Avec cette idée dans l’air du temps, la start-up a aujourd’hui le vent en poupe. Pourtant son PDG Kidus Asfaw, 36 ans, a dû lutter âprement pour lever des fonds et dit avoir «reçu beaucoup de ”non”» d’investisseurs méfiants, avant de percer.
Dans un hangar de la banlieue d’Addis Abeba, caisses, bassines ou bidons s’empilent en tas vertigineux au côté de centaines de volumineux ballots, que trois employés en combinaison vident et inspectent pour en retirer les types de plastiques non utilisés par Kubik.
Une fois triés, ces plastiques sont mélangés «selon une certaine proportion» et fondus, des additifs y sont adjoints, puis ils sont «moulés dans la forme désirée», explique Robel Getahun, directeur Ethiopie de Kubik. L’AFP n’a pu assister de visu au processus, mais se l’est fait expliquer, vidéo à l’appui.
Le produit fini: des poutres et des parpaings emboitables noirs, empilés sur le chantier-pilote de Kubik, une garderie à Addis Abeba. Il n’y ni truelle, ni grue, ni chariot de manutention.
Sur une chape de béton coulée au préalable, quatre ouvriers emboîtent les briques comme des Lego, à petits coups de maillet. Les poutres, boulonnées entre elles aux quatre côtés des murs, rigidifient la structure.
Lire aussi : Fintech: Visa lance un programme d’accélération pour les startups technologiques en Afrique
«L’idée est que ce soit super simple» à construire, par «des ouvriers non spécialisés», et «très rapide», explique Hayat Hassen Bedane, cheffe du chantier. «On peut construire un bâtiment de 50m2 en simplement cinq jours», se félicite l’ingénieure de 34 ans.
Peu de «business angels»
La start-up espère aussi promouvoir une industrie du recyclage en Ethiopie, où le tri des déchets, dans les poubelles ou les décharges, fait aujourd’hui vivoter de nombreux nécessiteux.
Ses matériaux génèrent «cinq fois moins de pollution» que le ciment, son usine éthiopienne – capable de transformer 45 tonnes de plastiques quotidiennement – permettra d’éviter «100.000 tonnes d’émissions de CO2 chaque année», l’emploi des femmes sera privilégié, énumère Kidus Asfaw qui se souvient des difficultés rencontrées pour porter son projet.
Ancien de Google, de la Banque mondiale et de l’Unicef, cet Ethiopien ayant étudié aux Etats-Unis a bénéficié d’un «vaste réseau professionnel dans lequel puiser au début», véritable «planche de salut».
«Mais lever des fonds est resté difficile», souligne-t-il: sur 600 investisseurs sollicités ces deux dernières années, seule «une vingtaine» a franchi le pas, dont «la majorité basée en Europe et aux Etats-Unis».
Lire aussi : Développement des startups: les 15 pays africains qui offrent les meilleurs écosystèmes
«Il y a très peu de ”business angels” en Afrique, très peu d’investisseurs qui financent ce genre de secteurs», confirme Sergio Pimenta, vice-président pour l’Afrique de la Société financière internationale (SFI), une branche de la Banque mondiale.
Le reste du monde est également timide vis-à-vis de ce continent, malgré ses ressources naturelles, démographiques et économiques indéniables, et l’expansion constante de ses classes moyennes.
«Quand on regarde le montant de capital-risque déployé à travers le monde, à peine 1% va en Afrique», observe Sergio Pimenta. Soit 5,4 milliards de dollars sur 415, dont 80% vers quatre pays: Afrique du Sud, Kenya, Nigeria et Egypte, à l’écosystème de start-ups plus développé.
La faute selon lui à un manque d’incubateurs, mais aussi à des «cadres réglementaires et juridiques» trop stricts. Pour «combler ce déficit», dit-il, la SFI vient de lancer un fonds de 180 millions de dollars.
«Démystifier l’Afrique»
Henry Mascot, PDG et cofondateur de Curacel, start-up nigériane œuvrant dans l’assurance, pointe plutôt le manque de «confiance» et un «biais» culturel des Occidentaux qui «investissent dans le gars avec qui ils jouent au golf, celui avec qui ils prennent une bière» régulièrement.
Lire aussi : Les levées de fonds baissent: inquiétudes sur les startups africaines
Lui-même a «raté» sa première levée de fonds. Appartenant à «la première ou deuxième génération d’entreprises (africaines) à avoir jamais levé du capital-risque», «nous ne savions donc pas comment nous y prendre, comment trouver des investisseurs, comment leur parler», observe-t-il, appelant à «démystifier l’Afrique» qui, pour beaucoup, «reste un mystère».
«Il y a parfois un peu d’escroquerie en Afrique, un peu de corruption. Ça peut souvent effrayer des investisseurs venant d’ailleurs», note de son côté le Camerounais Fabrice Aimé Takoumbo, cofondateur de Cinaf, plateforme de streaming ne proposant que du contenu africain.
Faute d’investisseurs locaux, «le rêve s’amoindrit progressivement» pour de nombreux start-upeurs, regrette-t-il. «On part très souvent avec de bonnes idées», qui «diminuent au fil du temps, à mesure qu’on constate qu’on n’a pas les moyens de sa politique», quand «les gens n’arrêtent pas tout simplement».
Lire aussi : Fintechs: l’Afrique, locomotive de la croissance mondiale d’ici 2030
L’AFP a rencontré les trois jeunes entrepreneurs à VivaTech, salon consacré aux nouvelles technologies, mi-juin à Paris. Cinaf, qui compte 10.000 abonnés, 450.000 visiteurs inscrits, y est entrée en contact avec plusieurs investisseurs pour lever 500.000 euros.
Curacel et Kubik, qui ont déjà trouvé environ 4 millions de dollars, ont remporté le prix AfricaTech qui devrait accroître leur visibilité. Cerise sur le gâteau, Kubik a reçu sur son stand le président français Emmanuel Macron, devant une nuée de journalistes.
«Il m’a parlé d’un futur soutien français à notre projet. Sa seule présence était très précieuse pour nous», sourit Kidus Asfaw. De quoi rêver à une multiplication des bâtiments de brique noire en Ethiopie et ailleurs.