Taxe carbone: les 7 pays africains qui ont mis en place, ou envisagent sérieusement, des systèmes de tarification

Gaz à effet de serre.. 2018 Getty Images

Le 07/06/2024 à 10h27

Un récent rapport de la Banque Mondiale souligne la nécessité d’accélérer l’adoption et le renforcement des mécanismes de tarification du carbone à l’échelle mondiale, y compris en Afrique, pour catalyser une transition énergétique en phase avec les objectifs climatiques. Pour les rares pays africains ayant mis en place ou envisageant sérieusement des systèmes de tarification du carbone il y a là une fenêtre d’opportunité à saisir pour se positionner comme des pionniers dans ce domaine et bénéficier des retombées économiques et environnementales associées.

Bien que les pays africains soient actuellement peu représentés dans les systèmes de tarification du carbone, le rapport de la Banque Mondiale «State and Trends of Carbon Pricing 2024″ souligne des avancées notables de certains pays. Le rapport offre un éclairage sur l’état d’avancement des mécanismes de tarification du carbone à l’échelle mondiale. En faisant un zoom sur le continent africain, il apparait que sur les 54 pays africains, seuls le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Botswana et l’Afrique du Sud sont mentionnés comme ayant mis en place ou envisageant sérieusement des systèmes de tarification du carbone.

Selon différentes définitions, «la taxe carbone est une taxe environnementale qui agit pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et entraîne une augmentation du prix de produits finaux, dont la production et l’utilisation émettent trop gaz à effet de serre. La taxe carbone a comme objectif d’orienter les achats et les investissements polluants vers des actifs plus responsables

L’Afrique du Sud figure comme le seul pays du continent où une taxe carbone est effectivement en vigueur. Les six autres pays cités sont considérés comme étant dans une phase de réflexion ou de développement de mécanismes d’échange de quotas d’émissions (ETS) ou de taxes carbone. Ce qui représente une fenêtre d’opportunités pour ces nations d’accélérer leur transition énergétique et de s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris.

Malgré ces balbutiements encourageants, le rapport souligne que la couverture des émissions mondiales de gaz à effet de serre par les systèmes de tarification du carbone reste insuffisante pour atteindre les objectifs climatiques. Actuellement, ces mécanismes ne couvrent qu’environ 24% des émissions mondiales, un chiffre qui devrait rester en deçà de 30% à court terme, même en tenant compte des initiatives en cours de développement au Brésil, en Inde et en Turquie.

Des niveaux de prix du carbone largement insuffisants pour induire les changements nécessaires

Un autre constat important est que les niveaux de prix du carbone restent largement insuffisants pour induire les changements nécessaires à la trajectoire de 1,5°C, seuil fixé en 2015 par l’accord de Paris pour la limitation du réchauffement planétaire. Une tarification insuffisante signifie un signal-prix trop faible pour infléchir les comportements des agents économiques africains vers des alternatives bas-carbone. Pour atteindre les objectifs climatiques, un réel engagement politique sera indispensable afin d’augmenter drastiquement les niveaux de taxation carbone et d’élargir la couverture des systèmes existants.

Les défis socio-économiques de court terme ne doivent pas faire perdre de vue l’impératif climatique de long terme. Seuls sept instruments de tarification du carbone, couvrant moins de 1% des émissions mondiales, atteignent ou dépassent le niveau minimum recommandé de 63 dollars par tonne d’équivalent CO2 en 2024. La majorité des instruments actuels sont jugés peu ambitieux pour répondre aux objectifs de l’Accord de Paris.

Néanmoins, les recettes tirées de la tarification du carbone ont continué d’augmenter, franchissant pour la première fois le seuil de 100 milliards de dollars en 2023. L’UE reste le principal contributeur avec des revenus en hausse de 4% en termes réels pour son système d’échange de quotas d’émission (SEQE).

Seulement deux mécanismes de crédits carbone gouvernementaux

Toujours selon le rapport de la Banque Mondiale, l’Afrique est largement en retrait dans la mise en œuvre de mécanismes de crédits carbone gouvernementaux. Sur les 54 pays africains, seulement deux sont recensés - l’Égypte avec un mécanisme en cours de développement» et l’Afrique du Sud avec un mécanisme «mis en œuvre».

Cette faible représentation met en lumière les défis auxquels le continent fait face pour tirer parti des marchés du carbone et mobiliser des financements pour sa transition énergétique bas-carbone. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce retard: manque de capacités institutionnelles, cadres réglementaires inadaptés, accès limité aux financements et technologies propres.

Pourtant, l’Afrique dispose d’un important potentiel de génération de crédits, notamment dans les secteurs forestiers, de l’énergie renouvelable et de l’efficacité énergétique. Le rapport souligne une hausse des enregistrements de projets pour les dispositifs ménagers à bénéfices socio-environnementaux élevés comme les cuisinières améliorées. Ceci pourrait représenter une opportunité intéressante pour le continent.

Pour saisir cette opportunité, il est essentiel que les pays renforcent leurs cadres politiques, juridiques et institutionnels. L’harmonisation des normes et méthodologies de comptabilisation carbone à l’échelle régionale pourrait également favoriser l’émergence d’un marché panafricain intégré et liquide.

Le défi de l’intégrité environnementale devra aussi être relevé, suite aux critiques récentes sur la surestimation des impacts de certains projets. Un accès facilité aux financements climatiques et un renforcement des capacités techniques permettraient d’améliorer la qualité des projets africains.

Pendant ce temps, plusieurs économies émergentes avancent à grand pas

Des économies émergentes comme le Brésil, l’Inde, le Chili, la Colombie et la Turquie franchissent des étapes importantes vers la mise en œuvre de systèmes d’échange de quotas d’émissions.

La Turquie en particulier a réalisé des progrès majeurs en 2023 dans le développement d’un système national d’échange de quotas d’émissions. Le Brésil aussi avance à grands pas, laissant augurer une possible future intégration au marché mondial du carbone. Ces évolutions montrent l’intérêt croissant des pays émergents pour ces outils économiques de décarbonation.

Malgré ces signaux, les pays africains demeurent largement en retrait sur le front de la tarification du carbone explicite. Un retard qu’il lui faudra combler rapidement.

Par Modeste Kouamé
Le 07/06/2024 à 10h27