Google ne vend pas que des services; le géant américain construit un écosystème– des câbles sous-marins aux compétences linguistiques– qui le rendra indispensable, y compris en Afrique.
C’est à travers ce prisme que les récentes annonces faites par le Zimbabwéen, James Manyika, vice-président principal, Recherche, laboratoires, technologie et société de l’entreprise de services technologiques constitue une pièce maîtresse dans le jeu géoéconomique pour le contrôle du futur écosystème numérique africain. Elle révèle autant d’opportunités que de dépendances futures pour les acteurs économiques du continent. Zoom sur les pays cités.
La colonne vertébrale infrastructurelle
L’engagement infrastructurel de Google dépasse les investissements financiers– plus d’un milliard de dollars– pour matérialiser des corridors numériques physiques. La mention spécifique des câbles sous-marins Equiano (côte ouest) et Umoja (liaison terrestre Est-Afrique vers l’Australie) est significative. Umoja traverse nommément le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la République Démocratique du Congo, la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.
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Cette route fibre optique directe, une première, positionne ces pays comme des pivots géostratégiques dans la connectivité intercontinentale, réduisant leur dépendance aux routes historiques via l’Europe. La mention spécifique des pays traversés par le câble Umoja n’est pas anodine. Elle désigne une «colonne vertébrale» fibre optique Est-Ouest, reliant l’Afrique à l’Australie. Ces pays deviennent des hubs numériques incontournables, promus au rang de plaques tournantes régionales pour la donnée.
Parallèlement, le Cloud région de Johannesburg (Afrique du Sud) sert de hub de traitement de données pour l’ensemble du continent, centralisant la souveraineté numérique dans une place financière établie. Google souligne que ces investissements ont «permis à 100 millions d’Africains d’accéder à Internet pour la première fois», avec un impact économique tangible.
Citant les gains de PIB attendus, le câble Equiano est crédité d’une augmentation du PIB réel de 11,1 milliards de dollars au Nigeria, 5,8 milliards en Afrique du Sud et 290 millions en Namibie cette année. Pour les entreprises locales et internationales, cette infrastructure offre une latence réduite et une résilience accrue, conditions sine qua non pour déployer des services IA fiables. Cependant, elle creuse aussi l’écart avec les nations non-citées, risquant de créer de nouvelles fractures numériques infra-africaines.
Atelier de codage utilisant une interface d'IA comme Gemini. Grâce à l'offre d'abonnement gratuit au « Google AI Pro plan », le Maroc bénéficie d'un accès privilégié aux outils d'IA. L'objectif pour Google : capter et fidéliser les futurs talents marocains qui maîtriseront nativement ses technologies.
Les pays pilotes pour la démocratisation de l’IA avancée
La stratégie de déploiement des services à haute valeur ajoutée se concentre sur un échantillon de huit nations cibles: Égypte, Ghana, Kenya, Maroc, Nigeria, Rwanda, Afrique du Sud et Zimbabwe. Une sélection qui n’est pas anodine. Elle représente un mélange de poids démographiques et économiques majeurs (Nigeria, Égypte, Afrique du Sud), de hubs d’innovation reconnus (Kenya, Ghana, Rwanda) et de marchés émergents au potentiel significatif (Maroc, Zimbabwe).
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L’offre d’un abonnement gratuit d’un an au «Google AI Pro plan» pour les étudiants de ces pays constitue une phase de test et d’acculturation à grande échelle. Une initiative qui vise à capter et à former la future élite technologique sur ses outils propriétaires (Gemini 2.5 Pro, Deep Research).
Le Vice-président principal, Recherche, laboratoires, technologie et société de Google le souligne. «En fournissant aux étudiants des outils d’IA avancés pour la recherche, la résolution de problèmes, le codage et la création de contenu, nous les outillons et autonomisons directement pour relever les défis et poursuivre les opportunités spécifiques au continent». L’impact est double: à court terme, cela stimule l’innovation youth-led.
Entendez par innovation dite «youth-led», lorsque les jeunes ne sont pas simplement des participants ou des bénéficiaires, mais qu’ils sont aux commandes. Ils en sont les initiateurs, les chefs de projet et les principaux acteurs. Ce qui implique plusieurs idées clés: le Leadership jeune, la Propriété intellectuelle et la prise de décision.
Ainsi, les jeunes (généralement des adolescents et de jeunes adultes) à l’origine de l’idée assumeraient un rôle de leader dans leur concrétisation. L’idée et le projet leur «appartiennent». Ils en auraient la responsabilité du début à la fin. Et enfin, ce sont les jeunes qui prendraient les décisions stratégiques importantes concernant les projets, et non des adultes qui superviseraient.
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Ainsi, à long terme, Google forme sa future clientèle et son futur vivier de talents, fidélisant dès aujourd’hui les décideurs et entrepreneurs de demain. D’un autre côté, les acteurs économiques devraient voir dans ces pays des bassins privilégiés pour le recrutement de talents maîtrisant nativement ces outils et pour le développement de partenariats innovants.
Implications géoéconomiques et enjeux de gouvernance
Cette cartographie dessine une Afrique à plusieurs vitesses. Les pays cités bénéficient d’un accès privilégié aux infrastructures et à la formation, creusant potentiellement un écart numérique avec les nations non mentionnées. La concentration des investissements en infrastructures physiques dans des corridors spécifiques renforce le rôle de pays-transit comme la RDC ou le Zimbabwe, mais pose la question de l’inclusion des territoires enclavés non traversés.
Sur le plan de la gouvernance des données, le déploiement de «Gemini sur Google Distributed Cloud» répond partiellement aux préoccupations de souveraineté en permettant un traitement local, un enjeu crucial de politique publique. Concrètement, cela permet aux entrepreneurs, entreprises, gouvernements et développeurs d’utiliser les modèles d’IA avancés de Google depuis n’importe où avec une sécurité, une fiabilité et une résilience améliorées.
Pour les gouvernements et les grandes entreprises, c’est un argument de poids pour adopter les solutions Google sans nécessairement externaliser le traitement des données sensibles. Mais la mainmise de Google sur la pile technologique (infrastructure, modèles, interfaces) reste entière.
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En parallèle, l’investissement dans plus de 40 langues africaines, avec des jeux de données ouverts et des modèles vocaux, est une stratégie d’inclusion profonde. En brisant la barrière linguistique, Google ouvre des marchés immenses aux acteurs économiques qui pourront concevoir des services et produits accessibles à des populations non-anglophones, un levier essentiel pour une croissance inclusive. Si l’accent mis sur le développement de ressources pour «plus de 40 langues africaines» est crucial pour l’inclusion numérique, cela place le géant américain en acteur central de la préservation linguistique numérique, une responsabilité traditionnellement dévolue aux acteurs publics.
Ainsi, la «carte Google» de l’Afrique révèle une stratégie à long terme, mêlant investissements structurants en infrastructures et conquête méthodique des futurs marchés de l’IA. Les pays explicitement nommés sont les pièces maîtresses d’un échiquier continental où le contrôle des données et des compétences devient le nouvel enjeu de la domination économique.
Pour les acteurs économiques, la carte est désormais sur la table. Les pays cités sont les terrains d’expansion prioritaires, bénéficiant d’un avantage concurrentiel structurel. La dépendance à l’égard de cette infrastructure et de ces outils devra être gérée avec discernement par les pouvoirs publics et les entreprises locales pour garantir que cet apport se traduise par une véritable valeur ajoutée endogène et une souveraineté numérique préservée.
Stratégie Afrique: les pays clés de la «carte Google» pour les infrastructures et l’IA
Pays | Rôle dans l’infrastructure (Câbles) | Rôle dans la stratégie IA (Services) |
---|---|---|
Afrique du Sud | Terminus du câble Umoja ; Hub de Cloud régional (Johannesburg) | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Kenya | Point de départ terrestre du câble Umoja | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Rwanda | Traversé par le câble Umoja | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
République Démocratique du Congo | Traversé par le câble Umoja | - |
Ouganda | Traversé par le câble Umoja | - |
Zambie | Traversé par le câble Umoja | - |
Zimbabwe | Traversé par le câble Umoja | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Nigeria | Bénéficiaire du câble sous-marin Equiano (côte ouest) | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Ghana | - | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Égypte | - | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Maroc | - | Pays pilote pour la démocratisation de l’IA |
Namibie | Bénéficiaire du câble sous-marin Equiano (côte ouest) | - |
Source: Google.