts R&D) et de s’imposer comme intermédiaires entre l’Afrique et les partenaires globaux.
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En définitive, l’Égypte et le Sénégal incarnent une nouvelle génération de leadership sanitaire africain, où le soft power se construit par la maîtrise de technologies critiques et l’intégration dans des réseaux globaux. Leur succès dépendra de leur capacité à transformer ces avancées industrielles en leviers politiques durables, tout en veillant à ce que l’autonomie vaccinale profite à l’ensemble du continent.
Comme le souligne José Castillo, PDG de Quantoom Biosciences, ces collaborations, «s’attaquent aux inégalités mondiales en matière de santé en rendant les vaccins et traitements vitaux accessibles aux populations mal desservies». Reste à voir si cette ambition survivra aux réalités économiques et aux rivalités géostratégiques.