Surtaxes douanières américaines: les 9 ripostes africaines possibles, selon McKinsey

Les droits de douane instaurés par l’administration Trump ont un impact économique sur 51 pays africains.

Le 18/04/2025 à 14h46

Face aux surtaxes douanières américaines, les économies africaines, fragilisées par leur dépendance aux exportations, doivent repenser leur résilience. Dans ce contexte, le modèle McKinsey du «centre nerveux géopolitique», articulé autour de neuf leviers stratégiques, offre un cadre pour concilier réponses immédiates et transformations structurelles, de l’optimisation logistique à l’intégration régionale via la Zone de libre-échange continentale africaine. Détails.

Les récentes surtaxes douanières imposées par l’administration Trump à 185 pays dont 51 africains, oscillant entre 10 et 50%, plongent les économies du continent dans une zone de turbulence, en dépit du fait que le 9 avril 2025, Donald Trump ait suspendu ses surtaxes douanières, sauf pour la Chine.

Entre la fin de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), la remise en question des chaînes d’approvisionnement et les risques de pertes sectorielles (automobile sud-africaine, hydrocarbures algériens), l’urgence d’une réponse structurée s’impose. Dans ce contexte, l’approche proposée par McKinsey, la création d’un «geopolitical nerve center» – offre un cadre pertinent pour les pays africains, comme le souligne Hamza Idam, expert marocain en gestion de crise, dans une récente publication. La traduction la plus précise de «geopolitical nerve center» en français est «centre nerveux géopolitique». «Ce que je trouve intéressant, c’est l’approche structurée proposée pour faire face aux chocs géopolitiques et aux politiques tarifaires disruptives, comme celles instaurées sous Trump», soutient Hamza Idam.

Alors, que dit l’approche McKinsey? Dans le document, Cindy Levy, associée principale au bureau de Londres de McKinsey, Mihir Mysore, associé au bureau de Houston, Shubham Singhal, associé principal au bureau de Detroit, et Varun Marya, associé principal au bureau de Bay Area, suggèrent la création d’un «nerve center» géopolitique, une cellule stratégique dédiée à la coordination de la réponse de l’organisation face aux incertitudes. Ce nerve center s’appuie sur neuf leviers d’action clés, allant de la gestion des flux commerciaux à l’optimisation produit, en passant par la modélisation des scénarios, la gestion de la trésorerie, ou encore le dialogue avec les parties prenantes. «Une démarche qui, sans être transposable telle quelle, offre des pistes utiles pour renforcer la coordination et l’anticipation dans un contexte de crise», souligne Hamza Idam.


Le choc tarifaire: un test de résilience pour les économies africaines

Comme on le sait, les mesures américaines frappent les économies africaines avec une sévérité inégale, exposant les failles structurelles de modèles dépendants des exportations. Le Maroc et l’Égypte, soumis au taux plancher de 10 %, conservent une marge de manœuvre relative, tandis que l’Afrique du Sud et l’Algérie (30 %), ou le Lesotho (50 %), subissent une érosion brutale de leur compétitivité. L’industrie automobile sud-africaine, pilier économique dont 125.000 emplois dépendent directement des exportations vers les États-Unis, affronte un risque d’effondrement de sa production, menaçant un secteur déjà fragilisé par les coûts logistiques et énergétiques.

L’Algérie, dont 95% des recettes proviennent des hydrocarbures, voit quant à elle sa position sur le marché américain menacée par la concurrence du Nigeria (14%) et des pays du Golfe (10%), mieux armés pour absorber les surcoûts tarifaires. Le Lesotho, frappé par une taxe de 50% sur ses exportations textiles, perd l’avantage compétitif qui faisait de lui un fournisseur clé de jeans pour le marché américain.

À l’inverse, le Kenya, taxé à seulement 10%, perçoit dans cette distorsion tarifaire une opportunité inattendue pour capter des parts de marché au détriment de ses voisins. Une fragmentation des impacts, couplée à la suspension partielle des nouveaux tarifs, qui illustre l’extrême volatilité des politiques commerciales contemporaines, plongeant les gouvernements africains dans un dilemme stratégique : réagir dans l’urgence ou repenser en profondeur leur insertion dans les chaînes de valeur mondiales.

Une réponse adaptée à la complexité africaine

Face à la fragmentation des capacités de gestion de crise en Afrique, l’approche de McKinsey, structurée autour d’équipes transversales, d’horizons temporels multiples et d’analyses data-driven, se révèle stratégique.

Les neuf leviers d’action du «nerve center» permettent de naviguer entre réponses immédiates et transformations structurelles. Par exemple, l’Algérie pourrait mobiliser l’initiative Tariff Operations pour optimiser ses procédures douanières via des entrepôts sous douane, limitant les retards coûteux sur ses exportations d’acier. L’Afrique du Sud, confrontée à un risque systémique dans l’automobile, activerait le levier Supplier Network Optimization en accélérant l’intégration régionale de sa chaîne logistique via la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), réduisant sa dépendance aux corridors à haut risque. En parallèle, une coalition de pays (Kenya, Afrique du Sud, etc.) pourrait, via le levier Stakeholder Engagement, mutualiser leur plaidoyer auprès des États-Unis pour négocier des exemptions ciblées, à l’image de la démarche urgente initiée par le Lesotho.

La modélisation des scénarios, pivot analytique du «nerve center», devient un impératif pour anticiper les cascades de risques. Une surtaxe de 30% sur les véhicules sud-africains, en réduisant de 15% la demande américaine (selon l’élasticité-prix du secteur), impacterait directement la trésorerie des constructeurs, nécessitant une révision des budgets et des stratégies de cash-preservation. La cartographie des codes HTS, préconisée par McKinsey, permettrait de recalculer en temps réel l’exposition tarifaire par produit et fournisseur, transformant des données brutes en leviers décisionnels.

Enfin, le dialogue avec les parties prenantes transcende la simple coordination technique pour devenir une nécessité institutionnelle. Les États africains gagneraient à unir leurs voix via l’Union africaine, créant un front commun pour négocier des clauses de sauvegarde ou des périodes de transition. Une collaboration étroite avec le secteur privé – à l’image des constructeurs automobiles sud-africains documentant l’impact des tarifs sur l’emploi – renforcerait la crédibilité des revendications. Pour McKinsey, le dialogue multiniveau, alliant diplomatie étatique et expertise sectorielle, serait la clé pour convertir une crise unilatérale en opportunité de rééquilibrage stratégique.

Adapter le modèle McKinsey au contexte africain

Si le «nerve center» constitue un cadre théorique pertinent, son opérationnalisation en Afrique se heurte à des défis structurels nécessitant des ajustements pragmatiques. Le premier écueil réside dans les capacités analytiques limitées: la majorité des pays africains manquent d’outils de modélisation avancés (comme les simulations dynamiques de flux commerciaux ou l’analyse prédictive des HTS codes), essentiels pour anticiter les chocs tarifaires. Disons qu’une coopération régionale, via des centres d’excellence de la ZLECAf, pourrait mutualiser les ressources techniques et former des experts locaux, transformant un handicap individuel en force collective.

Le deuxième obstacle est la fragmentation politique: la coordination interministérielle (Commerce, Finances, Industrie) reste inefficace dans plusieurs pays. Enfin, la dépendance aux matières premières paralyse les pays mono-exportateurs comme l’Algérie (hydrocarbures) ou le Lesotho (textile), qui peinent à activer des leviers de diversification à court terme. Pour ces économies, l’urgence de répondre aux chocs tarifaires se heurte à l’absence de secteurs alternatifs matures, rendant illusoire une réorientation rapide des chaînes de valeur.

Des limites qui appellent à une hybridation du modèle McKinsey, combinant renforcement des capacités locales, leadership politique coordonné et investissements patient dans la diversification industrielle.

Ainsi, la crise des surtaxes américaines révèle la vulnérabilité des modèles économiques africains, mais aussi des opportunités de transformation. Comme le rappelle Hamza Idam, «l’approche structurée [de McKinsey] n’est pas transposable telle quelle», mais elle inspire trois priorités: créer des cellules de crise interministérielles pour aligner les réponses tactiques et stratégiques, investir dans l’intelligence commerciale pour anticiper les chocs géopolitiques, et renforcer l’intégration régionale pour réduire la dépendance aux marchés extérieurs.

En définitive, le «nerve center» géopolitique n’est pas une solution miracle, mais un catalyseur pour une Afrique plus agile, capable de convertir les crises en leviers de résilience économique.

Surtaxes américaines : comment le continent peut transformer la menace en opportunité

ContextePrincipaux enjeuxLeviers McKinseyImpacts pour certains PaysDéfis structurelsRecommandations
- Surtaxes douanières américaines (10 à 50%) imposées à 51 pays africains.
- Suspension partielle le 9 avril 2025 (sauf Chine).
- Fin prochaine de l’AGOA.
- Dépendance aux exportations.
- Risques sectoriels (automobile, hydrocarbures, textile, etc.).
- Fragmentation des réponses africaines.
1. Optimisation logistique.
2. Intégration régionale via la ZLECAf.
3. Modélisation de scénarios.
4. Gestion de trésorerie.
5. Dialogue avec parties prenantes.
6. Cartographie des codes HTS.
7. Réseaux fournisseurs.
8. Plaidoyer coordonné.
9. Transformation structurelle.
- Afrique du Sud : Automobile menacée (30% de taxes).
- Algérie : Hydrocarbures concurrencés (30%).
- Lesotho : Textile en crise (50%).
- Kenya : Opportunité avec 10% de taxes.
- Maroc : Taxé à 10%, préserve une compétitivité dans des secteurs clés (textile, automobile) grâce à une optimisation logistique et des accords commerciaux diversifiés.
- Capacités analytiques limitées.
- Fragmentation politique.
- Dépendance aux matières premières.
- Manque de diversification économique.
- Cellules de crise interministérielles.
- Investissement en intelligence commerciale.
- Renforcement de l’intégration régionale (ZLECAf).
- Mutualisation des ressources techniques.

Source : McKinsey.

Par Modeste Kouamé
Le 18/04/2025 à 14h46