La traçabilité du cacao est devenue un enjeu majeur ces dernières années, sous l’impulsion des réglementations internationales visant à lutter contre la déforestation et le changement climatique. L’Union européenne (UE), principal consommateur mondial, a décidé de serrer la vis en imposant des normes strictes de traçabilité aux pays producteurs. Mais la mise en œuvre de ces règles soulève de nombreux défis techniques, économiques, sociaux et environnementaux.
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En côte d’ivoire, la délégation régionale du Conseil du café-cacao (CCC) de Duékoué a expliqué, jeudi 25 avril 2024, aux paysans de la sous-préfecture de Kahen-Zarabaon (département de Bangolo), le processus de traçabilité du cacao tel que recommandé par l’Union européenne. Selon Fadiga Valanciné, chargé du suivi des projets agricoles au sein du CCC à Duékoué, « seul le produit traçable à partir de la géolocalisation des plantations validées comme étant sans déforestation, peut être livré aux coopératives ».
Détaillant les six étapes de la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement du cacao, il explique que « c’est ce cacao répondant aux normes qui est exporté sur le marché européen et atterrit chez le fabricant de chocolat ». Poursuivant, le chargé du suivi des projets agricoles a détaillé le processus de mise en œuvre du règlement « Zéro déforestation » débuté en Côte d’Ivoire en novembre 2021 et entré dans sa phase pratique en 2023.
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Sur le plan technique, la traçabilité exige de suivre rigoureusement le parcours du cacao, de la plantation jusqu’au produit fini. Cela implique de géolocaliser avec précision chaque parcelle, d’enregistrer les pratiques culturales, les rendements, les circuits d’approvisionnement. Un véritable casse-tête logistique dans les pays comme la Côte d’Ivoire où prédominent les petites exploitations familiales disséminées, aux méthodes de cultures traditionnelles peu documentées.
Les coûts de la conformité
La mise aux normes représente également un défi économique de taille pour les producteurs. Cartographier les parcelles, acquérir des systèmes d’enregistrement numériques, former les paysans : autant de dépenses qui risquent d’accroître la pression sur un secteur déjà très contraint financièrement. Sans compter les surcoûts logistiques engendrés par une traçabilité intégrale le long de la chaîne d’approvisionnement. Face à ce constat, les grands pays exportateurs redoutent une perte de compétitivité face aux pays moins regardants.
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Au-delà des aspects techniques et financiers, la traçabilité soulève aussi des questions sociales épineuses. Comment s’assurer que les petits planteurs, au bas de la pyramide, ne soient pas lésés par un système complexe dont ils maîtrisent mal les rouages ? Le risque est grand de creuser encore les inégalités de revenus si les bénéfices de la conformité sont captés par les acteurs en aval de la filière. Une approche participative et un accompagnement sur le terrain seront indispensables.
Défi environnemental : la durabilité réelle
Enfin, d’un point de vue environnemental, une interrogation demeure : la traçabilité garantit-elle réellement des pratiques agricoles durables ? Ou pourrait-elle au contraire favoriser des effets pervers, comme le développement de monocultures intensives plus faciles à tracer, mais très dommageables pour la biodiversité ? Selon les analystes, « une réflexion s’impose sur les critères de durabilité à retenir, au-delà de la seule déforestation, pour un impact écologique vertueux sur le long terme ».
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Malgré ces défis complexes, la traçabilité du cacao semble une évolution inéluctable pour s’attaquer aux maux de la déforestation et du réchauffement climatique. Sa mise en œuvre va devoir se faire dans un esprit de justice, d’équilibre et de développement partagé entre tous les maillons de la filière. Un immense travail de concertation et d’accompagnement restera indispensable pour relever ce défi de manière durable, en tenant compte des contraintes techniques, économiques, sociales et environnementales des pays producteurs.