Des enfants africains squelettiques, affamés et parfois avec un gros ventre. Des images insoutenables d’un autre âge et qu’on croyait disparues sont malheureusement toujours d’actualité en Afrique où près de 20 millions de personnes sont toujours proches de la famine, notamment en Somalie, en Ethiopie et au Kenya. Pire encore, un Africain sur cinq ne mange pas à sa faim, et la majorité de la population, soit 61 %, souffre d’insécurité alimentaire modérée ou sévère selon les Nations unies.
La vérité c’est que le spectre de la faim, qui s’élargit en Afrique depuis 2015, a connu une aggravation avec l’arrivée de la pandémie du Covid-19 et la crise économique qui en a découlé, telles que les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire et l’augmentation des prix, lesquelles ont exacerbé les difficultés alimentaires dans le continent.
Ces difficultés ont cependant une vertu: celle d’avoir servi de leçons à de nombreux Etats africains qui ont décidé de produire par eux-mêmes ce que consomment leurs populations, notamment le blé. Un fantasme ? Pour bon nombre de pays, il s’agit bien d’une volonté réelle d’indépendance et ou de souveraineté alimentaire.
Des exemples de réussites inspirantes
C’est le cas notamment de l’Ethiopie, un pays dont l’histoire est ponctuée de famines. Ce dernier devrait passer du statut d’importateur de blé à celui d’exportateur net d’ici 2025-2026. Les résultats de cette volonté politique sont déjà impressionnants.
Ce pays d’Afrique de l’Etats, qui a augmenté de 18% la superficie semée en blé pour la porter à 2,3 millions d’hectares lors de la campagne 2022-2023, contre 1,9 million la précédente campagne grâce à la hausse des superficies irriguées, a récolté plus de 110 millions de quintaux de blé au premier semestre de l’année 2023 avec un excédent de 32 millions de quintaux par rapport à la consommation intérieure du pays.
S’inscrivant dans cette même dynamique, d’autres pays comme le Sénégal cherchent également à s’émanciper des importations de cette céréale. Le pays de la teranga va lancer, pour la première fois, la production de blé à partir du mois de novembre 2023 après des tests concluants sur des variétés locales dans les champs d’expérimentation de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) à Sangalkam et sur les terres de Bud Sénégal, dans la commune de Diamniadio, à une vingtaine de kilomètres de Dakar. La production, pour cette première phase, projetée sur un millier d’hectares, reste modeste mais c’est déjà un bon début.
D’autres pays n’ont pas attendu la crise Covid-19 pour essayer de s’affranchir du dictat des principaux producteurs mondiaux de blé en misant sur les nouvelles technologies et le capital humain.
Dans ce lot, figure le Maroc qui «tient une place centrale dans les efforts mondiaux de sécurité alimentaire, car il contrôle les plus grandes réserves de phosphate au monde (75% des réserves mondiales de roche phosphatée)», explique Doumou Khalid, analyste économique et financier, contacté par nos soins. Si le Royaume demeure encore un importateur de blé, son agriculture moderne sur d’autres cultures à de quoi inspirer d’autres pays.
Rendre l’agriculture sexy
Selon le ministère marocain de l’Agriculture «Génération Green 2020-2030 place l’élément humain au cœur de ses préoccupations. Elle vise au titre de son premier fondement, à contribuer à l’émergence d’une classe moyenne agricole, à dynamiser la jeunesse rurale, à développer le capital humain, et à structurer davantage les agriculteurs autour d’organisations agricoles performantes.»
L’essor de l’élément humain est en effet une condition sine qua non de la consolidation des acquis en Afrique, poursuit l’expert pour qui, le royaume n’est pas un cas isolé en la matière. D’autres pays africains promeuvent des solutions innovantes dans les domaines de la technologie et des insectes au service de productions plus rentables et plus écologiques, poursuit-t-il.
Domou citera la Tunisie qui élève des mouches pour les utiliser comme protéines dans l’alimentation animale ou dans la gestion des exploitations agricoles via des logiciels intégrés, lesquels récoltent des données depuis des capteurs au sol pour une irrigation automatisée des parcelles ou fermes digitales.
«En Ethiopie, des réfugiés somaliens transforment les prosopis (mauvaises herbes envahissantes qui occupaient des terres cultivables)», poursuit l’expert avant de citer d’autres exemples tels que le «Sénégal où la permaculture fait son petit bonhomme de chemin, ou à Cotonou au Bénin où des potagers urbains fleurissent sur les toits des maisons depuis la période du Covid, ou encore à Erfoud, au Maroc ou les détritus de palmiers dattiers (120.000 tonnes) et les dattes de faibles qualités (37.000 tonnes) sont transformés en biocharbon, d’éthanol, et d’aliments pour bétail».
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Enfin bref, on le voit bien, «les 54 pays qui constituent notre magnifique continent disposent de tous les atouts physiques, naturels, techniques et de l’ingénieuse énergie nécessaire et suffisante de sa jeunesse (la nécessité est mère d’industrie) pour faire de Mama Africa le continent de tous les espoirs enfin productif, autonome et émergent», insiste notre interlocuteur. Un avis largement partagé par Ahmed Ouhnini, économiste au Policy Center for the New South. En réponse aux question du Le360Afrique, il estime que l’Afrique a véritablement le potentiel de ses ambitions en matière de souveraineté alimentaire.
Les défis à relever
«D’un point de vue agricole, le continent compte un quart des terres arables du monde, des ressources en eau, une diversité de cultures et un climat propice à l’agriculture. Cela offre une base solide pour développer la production alimentaire et subvenir aux besoins des populations. Mais là encore, il faut retenir que l’exercice de lutte pour une souveraineté alimentaire n’est pas qu’une simple recherche d’une adéquation entre la production agricole et la demande alimentaire domestique», dit-il.
Toutefois, nuance le chercheur à l’École d’Économie de Paris (PSE), «cela nécessite des investissements importants, des réformes structurelles, des politiques agricoles efficaces et une coopération internationale qui puisse répondre sur le long-terme à la taille des défis auxquels le continent est confronté».
D’autres défis tels que l’insuffisance d’infrastructures, la prédominance d’une agriculture pluviale, le manque d’accès aux financements agricoles et les obstacles liés au commerce, sont également à relever.
Ces obstacles, souligne le titulaire d’un master en droit, économie et gestion de l’Institut d’études du développement économique et social de l’Université Paris 1, entravent la capacité du continent à atteindre la souveraineté alimentaire dans l’ensemble.
Ce dernier insiste sur la nécessité d’une remise en question des modèles agricoles qui privilégient les cultures de rente, telles que le coton et le cacao par exemple, au détriment des cultures vivrières. De l’avis d’ Ahmed Ouhnini, ces spéculations contribuent à l’insécurité alimentaire en Afrique, rendant de nombreux pays africains davantage dépendants des importations alimentaires pour subvenir aux besoins de leur population.