En matière de transport aérien, l’Afrique est plus qu’un nain. En effet, comptant plus de 17% de la population mondiale, le continent peine à représenter 3% du transport aérien de passagers. Ainsi, en 2024, selon les données de l’Association du transport aérien international (IATA), le trafic mondial s’est établi à un niveau record de 4,89 milliards de passagers-kilomètres (indice de référence), en hausse de 10,4% par rapport à 2023.
Seulement, sur ce volume le continent africain n’a enregistré qu’un trafic de 160 millions de passagers, soit 3,27% du trafic mondial.
Une situation qui s’explique essentiellement par la faible connectivité aérienne au niveau du continent. En effet, selon l’IATA, seules 19% des routes entre pays africains sont desservies par des vols directs. Conséquence, les voyageurs africains, pour relier deux capitales africaines, sont obligés de transiter par des hubs extracontinentaux, dont particulièrement Dubaï, Doha, Istanbul Paris, Londres… De longs trajets avec des transits qui allongent la durée des vols et augmentent sensiblement les tarifs des billets.
Lire aussi : Transport aérien: quand le faible octroi de la 5e liberté freine la connectivité en Afrique
Outre le problème de connectivité, les frais de navigation aérienne en Afrique excèdent de 10% la norme mondiale. Et une fois additionnées, ces taxes peuvent représenter, dans certains pays, jusqu’à 50% du prix total du billet.
Pour remédier à toutes ces entraves, l’Union africaine a fait du transport aérien et de la connectivité des Etats une de ses priorités. C’est dans cette optique qu’elle a lancé, dans le cadre de son Agenda 2063, l’ambitieux projet de Marché unique de transport aérien africain (Mutaa) qui vise à libéraliser le ciel africain. Celui-ci prévoit le libre exercice du trafic de 1ère, 2e, 3e, 4e et 5e liberté (règles et droits octroyés par des pays aux compagnies locales ou étrangères sur ce qu’elles peuvent faire lors du survol de l’espace aérien) pour les compagnies aériennes éligibles, la levée des restrictions sur les fréquences et les capacités, la libéralisation des tarifs, la libéralisation complète des services et fret,…
Ces différentes mesures vont augmenter fortement la connectivité sur le continent et promouvoir le développement du secteur de l’aviation, le tourisme et le commerce.
Lire aussi : Protectionnisme et taxes: voyager en avion à travers l’Afrique, un onéreux chemin de croix
Les avantages de l’Open Sky africain sont nombreux. D’après la Commission africaine de l’aviation civile (CAFAC), la libéralisation du ciel pourrait augmenter de 30% la connectivité aérienne au niveau du continent grâce à la cinquième liberté (droit accordé par un Etat à un autre de débarquer et d’embarquer, dans le territoire du premier Etat du trafic en provenance ou à destination d’un Etat tiers).
Depuis son lancement, le Mutaa a connu des avancées notables. D’abord, à ce jour, 38 Etats membres de l’Union africaine ont adhéré au projet, dont 20 autorisent les droits de 5e liberté précité. Ces pays représentent plus de 80% du trafic aérien intra-africain. Parmi eux, 23 pays ont déjà signé le mémorandum de mise en œuvre de l’Open sky africain et 20 autres font partie du projet pilote du Mutaa (*).
Lire aussi : Voici les meilleurs aéroports et compagnies aériennes d’Afrique en 2024
Ensuite, le Mutaa a contribué à l’amélioration de la connectivité aérienne intra-africaine. Celle-ci est passée de 14,5% à 23%, grâce au lancement de 108 nouvelles liaisons intra-africaines entre septembre 2022 et avril 2025, dont 19 liaisons de 5e liberté. Par ailleurs, il y a l’opérationnalisation du mécanisme de règlement des différends.
Seulement, malgré les nombreux avantages qu’offre cette libéralisation, l’Open Sky africain tarde à voir le jour. Si de nombreux pays affichent leur intérêt à ce projet, il n’en demeure pas moins que des réticences sont notées de la part de certains Etats et compagnies aériennes.
Des obstacles majeurs persistent et et se dressent devant la mise en œuvre du Mutaa. Il s’agit, entre autres, des incohérences règlementaires qui freinent la libéralisation comme les Accords bilatéraux de services aériens (BASA) restrictifs, la protection des transporteurs nationaux face à la concurrence, les déficits d’infrastructures, les contraintes financières, les restrictions de visa entre Etats, les lenteurs dans l’harmonisation des politiques devant faciliter la mise en œuvre complète du Mutaa…
Lire aussi : Transport aérien: la méga commande d’Ethiopian Airlines
En conséquence, le marché aérien africain continue d’être cloisonné, fragmenté et sous-règlementé. Du coup, l’Open sky africain reste un vœu pieux et le secteur aérien africain condamné à la traine.
Cependant, ce projet étant porté par l’Union africaine et soutenu par des grandes compagnies aériennes du continent (Ethiopian Airlines, EgyptAir, Royal Air Maroc, Kenyan Airways…), les transporteurs aériens du continent s’y préparent, sachant que cette ouverture sera tôt ou tard inévitable.
A ce jour, 38 Etats membres de l’Union africaine ont adhéré au Mutaa, représentant plus de 80% du trafic aérien intra-africain. Parmi eux, 23 ont déjà signé le mémorandum de mise en œuvre de l’Open sky.
C’est dans cette optique que s’inscrivent les politiques de renforcement des flottes des compagnies aériennes, d’agrandissement et de modernisation de nombreux aéroports du continent. C’est particulièrement le cas de deux compagnies ambitieuses, Ethiopian Airlines et Royal Air Maroc qui multiplient les acquisitions d’avions dans le but de faire passer leur flotte, respectivement, de 140 appareils à 271 en 2035 et de 56 avions à 200 appareils en 2037. Toutes les autres compagnies sont également en train de renforcer, à des degrés divers, leurs flottes dans la perspective de l’ouverture du ciel africain.
Lire aussi : Aéroports. Les raisons qui poussent les pays d’Afrique à en construire de nouveaux et à agrandir les anciens
Conscient de la nécessité d’accélérer la mise en œuvre du Mutaa, les ministres et responsables des secteurs des Transports et de l’aviation civile, ainsi que les directeurs généraux des autorités de l’aviation civile des Etats membres de l’Union africaine se sont retrouvés les 4 et 5 septembre 2025 à Kigali, au Rwanda, pour donner une nouvelle impulsion à la libéralisation du ciel africain.
A travers le Communiqué de Kigali, ils appellent à des réformes urgentes pour libéraliser le ciel africain, investir dans les infrastructures et renforcer le rôle de l’African Civil Aviation Commission. Ils ont aussi appelé à des réformes urgentes pour libéraliser le ciel africain.
Entre autres mesures préconisées figurent: la réduction des taxes excessives, les frais et charges élevés qui freinent la compétitivité des compagnies aériennes africaines, la levée des restrictions injustifiées sur les droits de trafic et garantir une concurrence loyale, la promotion de la domestication du marché du transport aérien aux niveaux régional et continental, l’investissement dans les infrastructures via des partenariats public-privé… Reste à savoir si ces mesures seront suffisantes pour contribuer à accélérer la mise en place du Mutaa.
__________________________________________
(*) Les 20 pays du projet pilote du Mutaa sont : Cap-Vert, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya, Maroc, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Afrique du Sud, Togo et Zambie.