Henley & Partners, cabinet britannique leader mondial du conseil en résidence et citoyenneté par investissement, et New World Wealth, cabinet basé en Afrique du Sud, spécialisé dans l’analyse de la richesse mondiale, ont récemment publié le "Henley Private Wealth Migration Report 2025" sur la migration des personnes à très haut revenu (HNWIs) en 2025.
Entendez par «millionnaires» ou «HNWI» les personnes disposant d’un patrimoine liquide investissable d’un million de dollars ou plus.
Si l’étude révèle des flux mondiaux record (+142.000 millionnaires migrants contre 134.000 en 2024 et 120.000 en 2023), son décryptage révèle une dynamique africaine complexe, marquée par des destinations émergentes, des départs significatifs et des stratégies de repli vers des havres extracontinentaux.
L’analyse des données permet de dégager trois tendances structurantes pour le continent.
Maurice, Maroc et Seychelles en pôle position
Pour la première fois, trois nations africaines figurent parmi les destinations nettes de millionnaires en 2025, bien que leur attractivité reste modeste à l’échelle globale.
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La première sur le continent est le Maroc. La destination affiche un solde net de +100 millionnaires, pour une richesse des millionnaires migrants estimée à 0,9 milliards de dollars américains. Cela signifie que le pays attire 100 personnes à très haut revenu (HNWIs) de plus qu’il n’en perd. Ce solde positif reflète sa stabilité politique, sa proximité géographique avec l’Europe, et le développement d’infrastructures financières (notamment Casablanca Finance City). Ces atouts en font un refuge régional privilégié pour les élites nord-africaines et ouest-africaines cherchant sécurité et ancrage économique.
1er ex-aequo en Afrique au même titre que le Maroc, Maurice enregistre également un solde net de +100 millionnaires, pour une richesse des millionnaires migrants estimée à 0,5 milliards de dollars américains. L’île renforce son statut de plaque tournante financière et de hub d’affaires pour l’océan Indien et l’Afrique anglophone. Son régime fiscal favorable, sa sécurité juridique et son programme de Résidence par Investissement (RBI) continuent d’être des aimants puissants.
Le troisième du classement africain est Seychelles. La destination affiche un solde net de +50 millionnaires, pour une richesse estimée à 1 milliard de dollars. Sa fiscalité attractive (notamment l’absence d’impôt sur le revenu ou les successions pour les non-résidents) et son cadre de vie idyllique en font une destination privilégiée pour la discrétion et la préservation de patrimoine, complétant son offre RBI.
Andrew Amoils, chef de la recherche chez New World Wealth, souligne un point crucial. «Si l’on examine les marchés patrimoniaux qui ont connu la plus forte croissance au cours de la dernière décennie, on constate que la plupart de ces pays sont soit des destinations prisées par les millionnaires migrant -Monténégro, Émirats arabes unis, Malte, États-Unis, Maurice- soit des hubs technologiques de marchés émergents». Un constat qui valide le rôle stratégique de l’immigration de richesse dans la création de nouveaux pôles économiques dans un pays.
Seychelles: la beauté de l'ile de Mahé. Pour la première fois, les Seychelles figurent parmi les destinations africaines nettes de millionnaires.. DR
Les pays qui enregistrent des départs et les nouveaux havres des riches africains
Si selon le rapport le Maroc, Maurice et les Seychelles figurent parmi les destinations à solde net positif, plusieurs pays africains figurent parmi les «perdants nets» de millionnaires en 2025, selon le rapport Henley. Ainsi, l’Angola enregistre un solde négatif de 50 HNWIs (richesse estimée des départs: 0,3 milliard de dollars américains), l’Égypte perd 100 millionnaires (0,8 milliard), le Nigeria subit un déficit de 200 HNWIs (1,5 milliard de dollars), et l’Afrique du Sud soit un solde négatif de 250 millionnaires (1,6 milliard de dollars).
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Toutefois, ces chiffres restent modestes à l’échelle mondiale. Les cinq principaux perdants nets en valeur absolue sont le Royaume-Uni (-16 500 HNWIs, richesse estimée à 91,8 milliards de dollars), la Chine avec un solde net négatif de 7.800 (55,9 milliards), l’Inde avec une perte de 3.500 millionnaires (26,2 milliards), la Corée du Sud (-2 400, 15,2 milliards) et la Russie pour une richesse des millionnaires migrants estimée à 14,7 milliards de dollars américains, soulignant l’ampleur disproportionnée des sorties de capitaux depuis ces économies majeures comparativement aux flux africains.
Cependant, le rapport révèle des flux sortants significatifs depuis plusieurs nations africaines, dirigés vers des destinations extra-africaines.
Les destination phares sont les Émirats Arabes Unis (EAU). Avec un afflux net record de +9,800 millionnaires, les EAU sont explicitement cités comme le refuge privilégié des millionnaires quittant le Pakistan (-100) et le Liban (-200), mais aussi, de manière plus générale, ceux originaires d’Afrique. Dubaï, avec son absence d’impôt sur le revenu, sa sécurité, ses infrastructures de luxe et son accès facile à une finance globale, est le hub incontesté pour l’élite africaine mobile.
Avec un solde net positif de 200 millionnaires, Monaco attire spécifiquement les ultra-riches (UHNWIs) d’Afrique, séduits par son statut fiscal unique, sa sécurité et son prestige.
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Malte, avec son solde net positif de 500, et son programme RBI (bien qu’ébranlé par une décision de justice européenne) reste aussi une destination prisée pour sa stabilité au sein de l’UE et son cadre fiscal avantageux.
Cette hémorragie silencieuse vers des juridictions non-africaines, bien que non quantifiée en termes de solde net par pays d’origine africain spécifique dans ce rapport, révèle une réalité critique : malgré l’émergence de destinations intra-africaines attractives, les refuges fiscaux et sécuritaires globaux (EAU en tête) restent les bénéficiaires ultimes de la migration de la richesse africaine cherchant la sécurité maximale, la stabilité politique et les avantages fiscaux optimaux.
Des retours partiels et le rôle des écosystèmes Tech
Le rapport de Henley & Partners et New World Wealth suggère également un phénomène de retour partiel ou de stabilisation dans certains grands marchés.
C’est le cas notamment en Afrique du Sud. Bien que perdant encore, avec un solde net de -250 millionnaires en 2025, il s’agit de la «plus faible perte nette depuis le Covid» de la nation arc-en-ciel. Pour donner un ordre de grandeur, le rapport 2024 enregistrait un solde net négatif de 600 millionnaires, contre un déficit de 400 HNWIs en 2023.
Cette réduction des départs est attribuée en partie au «retour de HNWIs depuis le Royaume-Uni». Cela pourrait indiquer une perception légèrement améliorée des opportunités locales par certains expatriés ou un effet de rapatriement stratégique dans un contexte global incertain.
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Le rapport place également les «hubs technologiques de marchés émergents comme (...) l’Afrique» parmi les moteurs de croissance de la richesse. Ceci souligne le rôle potentiel des écosystèmes tech dynamiques (pensez au Nigeria, Kenya, Égypte, Afrique du Sud) dans la création et potentiellement la rétention de nouvelles fortunes, même si leur pouvoir d’attraction migratoire reste moins visible que celui des EAU ou des programmes RBI/RII insulaires dans ce bilan 2025.
Une Afrique à deux vitesses
Ainsi, la cartographie 2025 des flux de millionnaires dessine une Afrique à deux vitesses dans la course aux millionnaires. D’une part, les petits États insulaires/stables (Maurice, Seychelles) et le Maroc, qui consolident leur position de niches attractives intra-africaines grâce à des régimes fiscaux compétitifs, une stabilité politique relative et des programmes structurés (CBI/RBI pour Maurice/Seychelles). Leur succès démontre l’efficacité de stratégies proactives de positionnement comme havres régionaux.
D’autre part, l’attractivité relative des grandes économies reste limitée face à la puissance des hubs globaux comme Dubaï. Même le retour partiel de riches Sud-Africains du Royaume-Uni ne suffit pas à inverser la tendance nette négative du pays. Les défis structurels (sécurité, stabilité politique, fiscalité, infrastructures financières de niveau mondial) continuent de pousser une partie significative des élites patrimoniales africaines vers les EAU, l’Europe (Malte, Monaco, Suisse) ou l’Amérique (Caraïbes).
Il faut aussi retenir que la géopolitique et la fiscalité sont des moteurs décisifs. La «WEXIT» britannique, motivée par des réformes fiscales drastiques, trouve un écho dans les choix des millionnaires africains. La recherche de «sécurité et de croissance», comme le note la publication à propos de l’Asie mais applicable à l’Afrique, reste le moteur premier. L’instabilité régionale renforce l’attrait des havres perçus comme sûrs et stables comme les EAU ou Maurice.
Ainsi, comme on peut le constater, pour les pays africains, la concurrence pour attirer et retenir les HNWIs est féroce et exige plus qu’une simple stabilité relative. Elle nécessite des écosystèmes financiers sophistiqués, une sécurité juridique absolue et des avantages fiscaux clairs et durables.
Les programmes de migration par investissement (CBI/RBI) restent un outil puissant pour les petites juridictions, tandis que le développement de hubs technologiques dynamiques pourrait être la clé pour la création et la rétention future de la nouvelle richesse sur le continent. En définitive, la bataille pour les capitaux et les talents des élites africaines est plus ouverte que jamais.
Cartographie des flux de millionnaires en 2025: Maurice, Maroc et Seychelles émergent comme nouvelles terres d’accueil
Catégorie | Pays / Phénomènes | Soldes Nets & Données clés | Principaux Facteurs d’immigration / départs |
---|---|---|---|
Destinations nettes (+) | Maroc | +100 HNWI (Richesse estimée : 0,9 Md USD) | Stabilité politique, proximité avec l’Europe, infrastructures financières (Casablanca Finance City), refuge régional (Afrique du Nord/Ouest) |
- | Maurice | +100 HNWI (Richesse estimée : 0,5 Md USD) | Statut de hub financier (Océan Indien/Anglophone), fiscalité favorable, sécurité juridique, programme RBI |
- | Seychelles | +50 HNWI (Richesseins estimée : 1 Md USD) | Fiscalité attractive (pas d’IR/successions pour non-résidents), cadre de vie idyllique, discrétion, programme RBI |
Pays africains perdants nets (-) | Afrique du Sud | -250 HNWI (Richesse estimée : 1,6 Md USD) - Pire déficit africain et plus faible perte depuis le Covid | Défis structurels (sécurité, instabilité politique) |
- | Nigeria | -200 HNWI (Richesse estimée estimée : 1,5 Md USD) | - |
- | Égypte | -100 HNWI (Richesse estimée : 0,8 Md USD) | - |
- | Angola | -50 HNWI (Richesse estimée : 0,3 Md USD) | - |
Refuges extra-africains majeurs | Émirats Arabes Unis (Dubaï) | +9 800 HNWI (Afflux record mondial) - Destination privilégiée des riches africains | Absence d’impôt sur le revenu, sécurité, infrastructures de luxe, accès à la finance globale |
- | Malte | +500 HNWI (Malgré des remous sur le RBI) | Stabilité au sein de l’UE, cadre fiscal avantageux, programme RBI |
- | Monaco | +200 HNWI | Statut fiscal unique, sécurité, prestige - attire les UHNWI |
Tendances notables | Réduction des départs d’Afrique du Sud | Perte nette (-250) la plus faible depuis le Covid, partiellement due à des retours du Royaume-Uni | Perception légèrement améliorée des opportunités locales ? Effet de rapatriement stratégique ? |
- | Rôle des Hubs Tech | Nigeria, Kenya, Égypte, Afrique du Sud cités comme moteurs de création de richesse | Potentiel pour la création et la rétention future de nouvelles fortunes (attractivité migratoire encore limitée en 2025) |
Dynamique structurelle | Afrique à deux vitesses | Gagnants : petits États stables (Maurice, Seychelles) + Maroc (stabilité, fiscalité compétitive, RBI). Perdants : grandes économies face aux hubs globaux | Concurrence féroce nécessitant écosystèmes financiers sophistiqués, sécurité juridique absolue, avantages fiscaux durables |
- | Moteurs décisifs | Géopolitique & Fiscalité (ex: « WEXIT » britannique). Recherche primaire : « Sécurité et Croissance ». Instabilité régionale renforce l’attrait des havres sûrs (EAU, Maurice). | - |
Source : Henley & Partners et New World Wealth.